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CHAPITRE 7 (part II) : Chronique d’un galeriste

Suite de la chronique d’Alexandre De La Salle proposée cette semaine...

Frédéric Altmann - Si Chubac cherchait à s’exprimer avec un minimum de choses, on peut dire que certaines de ses pièces sont minimales.

Alexandre de la Salle – Oui, comme celle qui se trouve sur papier glacé dans la plaquette de l’exposition « Albert Chubac, Collages » chez Luisella d’Alessandro, à Turin, que j’ai organisée en novembre 1982, deux simples petits carrés bleus et rouges. Mais je voudrais revenir à cette période des débuts où des journalistes, des critiques d’art ou des écrivains qui passaient par là ont reçu en pleine figure des œuvres d’artistes, ainsi Arlette Sayac, encore elle, qui a écrit sur une exposition individuelle d’Albert Chubac, « Peintures », que j’ai organisée dans ma galerie de Vence du 30 mars au 11 mai 1968. On ne pense plus à ces coupures jaunies, mais si on prend la peine de les lire, on y découvre des trésors. J’aime beaucoup ce récit qu’Arlette a fait d’une visite chez Chubac à Aspremont, sous le titre : « Jusqu’au 11 mai à Vence, une exposition qui vous donne envie de vivre : CHUBAC ».

Plaquette de l’exposition à la Galerie Luisella d’Alexandro
DR

Voilà le texte intégral :
"Un blue-jean, un vrai, délavé et usé, un col roulé, rouge la plupart du temps, une pipe et un rire truculent comme celui de Salvador, c’est Chubac chez lui, à Aspremont. Il a perdu son prénom en se rapprochant de la célébrité, il n’aime pas parler de lui, de sa vie d’avant et quand on essaie de savoir où et quand il est né, il répond : « « Il faut vraiment dire tout cela ? »
Albert Chubac, c’est, pour celui qui se trouve soudain en sa présence, un personnage, une personnalité attirante par ses contrastes, par son dynamisme. Il vit, il a toujours vécu en solitaire, mais il a besoin pour s’exprimer, pour ne pas perdre pied, de sentir et d’entendre la vie autour de lui. Il parle volontiers, mais on ne se sent pas le droit de dire qu’on le connaît. Il y a chez lui une grande part de silence, un fossé difficilement franchissable. On a souvent l’impression qu’il ne participe pas tout entier aux moments de sa vie qui se déroulent en public. Si vous ne connaissez pas Chubac, partez à sa recherche à la galerie de la Salle à Vence. A partir de ce soir il expose jusqu’au 11 mai.
"

Albert Chubac avec, entre autres, André Verdet, Claude Gilli, Jacques Matarasso, Alexandre de la Salle, Arman autour de 1975, in catalogue Mamac.
DR

Quand la joie se fait silence

Aspremont. Sur le coteau qui domine le village et la descente vertigineuse, plus loin, sur le Var, des villas. On grimpe un escalier approximatif et on arrive, chez lui. Curieuse maison ! Blanche, nette, sans fioritures. Deux parallélépipèdes perpendiculaires, pas de toit, et partout des ouvertures sur le soleil. Vous entrez ! Si c’est la première fois, c’est le coup de poing, si vous connaissez déjà, c’est l’enchantement. Car cette maison n’en est pas une. Deux salles dallées de béton, un seul atelier où Chubac travaille et expose ses œuvres. La progression est constante et facile à suivre, dans une tendance qui ne se trahit pas et que l’on appelle le « constructivisme » (d’avant-garde, précisons-le). En ce moment, Chubac s’amuse avec des fleurs, des « fleurs variables », faites de lattes de bois ou de plexiglas Couleur de soleil ou blanches comme le silence. Vous pouvez les faire tourner, agencer leurs éléments comme bon vous semble. Les œuvres de Chubac, ce sont des pièces-jeu, des jeux-joie. Des cubes multicolores, des boules de couleur, des balles de ping-pong, des cuvettes de plastique enfilées sur une tige et baptisées « La Tour de Pise ». C’est amusant et d’une efficacité immédiate puisque, dès votre entrée dans l’atelier, surtout si le soleil joue avec les couleurs et la trans-parence des matières, vous vous sentez bien, gai, envieux presque, de toute cette clarté, de toute cette bonne humeur. L’envie irrésistible vous prend de jouer avec les lattes de bois, avec les boules, avec les rosaces. Chubac vous laisse faire, mais il n’aime pas trop que l’on chahute avec ses œuvres. Lui qui ne s’embarrasse pas de détails dans la vie quotidienne, qui vit dans une petite pièce de la vieille maison que l’on devine au fond du jardin en friche, est d’une extraordinaire minutie lorsqu’il travaille. Tout est net, impeccable, sans bavure, C’est Pour cela qu’il n’aime pas que l’on y touche et c’est pour cela aussi qu’au bout d’un moment, le silence se glisse dans cet environne¬ment : un silence paisible, narquois. Par son anachronisme.

