Frédéric Altmann – Le 8 juin 2010, au vernissage de l’exposition « 1960-2010, 50 ans de l’Ecole de Nice » du Musée Rétif à Vence, à l’invitation de Mireille et Philippe Rétif, dans ton allocution tu as désigné Malaval comme étant celui qui t’a mené vers l’Ecole de Nice. Dans notre dernier entretien, tu as longuement parlé de Malaval, et maintenant on aborde l’Ecole de Nice, un énorme pan de ton parcours. Par quoi vas-tu commencer ?
Alexandre de la Salle – Par l’Histoire avec un grand H, telle qu’elle est racontée par quantité d’intervenants, dont Arman est l’un des principaux. On peut même le considérer comme l’ancêtre de l’Ecole de Nice, celui qui, dès le début – en tant que Nouveau réaliste – a fait le lien entre une révolution plastique qu’il vivait avec Klein et Raysse, ailleurs, à Paris, aux Etats-Unis, et la ville de Nice, où Klein et lui étaient nés. Dans le film de Pierre Marchou « Merci Arman », il explique qu’il a vu se dessiner le concept « Ecole de Nice » par les articles de Claude Rivière en 1960, Sosno en 1961…
Et il a pris en compte l’existence de cette « école » sans aucune restriction. C’est quelqu’un qui avait un esprit clair, pragmatique, beaucoup d’honnêteté et de culture. Et donc dans cette interview d’Arman chez lui à Vence le 12 août 2000, réalisée par Pierre Marchou – qui fut Maire de Vence - Arman s’est un peu étendu sur les divers soubresauts qui d’après lui ont mené au fait que le 17 mars 1967, dans ma galerie (il dit 1968 mais ce n’est pas grave), j’ai « fédéré » une Ecole de Nice.
Il cite aussi Jacques Matarasso qui, à partir du milieu des années 50 s’est intéressé à des individualités qui allaient s’inscrire dans l’Ecole de Nice. Claude Rivière et Sosno, comme chacun sait, dans des articles dans « Combat » et « Sud-Communication » en 1960 et 1961 ont posé la question de l’existence de l’Ecole de Nice, mais Arman ne cite pas Jacques Lepage qui a fait de même dans « Les Lettres Françaises » à propos d’une exposition Robert Malaval à Cannes, Arman se trompe encore en disant qu’en 1964 il y avait eu une exposition « Ecole de Nice » aux Ponchettes avec Yves Klein, Martial Raysse et lui, alors que ce sera en décembre 1967, après ma propre expo.
La page de titre du catalogue précisera « Trois artistes de l’Ecole de Nice, Arman, Yves Klein, Martial Raysse ». Avec le recul, nous pouvons voir comment les Mouvements et Labels se cherchent, comment, avant de se fixer (si la médiatisation à un moment le veut bien), les composantes de la culture se nouent ou se dénouent. Ainsi l’exposition « Ecole de Nice » organisée par Francis Mérino à Lyon, à « L’œil écoute »…
Frédéric Altmann – … Du 19 novembre 1966 au 2 janvier 1967, à la galerie « L’œil écoute », 3, quai Romain Rolland, Lyon, sous le label « École de Nice », en collaboration avec Francis Mérino, directeur de la galerie Verrières à Cannes… sera accueillie par Janine Bressy : Arman avec Chubac, Deschamps, Farhi, Gilli, Venet, Viallat, Gette, Malaval, Pavlos. Et c’est cette exposition que Francis Mérino voudra réitérer à Cannes…
Alexandre de la Salle - … A laquelle il renoncera, et ce n’est pas cette exposition que je reprendrai en mars 1967 sous l’intitulé « Ecole de Nice ? » (point d’interrogation), puisque cette fois-ci seront regroupés Alocco, Arman, Arnal, Ben, César, Chubac, Farhi, Gette, Gilli, Klein, Malaval, Annie Martin, Venet, Verdet et Viallat.
Et c’est à partir de cette équipe, avec des variations, que je récidiverai d’abord en 1974, et puis tous les dix ans, et encore en 2010. Mais en 1999, dans le « Paradoxe… », j’ai raconté qu’un jour Robert Malaval avait débarqué chez moi pour me dire qu’un galeriste lyonnais, Verrières, avait ouvert une galerie à Cannes, tenue par Francis Mérino, et qu’il avait le projet d’exposer certains membres de ce qu’on appelait alors vaguement, sans l’appeler comme ça, disons la « Mouvance niçoise ». L’un d’eux avait déjà eu son exposition…
Frédéric Altmann – … Oui, Claude Gilli, du 30 juillet au 19 août 1966, Galerie Jacques Verrières, 11, rue des Etats-Unis, Cannes, directeur : Francis A. Mérino,
Alexandre de la Salle - … J’avais oublié que tu connaissais l’Histoire au jour le jour… !
