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CHAPITRE 15 (Part IV) : Chronique d’un galeriste

Suite de la chronique d’Alexandre de la Salle...

New-Riviera Côte d’Azur Hiver 1993

L’adieu du jour vite
Et le 8 février 1999 fut achevée d’imprimer l’édition « L’adieu du jour vite », composée de sept sérigraphies d’Alberte Garibbo et de poèmes haï-kaï inédits de Hugo Caral. Le poème de Caral s’égrénait, et s’égrène toujours entre de somptueuses pages d’un noir absolu, velouté, où des lumières diffuses, en biais, viennent épaissir le mystère et pourtant le parler : l’au-delà est bien là, comme une porte à peine perceptible mais si troublante. Et de francs traits blancs, ou dorés, viennent faire frontière, et tenir l’espace… Et, peut-être, comme des épées, trancher le nœud entre visible et invisible…

Nice-Matin Juin 1992

Voici en tous cas les haï-kaï de Hugo Caral :

L’adieu du jour vite

plages du silence
marges noires de la nuit
sur le feu des cendres

noir noire si noire
terre d’après le feu
quelques braises encore

noir illimité
en son sein saigne le sang blême
mais où l’aube à naître

ses peaux n’en sont qu’une
l’ultime n’est pas dernière
ô temps de l’énigme

océan de pierre
héraclite ton silence
là-haut l’aigle plane

stridence initiale
noirs d’où sourd toute lumière
aux siècles s’égarent

l’adieu du jour vite
au passage de l’obscur
meurtrières rouges

ton œil d’indivisible
lune cachée pour inconnues
les voies du silence

diagonales vite
visée d’univers aux angles
ascension et chute

fracture du temps
aux deux portes du néant
l’ombre est impalpable

saison des ténèbres
jours plus courts azur moins bleu
mais l’âtre au cent flammes

lointains s’indiscernent
au magma la terre s’ouvre
l’ombre s’écarlate

océane noire
des mille ans tu te souviens
sur l’arc d’occident

faille inaugurale
sous le noir l’incandescence
ravivée elle hurle

Invitation exposition 1998

Quand un livre joue entre les lignes
De ce livre France Delville a parlé dans une revue, sous le titre « Quand un livre joue entre les lignes » : Sur la proposition de Mr Jacques Lavigne, les Bains Douches d’Antibes montrent jusqu’au 31 octobre 1999 les œuvres d’Eric Corbier et Alberte Garibbo. Lors du vernissage eut lieu la signature d’un porte-folio d’Alberte Garibbo et Hugo Caral intitulé « L’adieu du jour vite », porte-folio produit par le secteur Edition de l’Ecole Pilote Internationale d’Art et de Recherche de la Villa Arson à Nice. Alain Boullet, directeur du secteur Editions, Laura Pissarro-Corti, professeur de sérigraphie, et Christian Bertoux, professeur de photo-gravure, ont souhaité inviter le peintre Alberte Garibbo et le poète Hugo Caral à éditer ce travail.
Ce porte-folio étant un objet précieux, symphonie de papiers, couleurs, textures... objet porte-feuilles dont la composition elle-même, en panneaux se dépliant sur d’autres objets-surfaces, indique un étrange voyage gestuel pour celui qui désire interroger le noir, le blanc, la peinture, l’écriture, et quelques zébrures... pour celui qui désire s’avancer à dire... comme on se laisse aller à murmurer ce que l’on perçoit dans la nuit... Travailler le noir comme s’il était une couleur ou tout au moins cet éventail de virtualités qu’offre le spectre de la lumière, au sens double de la technique, mais du fantôme : cette errance entre les plans d’un espace cadastral pressenti, donne à attendre, à chaque détour, la surprise d’un rai incandescent de blancheur, ou de ce feu que pratique Alberte Garibbo, blason devenu familier, feu qui, dans le jeu de l’endormissement, cloque la terre de ses dentelles grésillantes. La presse force le papier à muter, presse qui entraîne à la concrétude de la matière, presse qui repousse aux derniers retranchements, ceux d’une fusion. « Ascension et chute », souligne alors Caral. C’est que le déploiement du livre fait pulser d’avant en arrière le proche et le lointain, le compact et l’aérien...

Vernissage du « Paradoxe d’Alexandre » au CIAC, 1er Juillet 2000, Alberte Garibbo avec André Bastiani, Emile Marzé, Gérard Eppelé, Antonio Sapone, Jean-Jacques Ninon
Photo Houeix

Ce mouvement de plans, immobiles s’il en est, étonne - on pourrait dire « déroute », et crée l’arrêt dans lequel la figure vient à notre rencontre, soutenue par les fulgurantes cadences de Caral :

diagonales vite
visée d’univers aux angles
ascension et chute
Deux voix silencieuses ici se répondent, deux minimales désignations de lieux où s’opère le travail du verbe lui-même, laissé - par les deux artistes, dans un retrait fécond - à sa responsabilité de nommer le monde.
(France Delville, septembre 99)

Le haï-kaï, langage troué de silence, entre vides et pleins, non-dits, suspension du sens, acceptation de l’ellipse et de cet éloignement des choses qui produit au contraire un surcroît de présence, m’a toujours semblé pouvoir aller à la rencontre des espaces subtils d’Alberte Garibbo.

Vernissage du « Paradoxe d’Alexandre » au CIAC, 1er Juillet 2000, Alberte Garibbo avec Pierre Marchou (Raphaël Monticelli, Alexandre de la Salle)
Photo Houeix

Du noir aux noirs
Mais en 2002, pour l’exposition des Ponchettes, dans le catalogue j’ai eu à cœur de faire un peu le point sur le Noir lui-même, comme en 2005 Christophe Cadu-Narquet écrira « Histoires naturelles de la couleur – le NOIR » avec une édition de tête se composant de 20 gravures originales numérotées et signées d’Alberte Garibbo. Christophe Cadu-Narquet qui, à la Maison des Arts de Carcès, en compagnie de Michèle Pronzac, a exposé Alberte Garibbo, et particulièrement avec Geneviève Asse, Jean Degottex et Pierre Soulages.
Cet essai est intitulé « Du noir aux noirs » :

I - Au XVII et au VIIIème siècles, en Peinture, et au Théâtre, Arts sous haute surveillance, on représentera le Noir, jamais le Nègre objet de la Traite innommée, innommable, Objet, soit, Sujet, jamais. Il n’est qu’une couleur, un être sans Étre, à mi chemin de l’homme et de la bête, bibelot paré et perruqué, un enjoliveur. Le noir, la couleur noire, va conserver longtemps un statut paradoxal, de couleur, certes, mais d’emblée affectée d’un coefficient de dangerosité sociale et même esthétique. En 1573, l’Inquisition obligera Véronèse à modifier sa représentation d’un noir.
On ne sortira que peu à peu de cette ambiguïté qui survivra aux Lumières, et même à la Révolution.

Alberte et Michel Garibbo chez Laura Corti à La Napoule dans les années 1990

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