Frank Fay, l’homme des archipels
Frank Fay et Maud Pauït sont arrivés chez moi un jour, me parlant de leur travail, et un courant de sympathie est immédiatement passé… Leurs œuvres ont été présentes dans ma galerie dès le début des années 90, et Maud, en 1993, a fait partie de l’exposition « Entre femmes seules », parmi des œuvres d’Anna Béothy, Michèle Brondello, Marcelle Cahn, Edmée, Alberte Garibbo, Jani, Maguy Kaiser, Aurélie Nemours, Nivèse… et en 1996, j’ai fait une exposition particulière des « Peintures et Sculptures » (Totem) de Frank, la même année il était dans une exposition de groupe avec Alanore, Caroll Bertin, Charles Bilas, Jean Charasse, Jani, Alberte Garibbo, Martine Guée, Rosemarie Krefeld, Henry Le Chénier, Jean Mas, Emile Marzé, Nioré, Jean-Claude Rossel. Evidemment tous deux ont été présents dans l’exposition du CIAC en 2000 (Le Paradoxe d’Alexandre). Pour le catalogue de cette exposition Frank Fay a écrit :
J’ai rencontré Alexandre de la Salle alors que j’étais au début de ma rupture avec les archipels du Pacifique Sud. Quel tempérament, cet homme ! Le contraire même du pacifique... une véritable bataille en action. Je crois qu’il aura contribué très fortement à faire admettre un esprit de non-conformisme dans l’art, esprit qui, jusque-là n’avait pas précisément cours dans la région Côte d’Azur.
Il a su faire passer ce sens de l’éveil et de l’ouverture sans dériver vers l’écueil si fréquent du snobisme provocateur. Son action était toute de compréhension et militait pour la diffusion d’une authentique maîtrise, d’une vraie mesure. (Frank Fay, 1999).
Et moi j’ai répondu :
Tomber dans l’indianité de Frank Fay, piège facile ! Mais tentant. Car une pulsion étrange survit chez ce maître de l’abstraction géométrique vers ce qui d’ordinaire la nie : le signe, les signes d’une vie autre, signes qui, comme un alphabet inconnu, comme un « morse muet » viennent à la fois nier le cadre austère de la construction, mais en même temps lui donner seconde vie, comme font sur la paroi des cavernes les signes prodigieux d’il y a des dix mille ans. Ça veut parler, ça veut être là, et ça y est, parfaitement à sa place, celle du temps qui passe.
Car Frank Fay possède ce talent qui naît des grands métissages : ils rendent sensible à tous les signes, présent à ce qui, d’emblée, n’est pas forcément visible. Une manière bien à lui de forcer le réel.
Frank, si tes tableaux chantaient, ce serait sur une note unique, parfaite, qu’il n’y aurait plus à infiniment moduler. (Alexandre de la Salle, 1999)
Enfant j’avais un énorme plaisir à regarder le feu
Dans ce catalogue il y avait encore ces lignes de Frank Fay :
... Enfant, j’avais un énorme plaisir à regarder le feu, quand il commence à s’éteindre et qu’au travers de la cendre on voit cette lueur, rougeoyante, qui bouge, c’est prodigieux. Et la cendre, le lendemain matin, qui semble bouger, elle est d’un gris profond, comme du velours, comme de la fourrure, ce gris profond vient de ce qu’il y a de l’air, et cette couleur, les yeux la pénètrent... C’est la pénétration dans la couleur que je suis toujours en train de poursuivre. Une couleur qui n’est qu’en surface, ça ne m’intéresse pas. (Frank Fay)
Tu veux du feu ?...
Ce texte a été repris dans le montage vidéo que France Delville a fait, et qui a été montré un jour au Musée de Sens (2002), ainsi d’ailleurs que celui qui suit (extrait) :
Souvenir, peut-être de ces grands murs où la couleur peut « jouer » librement, hors image, où le silence mental reprend ses droits pour acérer la vision… « Tu veux du feu ? Cherche-le dans la cendre » (Rabbi Dov Ber de Mezeritch). Au-delà du paravent de l’image convenue, surprises des cendres divinatoires, formes à accueillir dans l’inattendu des structures aléatoires où souffle la légère brise des choses.
Aléatoire à l’origine aussi de ces bois cloutés, simili-instruments de musique vestiges de forêts dans lesquels « nul ne serait entré s’il n’était géomètre », trouvailles de la rencontre, comme chez Ernst où l’objet collé fait décoller un bref roman, histoire lilliputienne/ rébus. Totems-hommages à ce que le temps fait à la matière, à la rouille humanisante, histoires rythmées ainsi que des bouliers de fantaisie, à coups d’ensemble et de sous-ensembles, rythmes et chaos, toutes les surprises de déchets métalliques à l’insignifiance déniée, qui émettent des sons paradoxaux, sons visuels sortis d’une mathématique unique, c’est cela, l’art, une problématique d’exception... (Avida Ripolin alias France Delville)
Frank Fay l’Algonkin
Dans la plaquette qui a accompagné son exposition de 1996 chez moi, il y avait cette courte biographie évocatrice : Frank Fay, de descendance algonkine, est né à Paris, en 1921. Ses premières expositions eurent lieu à Paris, à Dax et à Neuilly sur Seine.
