Ce n’est pas la première fois qu’ici je loue le cinéaste Jean-Pierre Mirouze pour avoir filmé les grands artistes de notre époque, et cette fois c’est le sculpteur César que l’on pourra voir et écouter pendant six malheureuses minutes, alors que les trois quarts d’heure du film « Visions » (avec à la caméra Jean Boffety, excusez du peu) sont d’un bout à l’autre savoureux et passionnants. Ceux qui ont fréquenté César et son œuvre connaissent l’ambivalence
qui l’a habité tout au long de sa vie : sculpteur classique ou d’avant-garde ? Pompier ou Nouveau Réaliste ? Il voulait être pompier. Etait-ce sincère ou pure provocation, quand on sait que le terme de pompier est, passé son emploi historique, devenu une insulte. Vaste question, à laquelle Arman, avec qui César dialogue dans le film, répond avec finesse comme d’habitude. Mais avant de livrer un texte très intéressant sur la question « césarienne », je veux mentionner que des films de Jean-Pierre Mirouze seront projetés in extenso à la Médiathèque Nucéra le mardi 22 février 2011 à partir de 15h.
César ? Même s’il s’est questionné tout sa vie, son expérience fut directe, inspirée, géniale, et c’est ce que raconte un petit livre merveilleux de 1960 (Bodenzee Verlag Amriswil), intitulé « César », écrit par un grand historien d’art et collectionneur, Douglas Cooper, et traduit par Jean Yves Mock. Dans le meilleur des cas, le regard du critique d’art peut nourrir la sensation que l’artiste a de lui-même.
« I1 y a six ans, écrit Cooper, César Baldaccini, dit César, né en 1921, exposa pour la première fois à Paris avec une groupe d’artistes à la Galerie Durand. Depuis, le talent de César a été reconnu par un nombre sans cesse croissant d’amateurs, et sa réputation est devenue internationale. La montée en flèche de cette renommée pourrait surprendre si elle n’était pleinement méritée ; mais l’œuvre de César déploie une invention technique et une force d’imagination que l’on rencontre rarement aujourd’hui chez les jeunes artistes. César a pour lui une personnalité étincelante et sympathique qui est un grand atout social. Mais ce ne sont pourtant pas des considérations personnelles ni mondaines qui l’aidèrent à obtenir l’un des prix de l’Exposition Internationale de Pittsburgh en 1958. Il s’est imposé comme sculpteur par cette vitalité débordante qu’on ne trouve chez aucun de ses contemporains et cette ferme volonté de réussir dans sa tâche qui a assuré le développement continu de son œuvre. Dans les mains de César, la ferraille cesse d’être une matière curieuse ou simplement intéressante pour devenir le matériau le plus expressif qu’un sculpteur
d’aujourd’hui puisse vouloir travailler. César a démontré que lorsque ce matériau était adopté par un artiste imaginatif et résolu, celui ci pouvait en tirer une variété d’effets surprenants tout en réalisant des conceptions ambitieuses. Et jusqu’à présent César n’a fait que commencer à explorer les ressources de ce matériau. Il a pourtant déjà lancé dans le monde une armée fantastique d’animaux, d’insectes, d’oiseaux et de crustacés.
Il a démontré aussi qu’avec des débris de ferraille, il est capable de produire de véritables figures humaines, et plus récemment encore que le métal se prête à la création d’images vitales qui sont à la fois organiques et mécaniques. César a su animer la sculpture en métal, tout en lui donnant un sens qui jusque là lui avait manqué et tout en accomplis¬sant de nouvelles prouesses avec un nouveau moyen d’ex¬pression. Rien de plus naturel donc qu’il ait acquis une place parmi les jeunes artistes français de premier plan et dans la sculpture contemporaine d’avant garde. Se maintenir à cette position exige de la volonté. Mais César est de caractère indépendant et volontaire, ce qui lui permet de se concentrer sur le but qu’il vise. Ses dernières sculptures nous en donnent une preuve. Car loin d’avoir relâché ses efforts, il a mené à bien un ensemble de conceptions origi¬nales, et il se montre toujours à la recherche de nouvelles possibilités expressives.
