Cette chronique évoquera d’une part un artiste qui associait le plastique et le métal, avant de travailler le polyméthacrylate de méthyle, en d’autres termes le plexiglas (!), avant de revenir au métal. Ses œuvres sont très présentes dans les rues de Nice ; il se nomme Jean-Claude Farhi. Il débarque sur la Côte en provenance de Bogota, à l’âge de 17 ans. Coursier à l’agence de voyage Kuoni, puis guide touristique, il suit des cours de dessin à l’Ecole des Arts décoratifs de Nice.
En contrepoint, elle se centrera sur Roland Flexner ; lui est né à Nice, il vit et expose maintenant à New-York. Connu et reconnu outre-Atlantique, l’artiste l’est peu à Nice : ses bulles et empreintes d’encre, évoquent « des paysages imaginaires ou des planètes lointaines, entre géométrie fractale et minéralogie visionnaire ».
JEAN-CLAUDE FAHRI 1940-
Jean-Claude Farhi est né à Paris en 1940, d’un père turc et d’une mère de Barcelone, il arrive à Nice en 1957 après avoir quitté la Colombie où ses parents étaient partis pour ouvrir un commerce. Il réalise sa première exposition au café Le Relax, rue Pastorelli, où il présente des tableaux et fait des rencontres qui vont devenir décisives pour sa carrière.
César, d’abord, qu’il admire et dont il deviendra l’assistant quelques temps après pour l’aider à réaliser ses Expansions à travers l’Europe à partir de 1968. Arman, ensuite qu’il fréquente lors de ses nombreux allers-retours à New York à partir de 1972 (il s’installe même quelques temps à Soho). Ses conseils vont l’amener à réaliser des oeuvres de très grandes envergures. Le critique Pierre Restany aussi va déterminer l’évolution de ses productions lorsqu’il présente ses Motorcolors en 1966 : il s’agit de pièces hétéroclites de moteur qu’il soude et colore avant de les présenter sur un socle pour leur donner le statut d’oeuvres d’art. A partir de cette période, il va associer toutes sortes d’éléments en matière plastique au métal, et réaliser une exposition sous le titre Chromplex à la galerie Iris Clert à Paris, où avaient eu lieu les célèbres manifestations des Nouveaux Réalistes.
Son évolution est marquée essentiellement par la réalisation de pièces en plexiglas. Les formes géométriques jouent avec les effets de transparence et de couleurs dans des structures assez simplifiées qui permettent un certain nombre de possibilités combinatoires. Il fait alors de fréquents voyages à Rome, où l’usine Polivar fabrique ses fameuses Colonnes en plexiglas coloré.
L’installation de son grand atelier à Tourrettes-sur-Loup, à quelques kilomètres de Nice, va lui permettre de réaliser ses Grandes Colonnes, oeuvres monumentales, et de participer à des expositions prestigieuses comme à Paris ou à la Fondation Maeght à Saint-Paul de Vence en 1973.
Ses immenses sculptures translucides et multicolores vont devenir les images de marque des nouveaux lieux architecturaux de Nice : en 1984, le nouveau Palais des Congrès de Nice (Acropolis) est orné de la Grande Colonne Colorful Island.
Les possibilités de ce matériau lui font aborder d’autres types de matières plastiques,
comme le perpex, qui va lui permettre de suspendre aux flancs des bâtiments de l’Arenas, un ensemble de polyèdres irréguliers, la Dissémination d’une hauteur de 34
mètres. Cette installation polychrome située face à l’aéroport de Nice, paraît être une
métaphore de ce nouveau complexe architectural du Style International en raison de ses formes géométriques élémentaires et simplifiées.
A partir de 1991, c’est l’acier brut qui lui permet de composer des sculptures plus complexes, où des formes primaires s’emboîtent pour composer des volumes aux axes multiples dans un esprit proche du minimalisme ; ces sculptures ont même investi la Promenade des Anglais à Nice en 2004.
Après des études à la villa Thiole, l’école municipale de dessin de Nice, les débuts artistiques de Roland Flexner se manifestent par du dessin et des collages. La rencontre de Jacques Matarasso et la prise de conscience de la créativité locale dès la fin des années 60 l’amène à créer une série d’objets absurdes qu’il expose en 1969 à la galerie Ben Doute de Tout, puis participe à diverses expositions avec les artistes de l’Ecole de Nice.
Sa rencontre et son amitié avec Daniel Dezeuze, membre de Supports/Surfaces et professeur aux Arts Décoratifs de Nice en 1973 le conduisent à un travail sur la construction et déconstruction du signe à partir de lettres, de mots, et de figures relatifs au paquet de cigarettes Camel. Cette série entreprend de mettre à jour les relations entre l’icône et le signe, c’est-à-dire la représentation de la cigarette de manière sérielle, du paquet, puis la figuration du chameau par rapport à l’énoncé linguistique de la marque.
Par la suite il va aborder la série des Baguettes en bois peint qu’il va traiter jusqu’en 1980. Eléments répétitifs, modulaires et pourquoi pas modulables, il présentent un aspect plus sculptural de son travail plastique.
Tout en faisant de nombreux aller-retour entre l’Angleterre et Nice, il va se consacrer
davantage à la pratique du dessin pour la réalisation d’une remarquable série consacrée au thème de la vanité et de la mort. Ces formes de crânes, obtenues à l’aide de techniques classiques telle que le fusain ou le crayon revisitent le thème des vanités en transformant les figures comme perçues à travers le reflet d’un miroir déformant.
FLEXNER ROLAND 1944-
En 1992, la série réalisée d’après les Pleurants qui se trouvent auprès des sépultures des ducs de Bourgogne à la Chartreuse de Champmol s’inspire du réalisme des sculptures de Claus Sluter, tout en détournant le processus de représentation en opposant des aplats monochromes aux figures très travaillées. Cette dualité permet la coexistence de deux univers parallèles opposés, qui semblent confronter les deux principales orientations de la pratique picturale, la figuration et l’abstraction.
Le réalisme du dessin le conduit à réaliser dans les années 90 des séries de Portraits d’Hémiplégiques, dans la lignée des portraits de fous de Géricault, en déformant par moitié les parties des individus qu’il transforme par des expressions inhabituelles, proches de l’expressionnisme.
Ces dernières années, au début de ce siècle, le travail de l’encre, par soufflage, savant mélange d’émulsion et de glycérine nous montre un autre volet de son talent dans la lignée des tests de Rorschach et nous fait découvrir un univers onirique proche de la science fiction.
Evidemment inclassable, le travail de cet artiste de l’Ecole de Nice nous montre un certain nombre de facettes qui ont du mal à se rattacher à un quelconque mouvement répertorié, et n’est-ce pas justement ce qui pourrait en garantir par l’évidente virtuosité l’authenticité totale ?
Suite à la prochaine Chronique...