Où tout a commencé
Difficile de dire où tout a commencé ? Vouloir y trouver une origine unique, un point de départ symbolique n’a aucun sens. L’Ecole de Nice est un phénomène émergent et comme toute émergence, elle est le produit de convergences, d’interactions et même de.. conflits ! Tous ne sont pas destructeurs, bien au contraire quand il y a la possibilité de se parler, d’être et de vivre ensemble… Ces incertitudes n’empêchent pas de nommer des lieux qui ont servi de « catalyseur ». Ils ont permis à des jeunes artistes de se révéler, de s’exprimer, de se rencontrer, voire de se lancer des défis… dans la provocation ! En retour, ces jeunes sont devenus des personnalités emblématiques de l’Ecole de Nice, tout comme ces lieux…
Laissons donc la Promenade des Anglais à la légende de Klein, Arman et -non pas Raysse- mais Claude Pascal qui sont censés « se partager le monde » . Pour la « naissance » de l’Ecole de Nice, d’autres endroits ont été plus significatifs. En ville par exemple, une brasserie située à l’angle de la place Masséna et de la rue Gioffredo, a joué un rôle manifeste. Dans les années cinquante, elle se nommait le Ballon d’Alsace ; tout le monde l’appelait « le Biarritz » Au sous-sol, un Club des Jeunes, à l’origine un club de jeunes poètes, se tenait chaque samedi à 17h à l’initiative du patron, un certain « Monsieur Saint-Lune » comme il se faisait appeler, poète lui-même et disciple et ami de Saint-Pol Roux. Ce Club , ancêtre des bistrots philosophiques, était animé par Robert Rovini, puis Paul Mari, tous deux découverts par Jean Ballard des Cahiers du Sud. Chaque semaine, sous prétexte de poésie, se rencontrent, se confrontent, se toisent, s’auto-émulent des jeunes, ceux qui feront plus tard l’Ecole de Nice... mais pas seulement des écrivains Le Clézio, des poètes comme René Decurgis, des photographes, Henri Maccheroni, des hommes politiques comme Pierre Pasquini,.. et bien d’autres que la postérité n’a pas... ou pas encore retenu.
Tous s’y croisent pour refaire le monde. Ils parlent des problèmes du temps : la décolonisation, la guerre d’Algérie naissante, l’ethnisme, l’occitanie... mais aussi de la vie familiale « insupportable », du mariage « sans intérêt », des études « ennuyeuses » qu’il fallait aller faire à Aix ou à Paris et bien sûr de la... politique (déjà sans enthousiasme), même si certains d’entre eux étaient attirés par le parti communiste ou les dissidents Troskystes. Seul un coup de balai « total » leur paraissait acceptable dans cette société hyper-conservatrice de la IVème ouïs de la Vème République. Une idée - réductrice avec le recul - trottait dans leur tête : « faire du passé table-rase » pour (re)construire le monde autrement. Naissent des tentatives de gestes de rupture par rapport aux pratiques traditionnelles (notamment par rapport à l’Ecole de Paris, la référence du moment en art), des gestes de « relecture » des pratiques traditionnelles (empreintes, monochrome, calcination, détournement, recyclage, appropriation, accumulation,..) ou d’autres pratiques sociales (appropriation de lieu, actions dans la rue, « Théâtre total », interventions, performances,..). Un minutieux travail de sape des catégories de l’art par un rejet systématique des institutions et de la notion même « d’œuvre d’art » était en route...
Ce lieu ne fut pas unique. Suivant les périodes, les jeunes artistes lui préférèrent des locaux plus informels : l’arrière-salle d’un autre brasserie, le Provence, située face à l’ancienne gare d’autobus, derrière le Casino Municipal, aujourd’hui démoli ou encore un « bistro », l’Eden. On y discute de tout et de rien. On boit des « demis », on s’agite, on milite (un peu), on cherche à se faire remarquer, notamment un certain Benjamin Vautier (Ben) qui prend la parole sur tout et tout le temps au point d’agacer les plus anciens !
Il faut dire que Ben avait créé de toutes pièces un autre lieu en 1958. Il tenait une petite boutique de disque d’occasion rue Tonduti de l’Escarène, au 32 ; comme par hasard à deux pas de l’ancienne Ecole des Arts décoratifs, une école très décriée par ces jeunes artistes, même si certains y étudiaient et se faisaient virer.
Ben se trouve à l’entrée avec sa caisse autour de la taille, il palpe chaque visiteur au passage pour éviter le vol. Entre 1958 et 1972, le magasin s’est appelé successivement : le Laboratoire 32, puis la Galerie Ben Doute de Tout. Il y accumule les objets et les textes. Avec le succès de la déferlante Fluxus à Nice en 1963, date du séjour de Maciunas, son initiateur et gourou, Ben devient la tête de proue de « l’avant-garde niçoise ». Une nouvelle génération de “jeunes futurs artistes” en est fortement influencée. Ce sera le cas de Serge III, Alocco, Jean Mas, Filliou, George Brecht, Erébo. Ben, toujours en fin théoricien, toujours très pragmatique et à l’âme commerçante, récupère tout.
« J’avais pour principe très simple d’exposer tout ce qui me choquait, tout ce qui me paraissait contenir de la nouveauté. »
Ben (site)
En même temps, il accompagne ces jeunes artistes en les exposant. Dans sa boutique, il y montre tout ce qu’il y avait de nouveau en Art à Nice et dans la région. Il y organise une première exposition intitulée le « Scorbut », avec Raysse, Chubac, Gilli et Ben, puis des expositions dites « Fluxus », avec Alocco, Brecht Filliou , Dolla, Ben... et bien d’autres.
C’est dans ce climat un peu « situationniste » que la « salade niçoise » de l’Ecole de Nice prend vraiment. Ce sera la première partie émergée d’un mouvement d’idées disparates, multiples sans mouvement formel. C’est sans doute la phase la plus créatrice de l’Ecole, la plus diversifiée où tout est envisagé, conjoncturé, projeté, préparé, essayé et propulsé...
Par la suite d’autres lieux devinrent emblématiques comme les Arts Décos de Nice, rue Tonduti de l’Escarène où se retrouvent Charvolen, Miguel, Maccaferri, Valensi, Isnard et Dolla, avec Viallat comme professeur (du moins en négatif) ou le charmant village de Coaraze, où Paul Mari le poète, présenté plus haut, était également maire. Plusieurs manifestations y furent organisées avec le concours du critique d’art, Jacques Lepage.
On y reviendra…
Suite au prochain numéro...
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