Déjà, à 17 ans, elle accouche d’elle-même (d’elle-m’aime) un être androgyne, puis sort du cadre, ses premières performances… Elle met son nom de naissance (Mireille Porte) à la porte et choisit celui d’ORLAN (en lettres majuscules). Dans ce nom qu’elle s’est choisi, il y a un hors lent ou un hors l’an, en tous cas, du dehors. On pense également au Horla, ce personnage invisible créé par Maupassant qui va progressivement s’imposer à lui jusqu’à la folie. A ce Horla, l’artiste a rajouté un n, une haine des conventions qui brident la créativité, la liberté.
Très jeune, le théâtre lui fait aimer les mots. Elle apprend à les articuler, à parler haut et fort, et y acquiert une présence une assurance, une confiance en soi qui vont lui être utiles pour le dur parcours qu’elle entame.
C’est le corps qui a été principalement son objet d’étude, elle désire l’approcher, le saisir de toutes les manières possibles.
Son apparence extérieure : les vêtements qui l’habillent (costume et travestissement) qui sont des interfaces, mais également par la flore qui l’habite : cellules et bactéries qui tiennent notre corps en équilibre, un invisible qui pourtant nous constitue.
Pour interroger le statut du corps féminin, au fil de des rencontres et de ses intérêts, elle explore de nombreuses techniques, celles habituelles de l’art (peinture, sculpture, photographie, vidéo, etc.), mais aussi les biotechnologies, l’informatique, la cybernétique, la robotique… et la chirurgie.
Utilisant son corps comme médium de création, elle fait remodeler son visage, une action qui lui a valu une presse internationale (qu’elle trouve très excessive alors qu’elle n’a duré que trois ans).
De nombreuses performances se sont succédées : elle a créé son double cybernétique, s’est habillée de sa propre nudité, a donné des baisers d’artiste, lancé une pétition contre la mort, etc.
Elle ne se veut pas provocatrice, mais « faire un travail de réflexion sur les violences faites aux corps des femmes », ces corps aliénés et manipulés par le pouvoir depuis des millénaires. L’art qui l’intéresse appartient à la résistance, elle veut bousculer ses préjugés, prendre des risques, ne pas faire de la décoration pour appartement, mais changer le monde.
Elle s’oppose à toutes formes de domination : la suprématie masculine, la religion, la ségrégation culturelle, le racisme.
Afin d’interroger les cultures non occidentales, elle hybride son visage avec ceux de femmes ou de déesses précolombiennes, africaines, indiennes ou chinoises, et récemment, avec des peintures de Picasso destinées à mettre en valeur les femmes-muses des artistes.
Bien que très célèbre aujourd’hui et couverte de prix, elle « ne roule pas sur l’or », elle voudrait juste « avoir les moyens de gérer son imaginaire ». Elle considère faire partie d’une génération sacrifiée : quand elle était jeune, on lui disait d’attendre avant d’avoir une grande exposition et maintenant, on privilégie les artistes émergents.
Plusieurs événements ont lieu pour sa venue à Nice : Festival OVNI, expos, performance au 109, etc. Elle présente également son autobiographie qui vient d’être publiée. Très dense (un peu trop), elle raconte son impressionnant parcours.
Au théâtre de Nice, lors d’une table ronde, Maurice Fréchuret et Alain Quemin ont fait des interventions pertinentes sur l’œuvre de ORLAN.
Alain Quemin s’est beaucoup interrogé sur la précocité de l’artiste qui à 17 ans s’est auto-accouchée pour sortir du cadre et Maurice Fréchuret a recherché les correspondances et les résonances des premières œuvres de l’artiste avec d’autres créations ou actions antérieures qui ont marqué l’histoire.
Ne pas manquer de voir les grandes et belles photographies présentées à la galerie Eva Vautier où ORLAN a inséré des fragments de son visage : ses yeux, sa bouche qui hurle « pour que la colère s’exprime dans l’œuvre ».