Si tout le monde l’a fait, elle est alors un peu à moi
Dans le Patriote du 30 novembre au 6 décembre 2012, Julien Camy écrit ceci : « Cela commence par une histoire d’amour comme dans tous les beaux romans. Mais ici, ce n’est pas à l’eau de rose. Plutôt à l’eau mythique sans mauvais jeu de mots avec un célèbre site internet de rencontres amoureuses. Mais l’artiste Gilbert Pedinielli aime de toute façon manier l’humour.
Sa fascination pour Marilyn Monroe, et le mythe qu’elle représente, remonte à une trentaine d’années. Sa première exposition sur M.M. comme il l’appelle, remonte à 1981. Ses vieux carnets de notes sont griffonnés de pensées, d’idées et de dessins. Chez lui, les livres à son sujet s’empilent. « C’est fascinant de voir comment le mythe de Marilyn résiste autant au temps » explique t il. Puis il se dit que « si tout le monde l’a fait, elle est alors un peu à moi ». Mais comment la démystifier ? Sur ces œuvres mettant en scène Marilyn et sa discrète projection personnelle, « elle ne sera pas forcément belle ». Sur ces clichés, elle peut être boudi¬née ou ses pieds portant encore les marques de ses escarpins. Désirant ainsi casser l’image surfaite qui a été usée jusqu’à la corde par notre société de consommation, il cherche à recréer un lien intime en brisant la carapace que les médias, la starisation, la société de consommation et de l’image ont créée autour d’elle. Cette réflexion sur les mythes et leurs représentations traverse son œuvre depuis très longtemps. L’image publique de Marilyn doit revenir dans la sphère intime. Sur ces photomontages, il raconte la femme au travers de cette relation fascinée. « Sur chaque pièce, j’interviens de façon différenciée : fragmentation, déchirure, lacération, déformation, juxtaposition, entassement, dégradation, usure, camouflage. Je détourne ainsi la sensualité ou l’anecdote de la photo initiale. Je cherche la jeunesse ou l’innocence dans l’image stéréotypée véhiculée dans tout ce demi siècle ». Redonner de l’humanité au mythe.
C’est donc avec une rigueur sentimentale que l’artiste travaille sur cette série depuis plusieurs années. Designer à ses temps perdus chez IBM, il en a gardé un goût pour les lignes, l’harmonie de la composition, l’élégance géométrique. Ainsi chaque photocollage de Marilyn peut se voir comme un tableau abstrait, abstraction faite de l’image de l’actrice.
Compagnon de lutte
« Si, les premières années, je m’attache au mythe, plus tard le rôle de la psychanalyse devient pré¬pondérant. La suite s’apparente à un cabi¬net de curiosités : M.M. devient une et multiple, une autre et une autre. La pluralité des possibles conduit non à des répéti¬tions, mais à une multiplication des formes et du sens potentiellement infinie qui s’apparente à une exploration de la psyché de M.M. »
Il veut montrer la femme qu’elle est et qui le tou¬che notamment par ses combats pour la défense d’Ella Fitzgerald, ou son refus de plier face aux Majors américaines. C’était une femme libre et indépendante et cela son mythe l’a oublié.
L’artiste se place comme un compagnon de route, son ca¬marade en lutte pour la faire sortir du carcan dans lequel elle (s’) est enfermée. Car le combat, il connaît. Des combats sociaux dans les années 1960 jusqu’aux dernières manifestations syndicales en 2012, Gilbert Pedinielli bat le pavé avec fidélité. Cet engagement au quotidien en faveur d’un monde plus juste et plus égalitaire se répercute sur son travail composite qui se trouve traversé par quelque chose de plus fort que la simple expression d’un artiste. Que ce soit dans ses séries de lances, dans ses sculptures, dans ses performances, il ne cherche pas l’égo centrisme mais l’égo excentrisme.
« Si je ne parle que d’art, je m’ennuie. » Parler du monde en parlant de soi et de son rapport avec lui, c’est l’équilibre délicat sur lequel il avance dans ses pérégrinations artistiques. Alors Pedinielli n’hésite pas à user de l’humour, autant à l’écrit qu’à l’image : « Avec l’humour, on peut dire des choses très graves. Ce décalage fait marcher l’esprit ».
Double histoire
A la galerie Maud Barral, l’histoire racontée est primordiale puisque colonne
vertébrale de cette exposition. En parallèle des œuvres accrochées, un récit sera édité. « Une histoire exacte pas imaginaire » précise l’artiste. Entre Paris et Nice, il évoque Marilyn et lui, Marilyn et Nice par le biais du cinéma. Son quartier, le port de Nice, est parcouru par l’actrice en villégiature dans la ville. A l’inverse d’un road movie, il réalise un street movie.
