Quand on s’intéresse de près aux débuts de l’Ecole de Nice, on ne découvre pas moins de 7 histoires différentes
Les critiques, et surtout les marchands d’art, ont besoin de mythes ou de légendes pour promouvoir l’art. Leur histoire « officielle », tout comme les apparences, peuvent être trompeuses ! Quand on s’intéresse de près aux débuts de l’Ecole de Nice, on ne découvre pas moins de 7 histoires différentes. On peut lire celle de Sosno, celle de Ben, celle de Mas, la plus proche de la réalité, celle d’Arman, celle de Restany et celle de Lepage, deux « grands » critiques… enfin, une dernière fut écrite en 1947 par Claude Pascal, un ami de judo et de voyage d’Yves Klein et depuis écrivain :
« 1947. Un jour, sur la plage à Nice, Klein, Arman et Claude Pascal décident de se partager le monde. Klein choisit le ciel avec son infini, il signa son nom sur l’autre côté du ciel et ainsi commença son aventure monochrome.
Nice aux yeux de putain cannoise se culotte devant les yeux ébahis de la Corse. En 1947, face à cette mer imbécile où se consument les vieillards de la France et de l’art, nous avions la vingtaine, Yves Klein, Arman et moi.
La Promenade des Anglais. Nous portions des chemises barbouillées de pieds et de mains nues et nous nous nourrissions de l’or et du fer contenus dans l’air. Le besoin du temple nous fit trouver la cave. Les murs furent recouverts de funèbres, de blasphèmes et de l’emblème... pieds et mains gluants de peinture et un mur monochrome et bleu. Le mirage, c’était notre volonté tendue comme une corde en travers de la route où butaient les voitures paralysées malgré l’essence. Jeûnes... abstinences... goût de l’entreprise démesurée... contemplations de l’univers bleu. (…) »
Claude Pascal, A propos de Nice, Centre Georges Pompidou, Janvier 1977
Pourtant ce texte, souvent mis en avant, n’a rien à voir avec les débuts de l’Ecole de Nice. Au mieux, ce récit traduit la naissance d’un groupe aujourd’hui oublié, Triangle, né de la rencontre de Klein, Arman et Claude Pascal. Eventuellement, il peut être préparatoire au Nouveau Réalisme. Ce mouvement que le critique Pierre Restany tint à bout de bras et qui eut une vie propre, différente de celle de l’Ecole de Nice, avec son manifeste et ses expositions.
L’Ecole de Nice est le produit d’un tout autre cheminement, son histoire est beaucoup plus fabuleuse. Tout a démarré autrement… Interviennent ici d’autres rencontres, d’autres productions, d’autres lieux dans Nice, et surtout des « personnages » à la fois artistes et grands communicateurs, comme Ben, Sosno, Alocco. Tous eurent le désir de la nommer et la passion d’en parler au quotidien. Encore fallut-il que des journalistes bien parisiens comme Claude Rivière du journal Combat, d’autres critiques -Jacques Lepage notamment-, des galeristes comme Alexandre de la Salle, Ferrero, Matarasso, des « photographes-témoins » dont Frédéric Altmann , André Villers et le premier directeur de Centre Georges Pompidou Pontus Hulten en fassent de même. Par la suite, d’autres galeristes, Lola Gassin, Sapone, Scholtes, un éditeur Alain Amiel, et un autre artiste Jean Mas mouillèrent la chemise pour maintenir la flamme !
Alors difficile de dire quand tout à commencer...
Sûrement pas il y a 50 ans ! Comme le proposera cet été une exposition au Musée Retif de Vence : 1960-2010 : « Cinquante ans d’Ecole de Nice ». Les deux événements pris pour références – le Manifeste du Nouveau Réalisme, l’ouverture de la galerie Place Godeau à Vence en 1960- n’ont rien à voir directement avec les débuts de l’Ecole de Nice. Ce qui n’enlèvera rien à la qualité de cette exposition, si l’on en juge par les organisateurs et les préparatifs. Alors pourquoi ce folklore !
Si on souhaite repérer les débuts de cette mouvance, on peut tout aussi bien prendre comme point de départ 1967, date de la première exposition dédiée à un groupe protéiforme intitulé « Ecole de Nice ? » , dans la Galerie Alexandre de la Salle. Ou 1977 avec l’exposition « A propos de Nice » au Centre Pompidou ou au contraire faire remonter l’Ecole de Nice en 1963 avec l’impact des concerts Fluxus et ce qui en suivit comme manifestations « Fluxus niçois », orchestrées de « mains de maître » par un Ben présent sur tous les terrains… Et encore cela reste approximatif, parce que s’il y eut exposition, au préalable il y eut essai, travail, tentatives en tous genres qui remontent à quand ?..
Au lieu de ces querelles stériles de dates, ne vaudrait-il pas mieux concevoir cette « naissance » comme un empilement de fulgurances et de cristallisations, dans sa richesse de formes et d’idées... Fluxus, ce mouvement international, fut cette première fulgurance. En 1963, il déferle à Nice avec son « pape » George Macianus et stimule tous les domaines de l’art niçois. De jeunes artistes en émergent : Ben, Alocco, Serge lll , Bozzi, puis… Brecht, Chubac, Dietman, Farhi, Mas, Venet, Gilli, Dolla,.. Les expositions spontanées ou plus organisées comme Scorbut dans la boutique que possédait Ben, 32 rue Tonduti de l’Escarène à Nice ou l’exposition « Ecole de Nice ? à Vence traduisent une première cristallisation.
Presque une décennie plus tard Supports/Surfaces, puis le Groupe 70 ajoutent deux couches de fulgurances supplémentaires en s’imposant dès les années 1970. L’exposition « A propos de Nice » sera une nouvelle cristallisation qui impose définitivement l’Ecole. Dans cette mouvance, d’autres individualités mûrissent, n’appartenant à aucun groupe. Tous expriment diverses influences dans une communauté d’esprit. La dernière cristallisation aura lieu avec l’ouverture du MAMAC, le musée d’art contemporain, et son étage consacré à la désormais « célèbre » Ecole de Nice.
En fait, faudrait-il y voir un véritable cocktail, ou mieux une « vraie » salade niçoise (!), faites par couches et ajouts successifs parfois venus d’ailleurs, dans un lieu unique dans tous les sens du terme : Nice et sa région… Pour fonder avec plus de prestige ce mouvement, les journalistes, les critiques cherchèrent des références. Le plus simple, le plus efficace fut de faire appel aux « grands frères », ceux qui avaient déjà réussi sur le plan international et qui revenaient « passer l’été » à Nice. C’est ainsi que Klein, Arman, Raysse, puis César furent récupérés, dans ce qui sera nommé le « nouveau réalisme niçois, » au grand dam de Pierre Restany…
Klein était déjà mort.
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