Frédéric Altmann – André Verdet sait bien reconnaître l’importance des gens qui l’ont aidé à se frayer une route, entre autres Picasso, Restany qui était comme lui dans un Ministère après la guerre, et Jacques Lepage. Et toi bien sûr ensuite, lorsque tu le mets dans ta première expo « Ecole de Nice ? » en 1967.
Alexandre de la Salle - Jacques Lepage, qui, avec toi, à la fin de la même année 1967, le mettra dans l’exposition d’archives « Autour de l’Ecole de Nice » au Club des Vaguants, et qui, déjà en 1965, avait écrit sur lui un texte très adéquat, on le constate en le relisant. Parler d’André dans son jardin, c’est vraiment très judicieux. La Camargue dont j’ai parlé un peu plus haut est décrite par André comme un jardin planétaire, et nous avons tous vu, aussi, comme le jardin du Clos de Tantine était un chef-d’œuvre en soi.
André Verdet : le préposé aux jardins
Lepage titre « André Verdet : le préposé aux jardins », parle d’enracinement, et que l’on ne peut comprendre l’œuvre de Verdet si on néglige cet enracinement. Je crois que c’est essentiel. C’est un long texte, mais il est une clé pour comprendre l’œuvre d’André :
« L’art des jardins est à l’image de l’homme. Voyez le XVIIe siècle et la géométrisation de la nature : Boileau, Simon, Descartes, en donnent le plan psychique. Nos romantiques voudront les saules. J’aimerais voir un jardin conçu par un surréaliste... Mais à aucun d’eux je ne pense en regardant André Verdet arracher au sien quelques mauvaises herbes. Non. Sous le rempart de Saint Paul, ce triangle sévère échappé’ à l’avidité des amateurs de vedettes s’apparente, loin de France, aux jardins discrets dont le japon détient le secret. On songe à, ces jardins raffinés et voulus pour la méditation, avec, ici, plus d’abandon.
Ce jardin de Saint Paul est il autre que l’homme Verdet, peintre et poète enraciné dans sa terre proven¬çale ; un figuier noueux, sec, aux fruits de miel ? A la porte même, on en trouve témoignage : le Clos de Tantine. Oui. Sourions. Ce n’est guère Saint Paul, semble t il, ça. Voilà la première grandeur de Verdet ; sa tante et son oncle paysans lui ont donné l’amour de la « campagne »," comme on dit ici, le goût du sol qui fait les hommes sobres et les reins durs.
Ici Verdet a créé un équilibre, une stabilité, non en contraignant la nature comme le fit Le Nôtre, mais en se l’alliant. Son goût du mur, son amour de la pierre, sa soif d’arbres, son besoin d’abri, la forêt, qui l’obsède, pêle mêle voici jetés les éléments en travail. Alors Verdet assagit les monstres : le jardin naît.
Ce n’est pas d’hier. Voici dix ans il le chantait :
On est même capable
De faire éclore les plus subtiles mosaïques
Toute une orfèvrerie de cultures vivrières
Un album d’or de jardins coloriés...
Aujourd’hui, c’est ainsi. Et disposant des murs, où mieux poser les signes et exorciser les puissances des ténèbres, divinités des sources, rocs, monts que la Haute Provence a suscités en lui ? Malbos et Valmasques en portent témoignage : les voici resurgis en fresques ou antifresques pariétales. Sévères, rehaussées de tons purs, arrachées aux suaires de l’inconscience, ses formes magiques se gravent, sombres énigmes posées devant le soleil couchant, hiératiques, signifiant aux visiteurs une communion panique qui s’adoucit ici dans les feuillages d’oliviers. Imbriqués, le minéral, le végétal et l’homme, par le truchement de l’art, créent un sortilège nouveau. Pour cela Verdet n’eut besoin que d’allier aux arbres les lianes de la vigne, la sauge, le thym, la marjolaine, la verveine, la menthe, les roses, et les pierres désenfouies au plateau de Coursegoules. Ah, les pierres de Verdet ! Il faut les voir à toutes heures du jour et sous la lumière lunaire.
De leur Camp des Idoles il les amène, vie minérale prodigieuse, disant : « La nature me copie bien ». Osmose, rencontre a posteriori, Verdet retrouve ses Valmasques statufiés, et avec eux les mondes effacés d’Egypte, des Khmers et des Maya, qu’il arrache au sol pour les ériger au jardin mémorable. Et tandis que les abeilles butinent, enfiévrées, les lavandes, André Verdet disserte sur le retour de l’art dans la nature, la réintroduction de la nature dans l’art, retrouvailles d’une réalité qui fut le secret d’Antée... Mais est il un jardin sans abri ? Sans doute, non. Il faut une grotte et la maison est elle autre chose ? pour que l’homme trouve refuge contre les puissances magiques et assurance de repos. Au jardin de Saint-Paul, Verdet n’a pas transgressé les lois. Il s’est bâti un asile aux dimensions d’un homme encore noué au jardin, par ses pores, par ses poutres, ses alvéoles, et qui recueille quelques œuvres du peintre disposées au hasard. Aux questions que l’on pose sur les Ciments, dont certains fort beaux, qui nous entourent, Verdet répond : « Mes Ciments et mes Plâtres manifestent mon désir quasi incessant d’un retour aux éléments primordiaux. Je n’emploie, mêlés à la matière, que les oxydes que le temps peut atténuer sans pouvoir leur retirer cette allure de traces, éminemment de signes ».
