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CHAPITRE 13 (Part III) : Chronique d’un galeriste

Suite de la chronique proposée par Alexandre De La Salle cette semaine...

De la géométrie en colère

Dans le catalogue du one man show d’Horacio Garcia Rossi dans mon stand au Salon « Découvertes » (Grand Palais, Paris), il avait lui-même tenu à rappeler ce qu’il avait déjà exprimé en juillet 1982 :
« Dans le chaos de l’art contemporain, dans la Babel pseudo artistique des dernières années, dans le retour maladroit à la figuration la plus banale on retrou¬ve les signes d’une régression artistique sans équi¬voque, et d’une profonde et véritable crise.

Catalogue « Couleur Lumière » Galerie de la Salle 1988
DR

Leonardo da Vinci a dit : L’arte è cosa mentale, et fait appel à l’intelligence. Tout fait penser aujourd’hui que ce message essentiel et prophétique a été oublié.
Depuis le début de ce siècle, quelques artistes (Mondrian, Moholy-Nagy, Malevitch, etc.) ont découvert les lois propres du faire artistique, lois qui ne doivent rien à la vision du quotidien. L’art devient vision pure, sans points de repères naturalistes.
Le message est impliqué dans l’œuvre et il est le résultat de la forme, de la couleur, de la trame, de la ligne et des matériaux, tous éléments purs. Ces éléments ont été expérimentés et l’expérimentation continue encore parce qu’ils possèdent en eux-mêmes des possibilités infinies de développement. La régression artistique actuelle, à laquelle ne sont pas étrangers des facteurs socio politiques, a comme composantes négatives la médiocre professionnalité et le manque de capacité artisanale que l’on tente souvent de masquer sous d’inutiles textes philosophiques et d’essais incompréhensibles.
L’art programmé, cinétique, construit, géométrique est en colère. Mes dernières recherches témoignent de ma colère. (De la géométrie en colère) » (Horacio Garcia Rossi, Paris, Juillet 1982)

Horacio Garcia Rossi dans son atelier, catalogue Galerie de la Salle 1988
DR

La couleur révélée

Et dans le même catalogue, sous le titre : « Garcia Rossi, La couleur révélée ou La couleur-lumière », Claude Dorval écrivait :
« Garcia Rossi représente ce que l’art, en France, aujourd’hui, comporte de plus authentique au regard d’un esprit de recherche et d’une démarche en perpétuelle évolution.
Nourri d’un ferment qui, à Buenos Aires, révolutionna la pratique esthétique autour des années 1950, Garcia Rossi orienta son art vers la géométrie. Sa curiosité d’esprit, son dynamisme et sa ferveur le poussèrent toujours plus loin dans l’approfondissement d’une problématique préoccupante : la lumière liée au mouvement.
A un moment de l’histoire de l’humanité où la science prétend féconder la matière, en mesurer tous les éléments, le phénomène lumière est quantifiable. Il ne relève plus du mystère qui alimente le rêve, cependant que le sentiment poétique qu’il suscite repose sur une notion de mouvement, d’instabilité, de fugacité qui interpelle, surprend et fascine. Cette fascination qu’exerce la lumière sur l’imagination, Garcia Rossi, à travers sa peinture, l’a portée à son comble. Il est vrai qu’une grande connaissance des sciences physiques, des règles fondamentales de l’esthétique et de la psychologie humaine s’ajoute à un sens développé de la perfectibilité. Le public, ainsi, devient complice d’un spectacle qui le conduit dans les sphères de la magie et de l’immatériel.
Ce partage entre le rationnel et l’irrationnel constitue la pierre d’achoppement qui, en définitive, supporte l’œuvre et la pensée de ce magicien en quête d’absolu.

Catalogue « Couleur Lumière » Galerie de la Salle 1988
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Dès 1959, un an après son installation à Paris, le degré d’avancement de ses découvertes basées sur le mouvement intégré, et réalisées en noir et blanc, l’amène à fonder avec Le Parc, Morellet, Sobrino, Stein et Yvaral, un groupe de recherches appelé G.R.A.V.
Ils explorent, à ce moment de leur parcours, les effets de vibration des couleurs juxtaposées.
Par un enchaînement logique de la pratique, Garcia Rossi réalise alors les Boîtes à Lumière, mettant en évidence le phénomène d’instabilité. Ce concept constitue ce qui par la suite, devient l’essentiel de ses préoccupations.
Après la période des Reliefs, puis des Structures à lumière instable et Structures à lumière changeante, il aborde, dans leur complexité, les codes de signification attachés au subconscient, soit l’ambiguïté de la perception de l’espace lorsqu’il est lié au temps et transmué par la couleur.
Un cheminement plus ou moins abrupt et sinueux le conduit, dès 1978, à la Couleur Lumière : œuvres à deux dimensions, où lumière et couleurs fusionnent pour former une entité indissoluble et imprévisi¬ble.
Les années 1980 voient naître et proliférer en sa diversité, la série Couleur Lumière, Couleur-Couleur et Couleur-Lumière-Couleur, qui se poursuit encore de nos jours.

