Histoire d’O - Pauline Réage, 1954
Dominique, 47 ans, est la première fille à avoir été admise en classe préparatoire à l’Ecole Normale Supérieure, au lycée Condorcet. Elle voue une passion pour Jean, son patron et benjamin, âgé de 27 ans. Qui, hélas, ne la harcèle pas sexuellement. Aussi trouve-t-elle un stratagème que seule une intellectuelle peut échafauder pour le lui faire savoir : un roman en guise de déclaration d’amour. « Je n’étais pas jeune, je n’étais pas jolie. Il me fallait trouver d’autres armes », soufflera-t-elle. De son arsenal, elle sort Histoire d’O, ode sadomasochiste d’une femme allant jusqu’à l’esclavage pour appartenir corps et âme à celui qu’elle veut comme seigneur et maître.
Lequel ne témoignera pas d’une grande délicatesse. D’une part, il rendra public un message privé en pressant sa soupirante de le faire éditer ; d’autre part, il le préfacera en termes proches de la goujaterie qui, aujourd’hui, seraient taxés de machisme : « Enfin une femme qui avoue ! Qui avoue quoi ? Ce dont les femmes se sont de tout temps défendues (mais jamais plus qu’aujourd’hui). Ce que les hommes de tout temps leur reprochaient : qu’elles ne cessent pas d’obéir à leur sang ; que tout est sexe en elles, et jusqu’à l’esprit. Qu’il faudrait sans cesse les nourrir, sans cesse les laver et les farder, sans cesse les battre. Qu’elles ont simplement besoin d’un bon maître, et qui se défie de sa bonté... »
La prude et prudente maison Gallimard refuse le manuscrit que publiera Jean-Jacques Pauvert, à 600 exemplaires seulement, en 1954, avec comme auteur une prétendue Pauline Réage. L’année suivante, l’ouvrage récolte le prix des Deux Magots. Premier pas vers la gloire universelle, puisque sa diffusion avoisinera, au fil des ans, le million d’exemplaires.
Ce n’est qu’en 1994, que Dominique Aury confessera au New Yorker que Pauline Réage et elle, c’est du pareil au même. Bien qu’elle ait écrit par ailleurs quelques recueils, elle appartient à cette catégorie restreinte d’écrivains mondialement célèbres grâce à un seul livre, à l’instar de Choderlos de Laclos et de ses Liaisons dangereuses. Alors que d’autres en ayant entassé des piles vertigineuses, sombrent dans l’oubli dès leur mort.
Si, à sa parution, Histoire d’O connut une telle fortune, ce fut en grande partie grâce au scandale suscité lui ayant valu de nombreuses interdictions d’affichage ou de vente aux mineurs. Mais il est loisible de supposer qu’aujourd’hui, la libération des mœurs et la banalisation de certaines pratiques ne provoqueraient pas le même engouement, de l’eau ayant coulé sous les ponts.
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