Connues depuis plus de quatre mille ans, les propriétés détergentes et antiseptiques du savon sont dues à ses queues lipophiles qui fixent la salissure graisseuse, l’extraient de la peau en l’enveloppant dans des gouttelettes que l’eau emporte.
C’est le savon d’Alep, le premier à utiliser des graisses végétales à la place d’animales (l’huile d’olive surtout) qui a donné il y a trois mille ans au savon son aspect actuel. Utilisé surtout à des fins médicinales ou pour le lavage des tissus, son usage courant pour le corps humain ne date que du XIXe siècle pour se généraliser au XXe. L’eau soupçonnée de transmettre les virus, a longtemps été suspecte. Son utilisation avec le savon s’est accrue avec la découverte des corrélations entre la saleté et les maladies. Les règles de l’hygiène ont suivi et le savon sous ses différents aspects a envahi nos vies.
Frédérique Nalbandian en a fait sa matière de prédilection. Depuis des années, elle le sculpte, le grave ou le modèle pour lui insuffler une grande variété d’expressions. Ses différents états : solide, liquide, mousse, effervescence, coulures, stalactisation, sont liés à l’eau, son partenaire naturel, en quelque sorte, son complémentaire.
Élément essentiel du vivant, l’eau a aussi façonné la géographie terrestre ou cosmique et là où elle a disparu, son empreinte à perduré.
Le savon, particulièrement hydrophile, se prête parfaitement à tous les changements d’états voulus par l’artiste. En le confrontant à l’eau qui tombe, qui coule, qui stagne ou suinte, Frédérique Nalbandian le façonne pour lui faire exprimer de nouvelles formes qu’elle arrête ou laisse évoluer, transformant ainsi le temps en médium.
Son vocabulaire de formes ne cesse de s’enrichir : précipités, effondrements, rinceaux, fragments, colonnes, cloisons, murs, cordages, etc., et plus récemment, liées directement au corps humain : oreilles, cerveaux, peaux, crânes, mains, etc. Quelques unes ont été imposées par la matière elle-même qui les a fait apparaître par sérendipité.
Par son apparence blanc jaune laiteux, le savon renvoie à la matière cervicale qui, elle aussi baigne dans l’eau. Ses circonvolutions sont parfaitement rendues, comme naturellement, par le travail de l’eau. Elle les a vu apparaître au fond d’une bassine avant que ses mains les façonnent pour accentuer leur apparence.
Autre élément indispensable avec lequel l’artiste travaille : l’air qui assèche, transforme la texture, ainsi les petites mains qui prient (celles d’un enfant ?) sont paradoxalement ridées.
Parmi ses dernières œuvres exposées chez Eva Vautier, des "petites pièces poétiques" nées en cours de travail et des phallus qui se sont aussi imposés dans leur évidence gestuelle. Érigés comme des colonnes baroques, leur couleur rouge pâle est due aux tissus qui l’ont bandé, lui imprimant une légère teinte rosée.
Une de ses dernières sculptures est étonnante : un "totem" composé de bustes de madones montés les uns sur les autres, tête contre tête (en tête à tête ?) qui interroge peut être le rapport de l’artiste à la foi.
Particularité unique des sculptures de Nalbandian, l’odeur du savon qui, en imprégnant les lieux, ancre son œuvre au delà du visible.