Catalogue One man Show Salon Découvertes 1992
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La singularité chromatique d’une figure élémentaire : cercle, ligne ou carré, exalte un rai de lumière concrètement capté. Tous les possibles sont ainsi exploités jusqu’au paroxysme de la sensation pure. La subtilité de la perception s’intensifie par-delà le réel. L’ordre des rythmes, des proportions, au-delà de la forme, constitue une esthétique qui lui est propre.
Inlassablement et sans dérogation, Garcia Rossi suivit les sentiers d’une intuition dont la vision s’étend au-delà des chemins de la science. En partant de la ligne, il pénètre aux sources de la force vitale, concentrée sur un essentiel de plus en plus exigeant.
Mondrian, à propos de son œuvre, aurait pu s’expri¬mer en ces termes : ... Elle est l’expression plastique exacte de l’équilibre cosmique  ». (Claude Dorval, Paris, Juin 1991)

Catalogue « Couleur Lumière » Galerie de la Salle 1988
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Dans la même passion de l’abstraction géométrique, Claude Dorval et moi avons pu collaborer à une certaine époque. Elle a exposé Horacio, et aussi beaucoup Arden Quin et Madi. Dans « Profils Arts » à l’occasion de l’exposition Arden Quin à la Galerie St Charles de Rose et Galerie Keller, en mars-avril 1990, elle a écrit un texte intitulé « Carmelo Arden Quin, Structure et mouvement », où elle fait référence au rapport au mouvement de l’invention de celui-ci, et c’est intéressant parce que dans l’un des clips qui accompagnent ce chapitre, Horacio reconnaît aussi Carmelo comme quelqu’un qui a lancé toute une génération sur la voie du mouvement, tout autant que sur la voie de la polygonalité. Elle dit : « Concrétiser le mouvement », c’est là tout l’objet de son œuvre, et l’on retrouve en ces deux mots : concret et mouvement, tout un programme, un style, une tournure d’esprit et l’orientation de ses recherches en perpétuel devenir (…) C’est en 1945 qu’apparaissent les structures dites « Coplanales ». Le relief n’est plus une structure plane. Elle devient convexe, ou concave ou les deux à la fois, selon un concept de mouvement, de mobilité, de dynamisme, fondement de toute vie ...(…) Les années 1951 / 53 sont mar¬quées par une production de sculptures mobiles à moteur « optique vibration », en coopération avec le groupe MADI, etc. ( Claude Dorval)

Vernissage Garcia Rossi à Brescia décembre 1985, Horacio Garcia Rossi avec France Delville, Alexandre de la Salle, Salvador Presta, Carmelo Arden Quin, Edith Aromando
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Prémisses incontournables de l’art cinétique

Dans ma préface du catalogue édité par l’Espace Latino-américain et moi-même en février 1983, j’avais mis l’accent sur la place du mouvement dans la révolution opérée par Arden Quin, surtout dans ce passage :
« C’est non seulement en s’arc boutant les uns sur les autres, mais plus encore par le jeu de leurs contradictions, de leurs brusques confrontations, de leur subtile dérive, que les éléments de la surface peinte vont créer une harmonie supérieure et susciter cette floraison d’œuvres étranges, dérangeantes, et belles de leur surprenante audace et de leur liberté inouïe. Les « Coplanals » sont un des sommets de ses trouvailles. Composés de plusieurs polygones peints, vissés sur une structure à claire voie, chacun de ses éléments carrés, cercles, triangles, vit d’un seul et même mouvement, de sa vie propre et de celle de l’ensemble où ils viennent s’insérer. Non seulement la totalité générale est mobile, par élongation des parties ou par aplatissement, mais pour chacune de ses positions, elle peut être modifiée par la plus infime variation d’un seul de ses éléments constitutifs. Tous ces déplacements se font dans l’unité d’un seul et même plan, jamais d’avant en arrière. Ces travaux constituent les prémisses incontournables de l’art cinétique ».
Et aussi : « A partir de 1949, les recherches d’Arden Quin se sont infléchies : toujours sur des formes libres, planes ou courbes ; il réalise toute une série d’œuvres sur fond blanc, où le jeu des lignes et des micro formes colorées vire à une obsédante hallucination, à une systématisation de ce jeu optique à l’origine duquel on le trouve encore. Maints acteurs de cette tendance passeront par son atelier ».

(A suivre)

 Cliquez ici pour relire la première partie de cette chronique.

 Cliquez ici pour relire la deuxième partie de cette chronique.

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