Né à Marseille de parents italiens dans le quartier ouvrier de la Belle de Mai, César paraît dans les milieux amis un être facile à vivre, immensément sociable, un acteur né, un mime inspiré. Ceci est un côté de sa personnalité qu’il a été contraint de développer. Mais ces qualités ne sont pas celles qui dominent son œuvre en dépit de l’apparence aisément déchiffrable de sa sculpture, des références naturalistes, gouailleuses à l’occasion, et de surfaces aussi tactiles que plaisantes à regarder. Les sculptures de César sont robustes. Elles vous tiennent en arrêt. Un sens prodigieux du tour de passe passe assemble des éléments peu imposants en eux-mêmes, tout un échantillonnage varié de pièces de métal, de boulons, d’écrous, de morceaux de tuyau. La première chose qui frappe, c’est la qualité d’exécution du bon ouvrier : César, comme n’importe qui dans une usine, manie les métaux vils avec des outils d’industrie lourde. Les sculptures de César et c’est là une surprise ont néanmoins une finesse, une pointe d’élégance, un fini qui suggèrent qu’elles auraient pu être façonnées en une matière plus précieuse et par les instruments délicats d’un maître artisan. Est ce l’intuition de cette dualité déconcertante qui a récemment poussé un écrivain à faire de César le « Benvenuto Cellini de la ferraille » ?
Cette comparaison est trompeuse. Les intentions de César ne ressemblent en rien à celles de l’orfèvre ou du joaillier ; lui même se verrait mal faisant délibérément des objets raffinés ou somptueux pour délectation intime. Toutefois, cette remarque contient une part de vérité puisqu’elle révèle une « contradiction » saillante c’est l’une des expressions favorites de César intrinsèque à toute son œuvre.
Le sculpteur indépendant, c’est à dire le sculpteur qui ne s’emploie pas à fabriquer des objets de culte conventionnels, peut choisir, semble t il, entre trois modes d’expression. Il peut s’efforcer de communiquer une vision personnelle de la réalité par des images figuratives dont le sens est universelle¬ment compris ; il peut se contenter de façonner des formes abstraites esthétiquement valables qui auront ou non un sens symbolique ou associationnel ; il peut accepter, finalement, le rôle de sculpteur décorateur qui fabrique des objets ou des figures destinés à meubler un ensemble avec lequel ils s’harmonisent ou à animer des surfaces banales. Ces types de sculpteurs ont été les plus favorisés que ce soit pour des raisons architecturales, religieuses, politiques ou sociologiques, au cours de différentes civilisations et à différentes périodes de l’histoire humaine. Les sculpteurs indépendants n’ont excellé jusqu’à présent que dans l’un ou l’autre de ces modes. Mais pour tous les arts, le vingtième siècle a été une période de rupture et d’analyse. Des conventions de toute sorte ont été remises en question, et des généralisations comme celle ci se trouvent malgré tout largement infirmées. Au cours de ce demi-siècle, la sculpture de quelque époque et nationalité qu’elle fût, ou d’esprit, a été passée en revue par les artistes et les critiques. On a dégagé et remis en évidence certains principes fondamentaux que les fausses valeurs bourgeoises et l’enseignement académique du dix neuvième siècle nous avaient complètement masqués. Alors que cet examen se poursuit, la sculpture moderne est la proie du paradoxe et du mépris des contraintes académiques. S’il s’en dégage un manque d’unité de style, une grande complexité de desseins, l’esprit de recherche est manifeste. Cette anarchie est la cause d’un élan salutaire, expression d’une nouvelle vitalité. César a profité de cette émancipation de la sculpture. Il utilise les pièces de métal exactement comme si elles étaient aussi souples et malléables que la glaise ; il s’exprime par des images figuratives ou qui relèvent d’une figuration mi-abstraite mi organique dont la forme ornementale ne rejoint pourtant jamais la moindre fin pratique. La situation actuelle de la sculpture est assez confuse. De cette confusion sont pourtant sorties des conceptions nouvelles qui appartiennent au contexte d’aujourd’hui. Et déjà, un artiste comme César n’est plus un pionnier ; d’autres ont défriché le terrain. Mais César a repensé avec une imagination neuve la technique de la sculpture en métal soudé, la conformant à ses propres idées ; il s’est montré innovateur, et c’est en soi une grande distinction.
L’expression « sculpture en métal » est susceptible aujourd’hui d’être employée de façon extrêmement vague. Aussi préciserai je que je n’entends pas par « sculpture en métal » un assemblage de matériaux hétérogènes bois, plâtre, celluloïd, fil de fer, etc. dont on effectue ultérieurement une fonte en bronze. J’appelle sculpture en métal une sculpture qui est directement martelée, soudée, tordue, à partir de n’importe quel métal en feuille, en ruban, en barre ou en fil. Cette technique a été développée à des fins artistiques seulement au cours de ces dernières années et déjà des résultats très différents ont été obtenus. Avant de discuter les desseins, les réalisations et l’originalité de César, il convient de retracer l’historique de cette technique et de donner un aperçu de ce qui se passe aujourd’hui.
