D’emblée, une ambiance tropicale nous saisit
On est accueilli avec un collier de fleurs passé autour du cou par le chauffeur venu nous récupérer. Les chambres sont au milieu d’un jardin fleuri, genre paradisiaque. On s’installe dans une chambre spacieuse qui dispose d’un petit balcon. Première promenade à la découverte de Hanga Roa, ville principale de l’île. Au bout de la rue qui mène à l’hôtel, l’océan bien bleu et un tout petit port avec quelques barques de pêcheurs. Il n’y a pas de plages de sable, ce sont des rochers sur lesquels les vagues d’un blanc immaculé s’éclatent. Les rues sont larges, vertes et fleuries, bordées de maisons basses, de commerces et d’hôtels. Tout est très calme, comme ouaté. Quelques voitures circulent très lentement (pas plus des trente kilomètres à l’heure autorisés). Pas trop de monde dans la ville. Un peu plus loin, une sorte plage a été creusée dans les rochers, une piscine naturelle entourée de plateformes lisses à escaliers qui mènent dans l’eau.
Cette petite île, pas plus grande que celle d’Oléron recèle des nombreux mystères
Comment sur une surface aussi réduite ne pouvant contenir et faire vivre pas plus de quelques milliers d’hommes ont pu être bâtis autant de géants de pierre (un bon millier) dont de nombreux ont été déplacés et érigés dans toute l’île ? De l’origine extra-terrestre qu’on a prêté à ces sculptures aux très nombreuses explications portées par des centaines d’archéologues et de chercheurs de disciplines différentes, l’essentiel reste inélucidé.
Accompagnant ces Moaïs, ainsi appellés par les autochtones qui ont leur propre langue, une écriture (toujours pas déchiffrée), et bien d’autres mystères continuent de nous interroger :
Quel est le sens de ces plateformes où sont dressés les moaïs dos à la mer, pourquoi certains ont des coiffes, des tatouages et des yeux et d’autres non ? Pourquoi certains ont de grandes oreilles et les autres des petites, pourquoi certains ont été couchés, d’autres sculptés mais laissés sur place dans la carrière où tous sont issus, etc., et bien sûr, à quelle date ont-ils été sculptés et érigés et que représentent-ils ?
Un grand nombre d’autres questions, je suppose, vont se poser à nous… ?
Sur les techniques de sculpture et le déplacement, on en sait assez.
Les moaïs sont pratiquement tous sculptés dans une roche volcanique assez facile à travailler et issus du même volcan qui a servi de carrière : le Rano Raraku où des centaines de figures ont été sculptées dans la roche, certaines disséminées le long de routes invisibles qu’on suppose être les chemins qu’elles devaient emprunter pour rejoindre leurs destinations finales. D’autres ont été abandonnées, comme si on avait arrêté tout d’un coup d’y travailler, d’autres encore à peine ébauchées. Les centaines de visages et de corps plus ou moins dégagés de la roche peuvent être considérés comme une œuvre immense créée dans le temps (durant quelques siècles) et dans l’espace de l’ile.
Ainsi cet ancien volcan devenu la carrière où est né l’art rapanui est un site archéologique majeur pouvant rivaliser le Machu Picchu, avec les pyramides de Gizé ou l’acropole d’Athènes…
Pour la période de création, les chercheurs la situe autour de l’an 1000 pour les plus anciennes sculptures à 1700 pour les plus récentes, soit pendant plus de 800 ans. Pourtant, à quelques exceptions près, ils possèdent tous les mêmes caractéristiques : un front bas, un nez pointu, des yeux enfoncés, une bouche fine et un menton pointu. Certains ont des longues oreilles dues peut-être au port de lourdes boucles d’oreilles, d’autres, nettement plus courtes (une légende parle de combats entre les grandes oreilles et les petites)… Certains d’entre eux sont porteurs de chapeaux appelé pukaos et faits d’une autre matière, ces « chapeaux » pouvant être des chignons (autre hypothèse). En tous cas, ils ont été rajoutés aux moaïs.
Quelques rares moaïs ont des yeux blanc (de corail) et un iris noir (d’obsidienne), des yeux qui regardent le ciel. L’implantation de ces yeux dans les orbites leur donneraient leur mana, leur esprit. Des plateformes appelées ahus accueillent de un à de nombreux moaïs alignés au pied desquels des cérémonies avaient lieu. La plupart des moaïs sont hauts d’environ six mètres, certains sont plus petits.Qui était ce peuple capable de telles prouesses ? Ils bvenaient de l’ensemble polynésien dont les hommes étaient de grands navigateurs capables de rejoindre des îles perdues dans l’immensité océanique. Connaisseurs des étoiles, des courants, des vents, ils pouvaient aller à la découverte d’autres îles. Ils embarquaient sur des vaisseaux de bois avec leurs familles, leurs plantes, leurs animaux pour s’installer dans ces nouvelles îles où ils pouvaient planter leurs graines, fabriquer leurs maisons et créer de nouvelles lignées.
On peut imaginer, comme les légendes le rapportent, un grand bateau d’une centaine de personnes débarquant il y a un millier d’années (ou plus) sur cette île vierge de toute humanité. Le chef de cette embarcation, « le roi ? », a sept fils. Il partage l’île en sept zones avec chacune un accès à la mer et se rejoignant au centre de l’île, chacun de ses fils ayant charge de développer l’agriculture et bien sûr la pêche dont ils sont déjà des grands praticiens. Ils amènent avec eux leur culture polynésienne qui va d’adapter et forcément évoluer dans ce nouvel environnement.
Avant notre départ, il y a quelques semaines, j’avais fait des recherches sur les artistes de l’île et j’avais découvert Delphine Poulain sur facebook. Nous avons échangé, j’ai vu son site et j’ai appris qu’elle était également conférencière et grande connaisseuse de l’île qu’elle habite depuis plus de trente ans.
Une française artiste et guide, c’était idéal pour nous aider à pénétrer cette culture fascinante
Nous avons donc pris rendez-vous pour le lendemain de notre arrivée et nous avons passé avec elle une journée de près de dix heures où elle nous a promenés dans toute l’île avec sa voiture. Nous avons sympathisé, elle nous a appris que pendant la pandémie, l’île a été complètement coupée du monde pendant près de trois ans. Si la population de l’île été préservée de la maladie, l’économie en a beaucoup souffert et particulièrement les artistes qui vivent de l’échange avec les visiteurs. Cela commence à aller mieux mais la liaison avec Tahiti (qui amenait près de la moitié des touristes) n’est toujours pas rétablie. Comme partout, ce sont les ventes d’œuvres d’art qui en ont le plus pâties. Pourtant Delphine est une artiste reconnue, on lui doit les vitraux de l’église de Hanga Roa (un travail toujours en cours), sur la passion du Christ illustrant les quatorze « stations » qu’elle a représentées en mêlant la culture chrétienne à celle des Rapa Nui. Ainsi chaque vitrail est chargé d’une multitude de symboles et de signes, un syncrétisme qu’elle a eu la gentillesse de nous déchiffrer. Cette œuvre cultivée aux puissantes couleurs étincelantes traversées par le soleil de l’ile de Pâques est à découvrir.
N’hésitez pas à lui commander ses peintures ou ses sculptures. Sa connaissance encyclopédique (et affective) de l’histoire et de la culture des Rapa Nui nous a ébloui et beaucoup appris. Nous lui avons posé de nombreuses questions, même si les réponses ne sont toujours pas évidentes.
Pour poursuivre la balade avec Alain Amiel, nous vous invitons à découvrir son récit sur son blog :
Chronique 2
Chronique 3
Chronique 4
Chronique 5