" Vous regardez une seule fleur et cette unique fleur comprend tout. Elle est plus qu’une fleur. Elle est l’Absolu. Elle est le Bouddha lui-même " Suzuki.
Hanne Elf poursuit son étude des plantes et de leur mythologie. Après les Fleurs de la Loreleï (2010), sa nouvelle exposition à la galerie Depardieu a pour titre " La fleur du Paradis".
À toutes les époques et dans toutes les religions, on retrouve l’imaginaire d’un paradis, toujours représenté par un jardin de leurs.
Dans l’antiquité, les prairies Asphodelos des enfers étaient riches en leurs ; le paradis bouddhiste Soukhavati est un champs de leurs ; l’islam décrit un jardin paradisiaque et, dans le judaïsme et le christianisme, c’est le jardin d’Éden... Le mot paradis vient du vieux persan pari-daeza, qui désigne un parc clôturé et la leur du paradis
par excellence - en raison de sa beauté et de sa loraison luxuriante - vient aussi de Perse : la rose. Elle est au centre du jardin de la création et c’est le thème de la nouvelle série d’Hanne Elf.
Depuis 30 millions années, la rose leurit au monde. C’est l’une des premières espèces végétales, longtemps avant les humains, puis les accompagnant depuis le début de l’humanité, adorée, mystifiée, symbole important de notre iconographie religieuse. Plus que tous les autres symboles, la Rose combine l’Orient et l’Occident,
en particulier le christianisme et l’islam. Selon Goethe, elle est "le plus parfait produit de la terre". Son symbolisme exubérant est la meilleure métaphore de la vie sous toutes ses facettes, un archétype de la totalité.
Les œuvres présentées dans l’exposition sont une partie de la série sur les roses à laquelle Hanne Elf travaille depuis plusieurs années. C’est la partie paradisiaque, avant la chute. Les roses de ses peintures sont sans épines, mais pleines d’innocence et de pureté. Dans une symphonie de couleurs, leur beauté apparaît : du
blanc lumineux au rouge foncé noirâtre, de tons jaune, orange et rose au mauve et violet.
L’artiste a visité de nombreuses roseraies et cultures de rosiers. S’extrayant du concret de ces plantes aux caractéristiques très variées, elle a composé ses motifs en toute liberté, réalisant des abstractions réduites à l’essentiel, reproduisant
son sujet en formes concentrées, dissoutes dans le processus de la peinture à des degrés divers. La réalité et l’expérience sont distillées en interprétations poétiques de tableaux très colorés, déployant un cosmos esthétique singulier.
Plus loin dans la série, les couleurs s’estompent. Les jours paradisiaques sont passés et la roseraie se transforme en champ de roses du mythe germanique : un cimetière. Ainsi, les tableaux intitulés Batterie Todt, métaphores de la guerre, de destruction et d’extermination sont des photos qui se superposent et se mêlent,
évoquant une pièce d’artillerie située sur le mur de l’Atlantique, construit par les allemands pendant la Seconde Guerre Mondiale au Cap Gris-Nez en Normandie, initialement appelé Siegfried, couvert de roses. Ici, la rose nous rappelle à notre mortalité. Symbole de la mort, elle symbolise aussi la victoire sur la mort. Elle est dédiée à la mémoire des défunts. Déjà, à l’époque des pharaons dans l’Égypte ancienne, les tombes étaient décorées avec des roses.
La rose représente à la fois le printemps, la jeunesse, la loraison, ainsi que l’éphémère et la mort. Elle combine la naissance, le devenir, la croissance et, en même temps la précarité, le début et la in. Comme pour souligner ce double sens, la rose représentée au recto de ce carton d’invitation s’appelle Eden et porte en France, un deuxième nom : Pierre de Ronsard. On pense immédiatement à son célèbre poème Mignonne, allons voir si la rose, rappelant le caractère fragile et éphémère de la beauté. Les poètes innombrables, en particulier ceux du romantisme allemand, ont repris ce thème en comparant toujours la rose à l’existence limitée de l’homme. La rose de cette exposition d’Hanne Elf symbolise le cercle de l’éternité. Elle est l’harmonie en antinomie...
Harald Mann