L’idée de faire des sculptures en métal forgé, artistiquement valables, revient probablement à l’espagnol Pablo Gargallo (1881 1934). Se dégageant du métal ouvré style art nouveau, il exécuta le premier, entre 1914 et 1920, plusieurs masques en cuivre et en fer martelés, traités comme des bas reliefs, et après 1924, des figures à trois dimensions toujours selon le même procédé. Mais ses méthodes de travail étaient celles du forgeron, et il fut dés¬avantagé par certaines difficultés provenant du matériau utilisé ; le métal, par exemple, a tendance à prendre des formes gauches et il est rebelle à se laisser modeler en rond. Mais Gargallo avait l’esprit inventif. Il imagina très vite une manière de juxtaposer des surfaces convexes et concaves qui évoqueraient des volumes, perçant et découpant les surfaces pour que surgissent différents plans ; une structure ajourée et des contours nettement découpés soulignaient les formes et accentuaient le rythme de leurs proportions. Malgré l’invention déployée, l’œuvre de Cargallo garde pourtant un aspect artisanal. Avec l’œuvre de son com¬patriote Julio Gonzalez (1876 1942), lui même fils d’un métallurgiste, cette faiblesse disparut. En 1928, Gonzalez commença ses premières sculptures en métal. Il introduisit peu après la technique de la soudure dans la sculpture qui ouvrait au sculpteur un plus grand champ de possibilités. Le métal chauffé au chalumeau devenait malléable et plus maniable. On pouvait alors joindre des pièces qui autre¬ment auraient été inassociables. Gonzalez ne fut cependant qu’un intermédiaire. Il fit progresser la technique, il ne l’exploita pas. Son vieil ami Picasso profita de son enseignement et alla de l’avant ; il eut non seulement des idées révolutionnaires, mais donna une série de réalisations spectaculaires. Picasso tâtonnait depuis 1928 sur une nouvelle expression sculpturale. Il peignait et dessinait à cette époque des figures dans l’espace employant les lignes de manière à suggérer des échafaudages filiformes. En 1930, il comprit qu’il pouvait traduire littéralement en trois dimensions ces espèces de diagrammes picturaux. Il souda des barres de métal et produisit des constructions linéaires où le vide reste apparent. Difficiles à interpréter avec exactitude, ces sculptures n’en laissent pas moins dans l’esprit une nette impression figurative. En 1931 32, il abandonna cette manière de dessin dans l’espace pour une conception sculpturale plus aventureuse. En soudant les éléments métalliques les plus disparates en une construction insolite, il créait une image nettement figurative. Dans ces sculptures, Picasso exploitait une technique nouvelle. Il utilisa des ready made, d’humbles matériaux que par la création artistique il métamorphosa en des œuvres hautement significatives.
L’identité originale d’un objet était oblitérée. Une autre s’y substituait attirée par l’œuvre en cours de création, et s’y incorporait. Picasso, tout à la fois, poussait plus avant le principe cubiste du collage où les éléments réels sont conditionnés par les éléments peints, et reprenait à son compte le principe surréaliste des associations de hasard. Gonzalez n’avait ni la puissance imaginative ni la capacité créatrice qui lui auraient permis de suivre de tels développements. Artiste véritable, il comprit les découvertes de Picasso et tenta de les reprendre dans une suite d’œuvres figuratives particulièrement élégantes. Mais les formes de ses sculptures en métal demeurent des clichés. Après 1936, il retomba dans des constructions franchement décoratives d’un type semi organique comme celui de ses fameux Hommes Cactus. Ces développements de la sculpture avaient lieu en Espagne et en France. En Russie, après 1917, le métal avait été également adopté comme moyen d’expression. Un groupe d’artistes qui réunissait Tatlin, Gabo, Rodchenko, Meduniezky et Pevsner, envisagea un type de sculpture non figurative fondé sur des rythmes cinétiques évoluant dans l’espace et dans le temps, en opposition au type habituel de sculpture fondé sur un arrangement statique de masses solides. Malgré leurs espérances et à cause des difficultés techniques, les Constructivistes ne furent jamais capables de faire évoluer leurs sculptures dans l’espace. Une solution devait être apportée ultérieurement par l’américain Alexan¬der Calder sous forme de constructions mécaniques amateur. Vers 1932, il exécuta ses premiers « mobiles » aux formes métalliques délicatement équilibrées, suspendues par des fils et qui se balancent librement ; des entrelacs de lignes se dessinent au fur et à mesure de leur lente évolution dans l’espace et des formes nouvelles se trouvent suggérées. Calder essaya plus tard de formuler des rythmes spatiaux dans des sculptures statiques qu’il dénomma « stabiles ». Les formes de base découpées dans des feuilles de métal étaient boulonnées sous des angles différents. Leurs contours dessinés avec un grand sens du rythme semblaient articuler les formes dans l’espace ». Etc.
