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CHAPITRE 12 (Part I) : Chronique d’un galeriste

La chronique de la semaine signée Alexandre de la Salle, dédiée à Christiane Alanore.

Ses dessins, ces ciselures d’anatomies, et sa peinture, une sorte de lave en fusion pour chairs en transes, disent à la fois la tendresse et la cruauté des corps qui s’étreignent et s’enchantent. Elle dit que l’amour peut-être violent, et d’ailleurs elle dit tout ! Christiane, c’est quelqu’un qui dit tout, qui ose tout dire. Elle est impressionnante. Je l’ai exposée à partir de 1984, du 16 Juillet au 20 Août, c’étaient ses Dessins, ensuite, en 1985, du 16 Juillet au 14 Août), c’étaient ses Peintures. En 1989, du 3 Juin au 5 Juillet, je lui ai fait une espèce de rétrospective : « Dessins, Gouaches, Peintures ». En 1991 (27 Décembre-31 janvier) : « Gouaches et dessins ». En 1994 (6 Mai-14 juin) : « Peintures ». En 1996 (20 Juillet-14 Août) : « Peintures, Gouaches, Dessins ». En 1998 (9 Avril- 13 Mai) : « Les Érotiques » (Dessins 1948/49/50), et elle n’a jamais cessé d’être présente dans ma galerie, et aussi dans diverses expositions de groupe. Pendant presque 20 ans, donc, elle a été là, et ce n’est pas pour rien, c’est une grande artiste.
En 2000, présente encore dans l’exposition « Paradoxe d’Alexandre » au CIAC de Carros, elle a écrit : « J’ai eu la chance de rencontrer Boris Vian, Raymond Queneau, Jean Dubuffet, et Alexandre de la Salle. La peinture n’est pas chose aisée, il faut se battre, détruire et reconstruire, je me bats chaque jour. Matière et équilibre sont primordiaux ».
Jean Dubuffet qui a parlé à son sujet de « Beaux graphismes cursifs à mouvement d’écriture », dans une lettre en 1973. Une lettre adressée à elle, car ils se sont beaucoup écrit, beaucoup fréquentés. Il reste à Christiane, de lui, une belle correspondance.

Christiane Alanore dans les années 50
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Elle est avant tout celle qui, fascinée par le couple, ses amours, ses explosions, et, bien sûr, sa sexualité, en a fait le thème central, aussi bien de ses dessins que de ses peintures. Il est évident que ses dessins des années 40/50 ont joué un rôle de provocation, d’évocation, et d’incitation dans ceux de Dubuffet. Qui a immédiatement perçu cette force exaspérée de l’incise, de ce trait terrible, qui lacère, éclabousse la feuille, et où l’expression sourd d’un combat fantastique. Noirceur de l’encre, noirceur du trait vitriolique, noirceur des personnages pris dans des contes « pas-pour-enfants ». Brutalité et tendresse, foisonnement et lignes maîtresses, ses dessins sont d’une qualité exceptionnelle. Ceux de sa seconde période, réalisés en écriture quasi-automatique - les yeux fermés les trois quarts du temps - sont allègres, dansants, jubilants, captant toute la vitalité du mouvement. Ses peintures, lisses, sont si lisses que, par- dessus les empâtements, du bout des doigts on ne sent rien, comme si, pour l’œil, elle avait voulu un spectacle, une fête, sans obstacle, fluide, poursuivi. Comme polis par le temps. Une sorte de monstrueux talent, procédant de l’être entier, arrimé et détaché de tout son corps. Je ne sais d’art primitif qui soit plus intensément primitif que le sien. Barbare ? Peut-être : barbare des villes, des cités dures, là où tout est frôlements, vols et viols, et cris.

Huile d’Alanore (1983)
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Christiane Alanore à Paris