Frédéric Altmann - … Exposition personnelle de Claude Gilli en présence de Ben, Jacques et Michou Strauch, le carton d’invitation mentionnait « Ecole de Nice »… A cette époque, le public n’était pas forcément prêt à recevoir cette révolution ! En août 1966, dans le journal « Combat », on peut lire (article non signé) : « … A Saint-Paul de Vence, le Conseil municipal, divisé par une exposition d’Arman, est prêt à en venir aux mains. A Cannes, des commerçants effrayés par un happening de Ben menacent d’appeler la police tandis qu’un des membres du comité paroissial scandalisé par ce qu’il perçoit d’érotisme dans un immense pouce agrandi de César, interdit aux enfants du catéchisme d’aller voir la rétrospective de son œuvre par ailleurs déjà visitée deux fois par Picasso. Ce sont les derniers méfaits de l’École de Nice ».
Alexandre de la Salle – En 1966, une possibilité d’existence de l’Ecole de Nice n’était pas encore passée dans les mœurs. Pierre Restany lui-même faisait des réserves…
Frédéric Altmann – … En août 1966, dans « Arts », il écrit : « Quand on me parle aujourd’hui de l’École de Nice, je ne peux m’empêcher de sourire : c’était une trouvaille d’Yves Klein qui voulait se servir du label pour exposer au Musée des Ponchettes, après Matisse et Renoir et en compagnie d’Arman et de Martial Raysse. Nice, centre actif de la création artistique ! On le laissait dire, aucun de nous n’y croyait. D’ailleurs en 1961, le Festival du Nouveau Réalisme que j’avais organisé avec Jean Larcade à la galerie Muratore et à l’Abbaye de Roseland avait suscité les réactions qu’on était en droit d’attendre : un scandale au rabais dans un désert d’indifférence…. ».
Alexandre de la Salle – Ce qui ne va pas empêcher Restany d’écrire la préface de mon catalogue « Ecole de Nice ? » de 1967, ainsi que les préfaces de tous mes catalogues « Ecole de Nice » en 1977, 1987, 1997 ! Cela vaut la peine de relire sa préface de 1967, fondatrice (tout comme il a fondé le Nouveau réalisme en 1960), même si son texte est mi-figue mi-raisin. Au contraire cette ambiguïté est peut-être prémonitoire de l’ambivalence dans laquelle va se trouver ce mouvement jusqu’à aujourd’hui et pour toujours : amour/haine, reconnaissance/déni, contradictions sans fin, ça ne me gêne pas, ça ne m’a jamais gêné, parce que l’essentiel a toujours été que ce Mouvement a refusé de se laisser enfermer dans une formule, comme la Vie. Restany a bien saisi ça, dans son texte de mon catalogue de 1967, que je vais faire rééditer, car il est devenu une rareté :
« Il y a des mythes aimables qui font fortune parce qu’ils évoquent la joie de vivre et le soleil, toutes sortes de paradis retrouvés. La soi-disant Ecole de Nice se présente ainsi comme une Riviera picturale, l’Eden de la nouvelle vague artistique. Il n’y a pas de fumée sans feu, me direz-vous et certes un fait s’impose : des personnalités de l’envergure d’un Klein, d’un Arman, d’un Raysse ont joué un rôle capital dans la remise en cause des valeurs de notre après-guerre, et elles étaient authentiquement niçoises. Il y avait une section niçoise chez les Nouveaux Réalistes, tout comme il y avait une équipe suisse (Tinguely, Spoerri) ou un filon « affichiste » (Hains, Villeglé, Dufrêne, Rotella). Ceci dit, Yves Klein s’est affirmé à Paris contre Paris et c’est évidemment sur la capitale qu’il a fait porter la majorité de ses efforts. Vis-à-vis d’Arman d’abord, puis de Raysse, Klein a joué le rôle d’une tête de pont parisienne. Leurs carrières respectives ont pris ensuite les dimensions internationales que l’on sait. L’idée d’une École de Nice (exposée en permanence aux Ponchettes) était chère à Yves Klein qui la cultivait comme un paradoxe familial. Martial Raysse fut pour beaucoup dans cette première cristallisation du mythe. Au cours de sa rapide ascension ce niçois militant a réalisé, lui, un autre paradoxe : celui de faire carrière à Paris sans y vivre. Arman, se situe au cœur du problème, c’est-à-dire à mi-chemin des positions extrêmes de Klein et de Raysse. Ses expositions parisiennes de « Cachets », « d’allures » et enfin le Plein de la galerie d’Iris Clert (geste inversement homothétique par rapport au Vide d’Yves Klein) illustrent l’évolution progressive de sa vision… jusqu’au grand saut new-yorkais chez Sidney Janis ».
A suivre...