Tout ce petit livre est précis sur la genèse de la sculpture en métal qui va devenir très significative dans l’art contemporain, avec Arman, Richard Serra et beaucoup d’autres. Et le film de Jean-Pierre Mirouze « Visions » pourrait être intitulé « Leçon de sculpture » car il montre aussi l’atelier que dirige César, atelier de Nu (avec une femme modèle d’une beauté parfaite), et les interprétations très poussées des « élèves », et c’est l’une des deux voies de César, « classique » puisqu’il a été lui-même élève des Beaux-Arts, puis professeur. L’autre voie étant la manière dont il va dévoyer ses figures, presque classiques encore, d’animaux caparaçonnés comme des chevaliers en armures,
et puis les personnages vont disparaître, et c’est l’armure elle-même qui va rester, mais sous forme de purs panneaux où le métal est à la fois le sujet et l’objet, et sous forme de produits de l’Industrie, mobylettes, voitures, amas de bijoux de « bourgeoises ». Dans le film, c’est un régal de voir César arriver sur une mobylette qu’il va glisser dans une presse avec l’aide de ses assistants, et tout ce petit groupe, très concentré, va attendre ce qui va sortir, un cube aléatoire, coloré, un objet reconnaissable et à jamais méconnaissable. Un autre régal est de le voir au marché aux Puces soupesant chaque objet qui peut être cassé, accumulé, compressé, comme cette poignée de pièces de monnaie… et surtout son face-à-face avec une jeune femelle chimpanzé car elle a une robe, et il est fasciné et ému, et l’on comprend pourquoi il a forgé ce beau singe qui est dans l’exposition, tout aussi magique que le singe de Francis Bacon, ou tous ces singes des Cours des Rois dans les tableaux de la Renaissance ou les miniatures moghol.
Alexandre de la Salle qui a introduit César dans ses expositions « Ecole de Nice » de 1967 et 1997, écrivit dans son livre « Le Paradoxe d’Alexandre » (1999) : « CÉSAR, accoucheur de formes vigoureusement articulées, maître de formules surprenantes, et qui savait laisser vivre en lui des personnages à mi-distance de Pagnol et de Giono. Il m’apparaissait comme le Maître de véritables fantômes d’acier ».
Max Cartier
Et il est facile de passer de César à Max Cartier car il y a fort longtemps ce sont César et Arman qui ont invité Max à considérer que ses multiples interprétations très personnelles et spontanées de toutes sortes d’objets de rebut étaient du
domaine de la création artistique, mais surtout parce qu’il a en commun avec eux la prise à bras-le-corps physique des matériaux, dans le même bonheur non déguisé.
Comme il l’a écrit lui-même dans le catalogue de l’exposition « 50 ans de l’Ecole de Nice » au Musée Rétif de Vence : « Lors de ma première participation à une exposition de l’École de Nice il y a de cela plus de 30 ans ce terme représentait pour moi le sentiment d’appartenir à un mouvement en pleine effervescence. Si le caractère de chacun, le style, étaient très différents, nous n’en restions pas moins tous motivés et habités par un désir similaire : celui de créer.
