Si la préoccupation plastique principale de l’artiste est très généralement manifestée par l’utilisation du médium peinture, l’exposition « Défigurer » présentera de manière plus exhaustive le champ global d’expérimentation de Raffini.
La lecture de l’exposition se fera par une déambulation narrative où le regardeur ricochera d’une proposition à l’autre.
Cette installation manifeste nous fera croiser des peintures, des sculptures, des vidéos, et des interventions in situ, qui confèreront une atmosphère de « catastrophe règlementée » à l’exposition.
On comprendra que le propos de défiguration n’est localisable que dans l’utopie d’une frontière ; qu’il n’y a plus ni d’abstraction ni de figuration mais des gestes stratifiés qui construisent les oeuvres dans une forme d’archéologie.
Ces dernières sont définies comme des sujets, des verbes, des compléments ; afin d’insister sur le rapport élémentaire qu’elles entretiennent avec la pratique qui les a générées. Dans l’exposition les oeuvres sonnent enfin comme les actrices d’une reconstitution dont le regardeur est partie prenante.
Daniel Finira 2014
Processus et iconographie
« Raffini interroge les relations entre l’atelier, l’exposition au spectateur et la peinture. (…)
Il opère une « dissociation » des gestes picturaux. Il produit d’une part des tableaux à l’iconographie figurant sa relation affectée au monde, et d’autre part il prend en compte l’impensé de la peinture, son histoire accumulée par ce qui choit des gestes retransmis et appris jusqu’à être instinctifs : ses processus. Ceux-ci sont tantôt délivrés dans les vidéos, tantôt compréhensibles par le mode d’exposition.
La série Capharnaüm / Opusmemori donne une bonne idée de la démarche. Une grande et fine toile, très absorbante, est posée au sol, sur des tôles qui s’étendent sur les 12 m² dévolus à l’espace de travail. Ce drap est la surface de réception d’une première gestuelle ; il est à la fois « arène », pour le dire comme Harold Rosenberg, et suggestion d’images à la façon dont les taches et les lézardes des vieux murs nourrissaient l’invention de Léonard de Vinci. Car les jus très liquides transpirent sur les tôles, se mêlent aux pas et aux marques des chiffons sur lesquels ont été essuyés les pinceaux. La séance de travail sur ce « lieu de déjection », ce mur horizontal, Raffini la nomme « giornata » (car il faut une journée de séchage avant reprise). La peinture ainsi reliée à la fresque en appelle à sa tradition séculaire et monumentale. Ce premier fond sert ensuite à la composition d’un tableau réalisé à la verticale du mur. Les tôles quant à elles, demeurant pendant une année au sol, se transforment en une peinture abstraite (de bataille) que dessinent le temps et l’accumulation de ce qui choit. Les couches successives deviennent peu à peu une mince boue des couleurs affectées à la peinture verticale, luisant des frottements et du piétinement sur le support de métal qui s’use et se désagrège. C’est ce travail qui est nommé Opusmemori.
Conjointement, au mur, se poursuivent les tableaux initiés sur les draps : les Capharnaums. Lorsque ces derniers sont terminés, « essorés par l’expérience », Raffini les expose sur des mâts métalliques tors qui s’érigent dans l’espace. Les draps se présentent alors comme des oriflammes, tantôt en lambeaux qui s’échevèlent et s’entortillent dans leur retombée, tantôt comme des drapeaux plus unitaires
Une autre pratique de Raffini se constitue de tableaux sur toile libre qui intègrent les images provenant (…) de l’iconographie des médias fusionnée à une autre source d’images, plus intemporelle, celle de l’histoire de l’art. Cette condensation onirique vient ainsi en contrechamp de la peinture processuelle réalisée au sol. De part et d’autre, par l’iconographie ou par l’usure, dominent une idée de destruction, de fin d’un temps, un deuil. Pourtant ce deuil même, qui peut se lire comme celui de la peinture, génère encore de la peinture.
Extrait de Pugnaces et raffinés : Florian Pugnaire et David Raffini. Une épopée des moteurs de Silvie Coellier