Photo d’André Villers
DR

L’atmosphère mais pas l’anecdote

Si l’on ne connaît pas en¬core tout à fait Chubac à Nice, cela n’a rien d’étonnant. Connaît on Klein ou Raysse ou Arman ? Il suffit de dire que ce sont les collectionneurs qui se déplacent pour venir à Aspremont, que Chubac a exposé en Suède, au Danemark, en groupe à la galerie Denise René et au musée Galliérà, à Genève, à la galerie Loo, en Italie... Chubac fait il partie de cette « Ecole de Nice » qui agace tant les Niçois et intéresse tant les « gens du métier » ? Non ! Chubac connaît tout le monde, s’intéresse à tout, mais surtout à 1’atmosphère qui se dégage d’une rencontre ou d’un mouvement. L’Ecole de Nice est née après coup. Au temps de Klein, qui ne venait à Nice que rarement, il ne s’agissait pas d’écriture ou de démarche accomplie consciemment… On savait qu’une atmosphère d’enthousiasme explosait à Nice, favorable à la création d’une émulation artistique. Si Chubac vit maintenant la plus grande partie de l’année à Aspremont, il passait d’abord tous les hivers à Paris. Il avait peur du côté anecdotique, comme il dit, de la Côte. Il avait peur de laisser écraser par le soleil et cette fameuse lumière à laquelle Bonnard, par exem¬ple, fut si sensible. Et puis, petit à petit, il a su ne rece¬voir que l’atmosphère de la Côte, ce mélange de vacances et de liberté, ce côté spectacle qui lui sert maintenant de refuge et sans lequel il ne peut plus vivre. On ne découvre rien, dit-il, on utilise. J’ai eu des hauts et des bas, comme tout le monde, mais ici, je suis surtout sollicité par le côté joie qu’il y a en moi… Je n’ai plus besoin d’aller chercher le soleil : il vient chez moi. A partir de ce soir, jusqu’au 11 mai, il a émigré à Vence ». (Arlette Sayac)

Photo François Fernandez
DR

Pas longtemps après, en 1970, Emmanuel Hocquard met lui aussi l’accent sur le côté « thérapeutique » du travail d’Albert (dans un texte qu’on trouve dans le catalogue de la GAC et de Galerie de la Salle pour des expositions en 1983). Emmanuel Hocquard, poète et éditeur, et qui voit peut-être une forme de poésie dans la plastique de Chubac :
« Sans doute est ce dans l’imagerie industrielle de nos cités contemporaines que Chubac comme la plupart des autres peintres de l’Ecole de Nice puise son vocabulaire (formes, matériaux, couleurs ...). Mais ce serait limiter la portée de ses créations plastiques que de se contenter d’y voir une restitution sécurisante – à travers leur transposition poétique d’aspects, d’ailleurs privilégiés, de notre environnement quotidien. L’œuvre dépasse d’emblée ce plan pour toucher à un niveau intérieur.
Mûries dans la solitude ensoleillée des environs de Nice, les œuvres de Chubac et singulièrement ses agencements de plaques coulissantes en plexiglas de couleur, dont le spectateur est invité à modifier lui même à son goût l’ordonnance ne sont pas seulement remarquables par cette sorte de pureté grecque dans les lignes, les proportions et le lumineux contrepoint des volumes colorés ; la délicatesse charmante mais rigoureuse de l’écriture, tour à tour facétieuse et grave, tendre et enjouée, toujours émouvante de spontanéité, ne doit pas nous dissimuler la force très contenue (signe de véritable maîtrise) qui rayonne dans la transparence même des œuvres.
Si bien que, tout en participant naturellement à la pensée plastique de la cité actuelle, les structures élaborées par Chubac apparaissent, devant la dispersion inhérente à la vie moderne, comme un facteur d’équilibre, de concentration et de silence. (Emmanuel Hocquard, 1970).

Un jour Albert a écrit : « L’homme est condamné à créer, c’est sa seule liberté ».

A suivre...

Photo Frédéric Altmann dans son exposition à la Malmaison de Cannes
DR

 Pour relire la première partie de cette chronique.

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