Utiliser la matière, la posséder, la détourner de sa fonction première, tel était pour moi le « leitmotiv » de cette École de Nice. C’est ainsi que l’on vit apparaître les compressions de notre ami César, les accumulations de son comparse Arman, les oblitérations de Sosno, les cages à mouches de Mas ... mes Chaises, Mon école des chaises, ou l’art de transformer des objets si familiers et si temporaires en des œuvres uniques et intemporelles. Ce qui symbolisait surtout cette École de Nice, c’était sa capacité d’assimilation, d’intégration d’artistes autodidactes et d’autres beaucoup plus conventionnels avec un seul Maître mot : CRÉER !!! Pour moi qui avais un parcours tout à fait atypique, acteur de cinéma aux côtés d’Alain Delon et Annie Girardot dans des films de Luchino Visconti,
architecte d’intérieur aux côtés de Jacques Couelle, restaurateur lorsque mon art ne me permettait pas d’en vivre .... et bien quel bonheur d’appartenir à cette École de Nice !!!! Virtuelle avant l’heure cette École de Nice prouvait que Nice ville de province était le terreau fertile de nombreux artistes venus s’y installer. Et qu’elle pouvait sans rougir se mesurer à d’autres grandes écoles. Mais point d’école sans Maître, ni d’orchestre sans chef. Sans Alexandre de la Salle qui depuis l’origine est toujours resté discret, mais surtout intègre dans ses choix, juste dans ses propos .... sans lui il n’y aurait pas ou plus d’École de Nice. Cette exposition « 50 ans de l’École de Nice » semble mettre un terme à cette grande récré que symbolisa cette école, en effet certains ne sont plus, d’autres ne créent plus, c’est ainsi, mais elle restera pour moi non pas une simple étape de mon parcours : une pierre de mon édifice. Je n’ai jamais voulu me contenter de faire et refaire sans cesse les mêmes démarches. En effet les chaises furent suivies par les tissus, les enlacets, les hommes de pierre, les hommes de fer, les puzzle et maintenant les tracto paint ou la peinture tractée. C’est bien la preuve pour moi que cette mouvance nous a permis de rester nous mêmes avec nos choix, nos idées, notre création, notre évolution personnelle ».
Comme l’avait aussi écrit Pierre Restany en mai 1984, sous le titre : « Les chaises de Max Cartier, une Apocalypse gentille » :
« Max Cartier prend, comme il se doit, toutes les libertés avec l’objet de son désir. Ou plutôt les objets de ses désirs. Le pluriel conviendrait mieux car les désirs sont multiples et l’objet, bien qu’il corresponde à un seul concept, revêt les formes de chaises les plus diverses. Max Cartier pourrait bien être un Eugène Ionesco devenu peintre et sculpteur. Il nous fait revivre l’aventure des chaises dans le théâtre de son atelier, au terme d’une performance qui s’apparente tout autant à la colère d’Arman qu’au Dripping Pollockien. La gestualité est déterminante chez cet ancien acteur : osier, bois, métal, grain, ressorts, tissus, bourre, tout y passe, toutes les chaises et tous les styles. Désossées, dépiautées, vidées et réarmées, restructurées au terme d’un corps à corps délirant et puis aspergées et cirées, passées à la peinture, les chaises sont comme exorcisées de leur routine signifiante et ce qu’il en reste après le passage du démon créateur atteint à la fascinante sérénité de l’œuvre d’art. Car il s’agit bien d’un processus de possession. Max Cartier monte démonte casse et assemble peint et repeint comme un possédé. Son travail est un jeu qui s’apparente à celui des acteurs d’Andrzej Zulawski : la chaise est la femme publique. Que reste-il de tout ça, en tension sur un mur ou en équilibre au sol ? Un meuble défiguré et bariolé qui a gardé la mémoire de sa dramatique aventure. Une aventure qui aurait pu tourner au cauchemar et qui débouche sur le miracle de la métamorphose. L’image finale de cet objet tendu trituré et peint évoque les grands moments de l’expressionisme et du cubisme leurs charmes stridents et chaotiques, leurs explosives beautés. Telle est la loi de l’énergie vitale : pour qui le veut l’apocalypse c’est être gentil. C’est son sourire sourd, venu des profondeurs ténébreuses de l’être, qui éclaire la création gestuelle de Max Cartier. Un geste, un acte, un coup de théâtre, c’est le jeu de l’irréparable, un jeu sur lequel se fonde l’essence même du monde, et qui ignore la répétition. J’attends déjà Cartier au tournant après la chaise : comment saura-t-il s’en débarrasser ? »
Max Cartier a donc joué, et joue, avec toutes les matières existantes, mais surtout avec les préhistoriques, celles de l’âge de pierre et de l’âge de fer ces infinies richesses de la planète, il y a même une « Dame de fer », en hommage humoristique à Miss Thatcher… Car Max Cartier ne manque jamais d’humour, ce qui le rapproche une nouvelle fois de César Baldaccini, mime sublime…