Née le 26 décembre 1924 à Paris, Christiane Labatide dite Alanore a fait sa première exposition en 1949 chez André Poujet, dans l’île de la Cité, une exposition de gravures et peintures accompagnée de la présentation du livre de Raymond Queneau « Le Cheval troyen », illustré de pointes-sèches de Christiane. Deux cent vingt-cinq exemplaires aux Editions Georges Visat, Paris. Puis, en 1950, ce sera l’illustration du recueil de poèmes de Boris Vian : « Cantilènes en gelée », aux Editions Rougerie. Le vernissage a lieu au Club Saint-Germain. En 1952 c’est l’illustration d’un recueil de poèmes de Claudine Chonez intitulé « Levée d’écrou », toujours aux Editions Rougerie, et, à la Galerie Jeanne Castel, une exposition de peintures et dessins. Une autre exposition est organisée chez Jeanne Castel en 1955, avec une préface de Fernand Gregh, de l’Académie Française, le grand-oncle de Christiane. Pour l’exposition de 1958, la préface sera de Jean Giono, 1958 est aussi l’année où naît le fils de Christiane.
En 1973 Frédéric Altmann met Christiane Alanore dans l’exposition « L’An I de l’Art Marginal » au Musée d’art naïf de Flayosc qu’il vient de créer. C’est Jean Charasse qui a présenté Christiane à Frédéric. C’est qu’elle est venue s’installer à Cannes, où elle habite encore aujourd’hui. Elle va donc exposer ses peintures à la Galerie Gann (Cannes, 1974), et en 1975 Dubuffet acquiert dix de ses dessins pour son Musée de l’art brut à Lausanne. La Galerie Remarque de Trans en Provence expose peintures et dessins, et, en 1976, édite, en 50 exemplaires, une gravure intitulée « Extase ». Frédéric Altmann continue de présenter les peintures et dessins d’Alanore (1977) dans sa galerie de Nice « L’Art Marginal ». C’est là aussi qu’en 1978 est offerte au public la réédition des « Cantilènes en gelée », au cours d’un vernissage. Après une nouvelle exposition de peintures et dessins à Trans en Provence, en 1984 et 1985 j’organise moi-même deux expositions de dessins puis de peintures de Christiane Alanore.
Jusqu’à ses toutes dernières expositions en 2010 chez Olivier Nouvellet (Paris), Serge Aboukrat (Paris), Musée International d’Art Naïf Anatole Jakovsky (Nice), et, en avril-mai 2012, à la Galerie Pigments de Jacques Jaubert (Lurs), et en septembre 2012 à la Salle Elagora de Falicon (20e Exposition d’Art Singulier), les travaux de Christiane Alanore ont été montrés régulièrement dans diverses villes de France, Suisse, Allemagne, New-York… Elle est aujourd’hui en permanence à la Galerie Artgument qui en 1993 avait présenté « La Conversation » de Christian Nicaise, illustrée de dessins de Christiane. En fait de publications, rappelons celle réalisée par la Galerie Alexandre de la Salle à travers les Editions Paul Bourquin en 1991, il s’agit de l’album « Couples » : dessins de Christiane Alanore, texte d’Avida Ripolin.

Le cheval Troyen de Raymond Queneau illustré par Christiane Alanore

Gravure d’Alanore dans le « Cheval troyen »
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Gravure d’Alanore dans le « Cheval troyen »
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Gravure d’Alanore dans le « Cheval troyen »
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Mais tout a commencé avec l’ironie, l’acidité, la fantaisie de Raymond Queneau qui ont pu trouver leur équivalent dans les dessins de Christiane. Si subversifs eux-mêmes qu’un peu plus tard, au Club Saint-germain, pour Cantilènes en gelée cette fois, ils durent, à la demande du public choqué, être effacés des murs où Christiane les avait reproduits à l’encre de Chine pour décorer la fête. Le texte de Raymond Queneau intitulé « Le cheval troyen » est évidemment à mourir de rire, c’est un homme qui entre dans un bistrot, s’installe au bar, apparaît un limonadier à l’air féroce. Toutes les tables sont occupées, les gens s’occupent d’eux mêmes, les garçons bâillent, le nouvel arrivé va au bar, demande un verre d’eau, « bien, monsieur », répond le barman, il lui sert un verre d’eau avec un glaçon, dehors il fait froid, l’orchestre joue, des gens se lèvent pour danser, le barman s’envoie un gin, une femme entre, va s’asseoir à côté de l’homme. Le barman surgit.
- Vous me donnerez un autre verre d’eau, dit l’homme, celui-ci a tiédi.
 Vous ne la voudriez pas minérale, cette fois-ci ?
 Non, répondit l’homme.
 Et pour Mademoiselle ? demanda le barman ?
 Rien, répondit la femme.
 Et ce sera tout pour aujourd’hui ? demanda le barman avec une très légère insolence.
 Oui, dit l’homme, ce sera tout.
Le barman servit le nouveau verre d’eau. Il mit un morceau de glace dedans.
 Alors ? demanda la femme à l’homme.
 Alors, rien, quelle vie, murmura l’homme.
 Ce n’est pas drôle, dit la femme ».

Et puis à un moment : « Un cheval, qui se trouvait au bar, se pencha, et proposa à la femme de prendre un verre avec lui, ainsi qu’au Monsieur qui l’accompagnait ». Ils n’en ont pas envie, sont dans une conversation privée, sur la tante Charlotte, qu’il va falloir taper car ils sont fauchés, ils veulent sans cesse éconduire le cheval, qui leur dit qu’il est de Troie. Troyen, avec un grand-papa centaure, une grand-mère jument, une sœur à deux pattes, danseuse au Tabarin, qui joue le rôle d’un petit cheval, etc. Le cheval se dit généticien, il aimerait s’adapter, parler comme eux, boire comme eux, être accepté. Mais il va découvrir qu’ils sont plus « bêtes » que lui, qu’ils sont mesquins. Et quand à la fin il leur offre autre chose que de l’eau, des gin-fizz, et qu’ils acceptent, il les leur vole, et les boit lui-même. Comme pour les punir d’avoir employé le mot « crever », au lieu de mourir. Le mot « crever », c’est ce qu’on emploie pour des bêtes, et ils l’ont appliqué à la tante Charlotte. Ils se sont discrédités. Et ils n’ont plus qu’à partir dans le mauvais temps. C’est une très jolie fable, très fine derrière l’absurde. Et les dessins d’Alanore sont tout à fait dans le ton : débridés, mais infiniment sensibles. Elle qui aime tellement les animaux a vraiment été la personne idéale pour illustrer ce conte. Ce livre est vraiment historique.

A suivre

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