Il s’installe à Tahiti en 1949 puis en Nouvelle Calédonie. Son orientation artistique est abstraite depuis 1948, avec une tendance à la structuration. Elle connaît un court retour à la figuration entre 56 et 58, puis ce fut la replongée dans l’abstraction tantôt plus lyrique, bien que « mesurée », tantôt plus « construite ».
Peu après l’installation de l’artiste en Bourgogne du nord, son inspiration s’écarta d’un certain lyrisme nuagiste structuré, pour s’inté¬resser d’avantage à des contrastes utilisant le noir en rapport à des tons brisés, ce qui le conduisit à des constructions plus rigoureuses. La combinatoire numérique fut un des moteurs de ses compositions, avec un souci constant d’harmonie dans les demi-¬teintes. Les accords infinitésimaux provoqués par les séries exponentielles dans les mesures d’espacements, conduisirent aussi à une recherche raffinée dans les tons rares.
Cet art construit et concret, minimal, fut le lieu de la peinture de Fay à partir de 1987. Toutefois en dessin, il restait depuis tou¬jours linéaire, graphique, structuré et utilisant souvent des signes. Ses dessins sont toujours des « pièces uniques » et ne lui servent pas de projets pour des tableaux. Ils sont comme l’expression d’une « mythologie quotidienne » dans leur automatisme d’écriture. Depuis 1994, les peintures, tout en restant géométriques, utilisèrent par moment des « glyphes » en relation structurelle avec le contexte construit. On parle sans doute à tort d’introduction du dessin dans la peinture : ce ne sont pas des dessins mais des concrétions de la surface picturale.
L’activité sculpturale de Frank Fay connut une évolution spécifique. Les fers soudés apparurent en 1963 ; la production s’en arrêta en 1972. Les « bois cloutés », eux, nés en 62, continuèrent d’être créés sans défaillance jusqu’à aujourd’hui. Parfois les plans de bois géométriquement découpés et assemblés, gainés d’une patine, sont la seule réalité de la sculpture ; parfois encore, clous, vis, ou autres signes sont disposés « en situation » dans la composition.
La carrière poétique de Frank Fay est relativement restreinte en publications. Intensités, parut chez Debresse en 1942 et les 10 pages du Serpent Pan et la Sonnette nette furent distribuées dans les rues de Paris en 1949. En 1980, huit pages sont consacrées à l’artiste dans une anthologie de Poètes francophones publiée chez J. M. Martin. Enfin depuis 1968, Fay s’adonne d’une manière suivie à la création d’objets poèmes. Dernièrement, fin 1995, il réédita pour la galerie Toner, à Sens, le texte du Serpent Pan et la Sonnette nette augmenté d’une préface et d’une postface de l’auteur.
Cinq dessins origi¬naux créés en photocopie furent réalisés pour accompagner le texte et la couverture. En 1996, les éditions Robert et Lydie Dutrou, à Parly, ont édité En Deçà, une suite de courts poèmes imprimés en tampo¬graphie, accompagnés d’eaux fortes originales.
« Frank Fay – Peintures – Sculptures 1962-2001 » à l’Orangerie de l’ancien Palais des Archevêques
La vie de Frank Fay, Bernard Fauchille, Conservateur des Musées de Montbéliard, la raconte autrement dans le catalogue de l’exposition « Frank Fay – Peintures – Sculptures 1962-2001 » au Musée de Sens (24 février-12 mai 2002), Bernard Fauchille avec qui nous avons passé une journée passionnante chez Frank et Maud, à Chichery, en 2001 :
Frank Fay mène une vie plutôt discrète. Né à Paris en 1921, il y expose dès 1939, puis s’installe en Polynésie en 1949, déployant une activité fébrile au service de l’art du peintre et du sculpteur, multipliant les « époques », allant du « gestuel » au « construit ». En 1985, il revient en France et entame une nouvelle période géométrique, entrecoupée de quelques incursions vers l’abstraction lyrique.
Nous pourrions dire que, si un certain goût du geste prédomine parfois dans son œuvre, un nuagisme diffus fait vite contrepoids avant de donner naissance, en se cristallisant, à une recherche de structure qui n’aura de cesse de devenir minimale, c’est ce qui fut le cas vers 1987, en Bourgogne où le peintre s’était installé.
(A suivre)