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CHAPITRE 5 (part II) : Chronique d’un galeriste

Suite de la préface de Pierre Restany dans le catalogue de l’exposition « Ecole de Nice ? » de la Galerie Alexandre de la Salle, Place Godeau (Vence) en mars-avril 1967

« Si l’on s’en tenait à ces trois leaders du Nouveau Réalisme, on demeurerait au stade de l’heureuse coïncidence. Un autre phénomène intervient aujourd’hui : les Trois Mousquetaires n’ont pas fait cavaliers seuls.

Arman et Corice, Photo Frédéric Altmann
DR

Ils ont contribué à dynamiser une ambiance et à fixer l’attention du public sur un centre de création de plus en plus actif et diversifié. Quelle est la part de mythomanie, d’espoirs insensés, de références secrètes aux trois grands qui envahit le subconscient de la « jeune » Ecole Niçoise ? Ce n’est pas mon propos de le démêler. Je constate, un point c’est tout, l’existence active et l’imagination très fortement individualisée d’un Gilli, d’un Venet, d’un Chubac, d’un Farhi. Je suis les positions et je prends acte des développements parisiens d’un Malaval ou d’un Gette. J’ai eu le plaisir de prendre un verre au Flore avec la délicieuse Annie Martin il y a trois mois à peine, à la veille de son départ pour New-York. J’entends parler depuis quelques temps de noms nouveaux pour moi : Alocco, Viallat, etc. Ben continue à me submerger d’une correspondance absolutiste et totalitaire. Tout ça finit par créer un volume d’activités sympathiques et jeunes. L’atmosphère artistique de la Côte d’Azur semble avoir changé. C’est de cette sorte de new-look qu’Alexandre de la Salle a voulu rendre compte. Et pour que la mesure soit pleine, il n’a pas hésité à y annexer le prince-poète de Saint-Paul, André Verdet, ce bourlingueur des mers du sud et des mers du rêve qu’a toujours été François Arnal et enfin César, notre gloire nationale et marseillaise. Du coup, on se demande si l’on n’en a pas oublié quelques-uns, de ces provençaux de l’art vivant : en cherchant bien, à Montpellier, à Narbonne, à Perpignan ? En Camargue ou dans le Lubéron ? Mais comment savoir, s’ils n’ont pas été naturalisés niçois d’honneur ? A y bien réfléchir, je ne crois pas qu’on puisse encore taxer Nice d’impérialisme culturel méditerranéen. Il s’y passe en ce moment quelque chose de plus qu’à Lyon ou à Strasbourg. Mais les protagonistes eux-mêmes se rendent compte des limites et de l’exiguïté de leur auberge espagnole. Il ne faut pas demander à la Côte d’Azur de donner plus que ce qu’on lui apporte. En revanche, et dans la mesure même où cette animation risque fort d’être éphémère, avant que les meilleurs ne partent, comme disent tous les proverbes, il importait de marquer le coup. C’est chose faite ». (Pierre RESTANY. Paris, Janvier 1967)

Frédéric Altmann – Mais est-ce que tu te souviens de la manière dont tu as monté l’expo de mars 1967 ?