Cette nouvelle structurée en deux parties, à Paris et à Nice, plonge dans « ces deux réalités qui ne se sont jamais rencontrées sauf par ma volonté d’artiste », celle de Marilyn et celle de Gilbert Pedinielli. « Chaque pièce révèle à la fois un aspect du sujet et de moi-même. L’intervention sur la photo première dit la perception, à un moment donné, d’un aspect historique de nos his¬toires personnelles ». On pourrait rajouter une troisième réalité celle de la représentation de notre monde et de ses stratagèmes. Car « je fais du cinéma en même temps que j’en raconte ». (Julien Camy)
« Seuls les mythes ont la vie dure, le retour »
En novembre 2009 avait eu lieu à Vallauris, Atelier Marc Piano, une expo Marilyn intitulée « Seuls les mythes ont la vie dure, le retour », et qui commençait à faire borne dans le parcours marilynien. Dans la plaquette éditée par stArt, J.D avait écrit, sous le titre : « Seuls les mythes ont la vie dure, le retour » :
« Le « cabinet de curiosités ».
Passage d’une image populaire univoque à une image polymorphe et polysémique. Construction, destruction, reconstruction.
Le mythe, représentation d’un personnage réel déformé ou amplifié par l’imagination collective, est une image simplifiée souvent illusoire que des groupes humains élaborent ou acceptent au sujet d’un individu qui joue un rôle déterminant dans leur comportement.
Emouvante, et bouleversante, sensuelle, le regard trouble et innocent. Naïve, manipulée, fabriquée, mal traitée, abusée, exploitée, méprisée, déifiée, réifiée, éliminée. Consciente de ces évidences, elle cache sa peur derrière le sourire provocant, nue et rouge sur le calendrier dans la cabine du chauffeur routier, et cette robe chair scintillante. Happy birthday, Mister President !
Le travail de Gilbert Pedinielli est assorti d’une recherche et d’une création transversales en deux dimensions sur l’image d’un personnage mythique : Marilyn Monroe et ses symbolisations multiples. La photographie a véhiculé l’image de l’actrice dans le monde entier. Omniprésente et surabondante, elle a fait d’elle un mythe. Elle a diffusé, la plupart du temps, une vision stéréotypée, cliché de la « dumb blonde ».
Commencé en 1981, ce travail s’approprie le cliché à travers tous les types de supports : photo noir et blanc, couleur, diapo, polaroïd, photocopie, devenus matière de base. L’artiste, au fil des ans, construit un « cabinet de curiosités » secret.
Sur chaque pièce, il intervient de façon différenciée : découpage, fragmentation, déchirure, déformation, juxtaposition, entassement, dégradation. La pluralité des possibles conduit, non à des répétitions, mais à une multiplication des formes et du sens, potentiellement infinie, qui s’apparente à une exploration de la psyché de M.M.
L’outil métallique lourd destiné à l’arrachement surmontant une superposition de bas de visage morcelé a achevé sa déchirure (déchirement ?). Une main semble vouloir caresser mais elle est hors contexte, trop légère, dérisoire et impuissante confrontée à la tenaille archaïque qui écrase les restes du visage martyrisé.
L’artiste détourne la sensualité de la photo initiale par les procédés de découpage, de superposition, de distorsion, d’insertion de photos, d’un outil et d’une main. Il nous renseigne sur lui même, exprime un moment de ses rapports avec l’image et le mythe.
Chaque pièce révèle, à la fois, un aspect du sujet et de l’artiste. L’intervention sur la photo initiale dit la perception, à un moment donné, de leur histoire personnelle, d’un aspect historique des deux protagonistes.
Après un découpage chirurgical, l’agencement des éléments obtenus, leur duplication par de multiples photographies superposées, évoque l’amplification et l’abus du phénomène de starisation.
Avec l’accumulation, l’entassement, l’insertion de photos noir et blanc et couleur, les traces et marques à l’encre de chine, au crayon gras à chaque stade de la réalisation, il rend compte de la dispersion, de l’exploitation commerciale de figures univoques.
En photographiant l’image de l’image de l’image (avec flash ou objectif), il floute, efface, dégrade les traits du personnage qui, perdant son identité, devient simple corps, objet sexuel, livré à la contemplation d’anonymes voyeurs. Attention, souvent, un mythe peut en cacher un autre. (J.D)
(A suivre)