L’outil étant ici la main, il s’en trouve que la matière ductile reçoit une sorte de pouvoir magique, incantatoire, par ce contact immédiat avec le créateur. Cela se retrouve dans les Vitrifications, colère de matériaux en expansion. Il s’agit de Malbos déchirés ; ils se décomposent mais suspendus en un temps voulu pour que le tourbillon lacérateur les informe et nous les livre ainsi plus beaux d’être surpris au zénith de leur éparpillement.
Revenons au jardin, dont nous ne nous sommes guère éloignés puisque beaucoup des œuvres que nous énumérions y naissent. Ici, Verdet travaille. Il est de cette race inépuisable qui sans différer remet sans répit en chantier un nouveau plan de ciel. Nous sommes à mille lieues de Saint-Paul. Tandis que le soleil décline, les abeilles se hâtent ; les roches allongent une ombre tourmentée et la lumière bondissante caresse les feuillages du mimosa, pénètre l’entrelacs du claqueminier, des citronniers, des orangers, aux verdures intenses. L’heure est ouverte aux séductions. L’enchantement gagne en intimité. La terre de Provence, avec tous ses éléments, est ici circonscrite. Entre les murs de pierres vivantes, les romarins, les roches, un univers aux dimensions du regard pose les règles d’un équilibre précaire. Verdet y vit dans l’exaltation des sources qui lui sont communes avec la nature qui l’a vu naître, avec les éléments originaux : terre, eau, ciel, qu’il interroge. Ici il entretient avec eux un rapport de puissance et, les disciplinant, se construit en les rythmant. Cette structure essentielle, il la subit autant qu’il la crée et il la communique à ces œuvres qui par elle respirent et témoignent. Le Luberon est dans ce jardin. La Vallée des Merveilles est sur ces rocailles. Là est le lien.
On ne peut comprendre l’œuvre de Verdet si on néglige cet enracinement. Il l’a dit, c’est avec Provence noire que s’est révélée à lui la dimension cosmique de l’homme. De ce temps date aussi la grandeur orphique de sa poésie. Dès ce moment la réalité vivante, secrète, de la Provence lui a été connue. Il en est devenu le chantre ; mais aède sans concession qui sait leçon, dit il, de la Méditerranée qu’on ne s’appropriera jamais la vérité, qu’on ne fera que s’en approcher de plus en plus et mieux. Nous savons maintenant que le monde n’a pas été dompté une fois pour toutes. Mais le jardin d’André Verdet dit qu’il est une mesure qui permet à l’homme d’exorciser les monstres dont les archétypes nous habitent. C’est pourquoi Verdet, malgré l’obsession qu’il confesse pour la Forêt, décrite dans un beau poème, reste l peintre et le poète solaire de Saint Paul de Vence. Nouvel Orphée, il s’y livre aux enchantements créant les dieux qui président, impavides, en haute lumière, à l’ordonnance du jardin, point à la façon débridée du bois sacré de Bomarzo mais selon un ordre, une cadence stellaire, car, pour Verdet, sa vision, serait-elle délire, s’épanouit à partir d’un ordre. Et ici, dans une fusion de l’homme et de la nature, il nous offre, mesuré à la toise de l’esprit, le Jardin-refuge, le Jardin méditant, lieu du silence et de l’ombre ensoleillée où enfin un homme vit » (Jacques Lepage, 1965)
Avec cette phrase : « On ne peut comprendre l’œuvre de Verdet si on néglige cet enracinement, il l’a dit, c’est avec Provence noire que s’est révélée à lui la dimension cosmique de l’homme, de ce temps date aussi la grandeur orphique de sa poésie », Jacques Lepage est vraiment au centre de la problématique « verdétienne »…. Et quand il dit : « J’aimerais voir un jardin conçu par un surréaliste... », et que le jardin de Verdet est à l’opposé de celui de Bomarzo, puisque Gilles Ehrmann est un peu l’intersection entre André Verdet et Ghérasim Luca et Micheline Catti, il est amusant de noter que ces deux derniers ont fait paraître, en 1989, à Rome (Editions « le parole gelate »), sous le titre « (Au bois sacré de Bomarzo) » avec une parenthèse ce qui n’est pas pour rien, un livre qui est un duo entre le « Dé-monologue » de Ghérasim et de magnifiques dessins de Micheline, où le jardin (surréaliste ?) est alors un jardin intérieur, l’ombilic des rêves ?
Fin.