Alexandre de la Salle – Dans le catalogue du « Paradoxe », j’y suis allé à gros traits, sans rechercher de possibles traces… En fait l’invitation que m’a faite « Art Côte d’Azur » de raconter mon histoire de galeriste me fait retourner aux documents, et c’est ainsi que pour le précédent chapitre, j’ai sorti mes lettres de Robert Malaval – un petit paquet- et je me dis que c’est vraiment une chance que Robert ait aimé écrire, car il rétablit des faits que j’avais oubliés, par exemple que lorsqu’en mai 1966 il m’écrit que la galerie Verrières veut « montrer l’Ecole de Nice », en exposant Gilli début août, Malaval début septembre, il ne parle pas d’une exposition toute prête… Et, ce qui me frappe dans l’après-coup, c’est qu’en décembre 66 il me demande si je vais faire l’exposition Ecole de Nice à laquelle je pense. J’avais oublié que j’y pensais à cette époque… En tous cas dans « Le paradoxe… », j’ai écrit : « J’ai immédiatement compris l’intérêt historique de cette exposition, de ce Mouvement, qu’il fallait faire vivre. Je peux être très lent, à rêver le Temps, à ne pas prendre de décision, comme je peux me décider de manière foudroyante. J’accepte donc immédiatement, et mets en train ce projet de première exposition intitulée « Ecole de Nice ? », en 1967. Le succès fut inouï. Les gens venaient de partout. Il faut se souvenir qu’il n’y avait pas beaucoup de galeries à l’époque, d’ailleurs aujourd’hui on en revient à un nombre tout aussi minimal, ou presque ! Et quand des choses intéressantes se passaient, ça stimulait un public pas encore gavé d’expositions, curieux, intrigué, bienveillant, très amateur de nouveauté, pas du tout comme maintenant, où on a affaire à des endormis, ou à des spéculateurs. A l’époque, les enthousiastes, nombreux, se déplaçaient facilement. Ce public a donc reçu cette exposition avec excitation, avec admiration, avec passion. Ils venaient par centaines et ma galerie débordait sans fin sur la place Godeau littéralement envahie. Pour le vernissage, avec l’aide de ma sœur, Edmée, j’avais organisé un cocktail provocant : des bocaux à poisson de différentes tailles contenaient des boissons de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, du jaune pâle jusqu’au bleu violet. Les gens avaient la bouche rouge ou verte, certaines personnes ont pissé bleu pendant plusieurs jours. Cette exposition, c’est vraiment grâce à Robert Malaval que je l’ai faite, et, bien sûr avec la complicité de Pierre Restany. Ce fut le point de départ d’un très long cycle, d’une incroyable aventure qui donna lieu à 45 expositions environ. Soit 5 manifestations collectives, et une quarantaine d’expositions consacrées à tel artiste, dont parfois c’était la première personnelle (Ben en 1971 par exemple). Jusqu’en 1997 avec « Ecole de Nice. » Le Point Final ! L’âge d’or était derrière nous, à cheval sur les années 70 et 80. Il fallait arrêter l’histoire, pour qu’en un salutaire recul, elle puisse enfin se dire vraiment. Entre ces dix années, répétées, j’incluais de nouveaux artistes, soit que j’aie omis de les contacter auparavant, soit qu’ils ne se soient pas d’eux-mêmes manifestés. Mea Culpa ! Comme tous les documents le montrent, l’Ecole de Nice s’est constituée par vagues successives, mais toujours dans les limites d’une cohérence géographique, culturelle, de choix de la modernité !... de la volonté aussi de faire carrière ici plutôt qu’à Paris, mais de jouer Paris à l’occasion, de manière stratégique. Quitte à l’ignorer quand son utilité devenait moindre... et que d’autres enjeux, européens ou mondiaux se profilaient, et permettaient à certains d’aller se confronter à d’autres continents. A l’occasion de toutes ces expositions « Ecole de Nice » Pierre Restany et moi nous avions lié amitié, il passait comme les brises d’été, et a préfacé toutes mes expositions consacrées à l’Ecole de Nice. A chaque fois Pierre a fait un texte à la fois sympathique et subtilement coquin, reprenant un peu d’une main ce qu’il avait donné de la première. Cela donnait des textes pour le moins ambigus : s’y devinait, implicite, la condescendance plaisamment ironique du grand critique parisien pour les « activités provinciales ». Tous étaient sensibles à sa causticité, mais cependant tous appréciaient qu’il ait répondu présent et soit resté fidèle à ce long cycle. Son texte inaugural a été sans doute le plus chaleureux, le plus engagé, et son nom forcément restera toujours associé à cette longue Histoire ». (Alexandre de la Salle)

Frédéric Altmann – Dans ses textes, il avait beaucoup d’humour noir, mais aussi quelquefois de la tendresse, et quelle connaissance de l’art !

Alexandre de la Salle – C’est évident, et il a été tellement important à l’époque !

Frédéric Altmann – Et donc… Arman ?

Alexandre de la Salle – J’ai eu du plaisir à l’exposer, car, comme je l’ai écrit, c’était un tel « détonnant cocktail d’énergie et de créativité… abonné du Nice-Paris-New-York, grand collectionneur d’art primitif, et alors un des chefs de file des Nouveaux Réalistes et de l’Ecole de Nice. J’avoue la forte impression que me firent ses Accumulations, ses Colères et ses autres inventions… »

Sérigraphie d’Arman pour « L’Ecole de Nice…. » (1987)
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Sérigraphie d’Arman pour « L’Ecole de Nice. » (1997)
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Il sera donc présent dans toutes mes commémorations décennales de l’Ecole de Nice, où à chaque fois il créera une affiche, une sérigraphie, mais en 1971 (28 Août- 15 octobre), je lui fais une exposition intitulée « Colères » (Accumulations), en 1972 (30 nov-30 décembre) je le présente à « L’œil écoute », à Lyon, et en 1974 (20 Juillet-18 Août) dans ma galerie de Saint-Paul, c’est « L’œuvre graphique ». Ensuite il sera dans une « École de Nice » réduite à « 10 artistes de l’École de Nice, en 1974 (26 Août- 30 septembre) : « L’œuvre graphique, et puis il participe à quelques expositions de groupe, en 1982 (21 déc- 31 janvier) : « Peinture/Photo »
A suivre...

Couverture de la plaquette de l’exposition Arman à « L’œil écoute »
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« Téléphones noirs » Lithographie dans la plaquette « L’œuvre graphique »
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 Retrouvez la première partie de cette chronique ici :

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