De tous ses voyages, dont particulièrement l’Amérique Latine où une partie de sa famille a émigré, ce sont des images du Tibet que cet artiste reconnu a choisi d’exposer au Musée de la Photographie – Charles Nègre à Nice où ses photos montrent le travail sensible d’un très grand « regardeur » de notre époque.
Jacques Borgetto a parcouru le Tibet de nombreuses fois en toutes saisons et durant des séjours prolongés.
Partageant le quotidien de moines et de nomades des hauts plateaux, il a su capter dans ses photos toute la spiritualité émanant de ce pays qui en est totalement empreint. Mais, le photographe a su dépasser le voyage intérieur où nous incline le Tibet en s’attachant au mystère de la vie quotidienne et aux coutumes des habitants avec lesquels il a partagé des moments et échangé sur leurs habitudes. Cette civilisation riche et singulière est aujourd’hui menacée dans son identité. La modernité d’un monde commercial s’incruste inexorablement.
Cependant, les photos exposées montrent la sérénité des paysages autant que celles des habitants de ses contrées lointaines peu visitées. Ainsi des processions de moines bouddhistes qui tiennent une place centrale dans la société. Le rouge très esthétique de leurs vêtements prend diverses tonalités.
Jacques Borgetto a photographié les rituels des funérailles. Dans ce pays, si près du ciel que la terre semble seulement être son annexe, il n’est pas question de creuser le sol et le souiller avec des corps en décomposition. Dans ces contrées si hautes - les plus hautes de la planète - les funérailles sont célestes : les corps sont offerts en pâture aux rapaces, dans des lieux particuliers selon des rituels précis, et le corps est confié au vent, avant de revenir dans une autre incarnation.
Avec un grand respect pour les rituels ancestraux, Borgetto a pris des photos de ces oiseaux déployant leurs ailes en un vol élégant pour venir capter les morceaux du corps que la famille a découpé.
Cette offrande aux oiseaux suscite la réprobation des touristes et des envahisseurs chinois, bien qu’ils protègent ces coutumes par une sorte de curiosité malsaine, ainsi que pour l’allure sacrée des oiseaux qui inspirent admiration et respect.
Ces photos sont un hommage à cette géographie de l’espace bien antérieure à l’arrivée du bouddhisme tibétain dont quelques phrases sont inscrites dans le parcours de l’exposition : « Le sentier est unique pour tous. Seuls les moyens d’atteindre le but varient avec le voyageur. »
Ces photos ont fonction de mémoire irremplaçable, elles représentent le seul médium qui fixe avec précision la fragilité de ce monde, le moment où il bascule et disparaît à jamais, remplacé par l’inéluctable évolution du pays où pénètre la contrainte d’un monde moderne.
Des photos en noir et blanc sont nombreuses, l’aspect charbonneux n’en exprime que davantage la spiritualité dans ce pays où les traditions persistent. Ce noir et blanc nous imprègne ainsi d’un temps passé...
Le succès des expositions de ce musée vient rappeler la place privilégiée qu’occupe la photographie dans les goûts culturels d’un public, qu’il soit amateur ou pas.
Caroline Boudet-Lefort