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CHAPITRE 3 (part V) : Chronique d’un galeriste

Suite et fin de la chronique d’Alexandre De La Salle de cette semaine, aujourd’hui dédiée à Wols...

Wols

Avant de quitter « ceux de l’ancienne école », à l’intersection je dois revenir à Wols le révolutionnaire, « Wols et son écriture, inimitable, souple, nerveuse, qui livre moins ses secrets qu’elle ne nous les dérobe. Villes et Voilures surtout, nées d’un vertigineux imaginaire, et qui rendaient au Voyage sa parfaite immobilité. Alchimie majeure, où Pollock, entre autres, sut découvrir d’inépuisables sources ». De son vrai nom Otto-Alfred-Wolfgang Schulze (dont la contraction a donné « Wols »), il était né à Berlin en 1913 dans une famille protestante allemande. Son père, Chancelier de l’Etat saxon à Dresden, juriste réputé, avait participé à l’élaboration de la Constitution de Weimar. A six ans, Wols jouait du Bach au violon. Il a failli devenir chef d’orchestre, a pratiqué l’art de la photographie, et l’ethnologie comme disciple préféré de Léo Frobénius. A l’âge de 16 ans, choqué par la mort de son père, il est parti vivre seul à Berlin, puis à Paris, en 1932.

Mon père m’avait laissé quelques gouaches de Wols, et un jour Marc Johannès et Gréty Wols ont débarqué dans ma galerie, et nous avons beaucoup parlé. Marc Johannès qui écrira le 15 mai 1974 : « Wols, dans sa plus grande misère, n’avait finalement plus grand-chose pour travailler : six petites pastilles de couleurs à l’eau pour enfants, une plume, de l’encre. Souvent il déchirait discrètement une des dernières pages d’un vieux livre trouvé là. C’était alors le miracle mille fois recommencé de ces séries d’aquarelles qui font aujourd’hui l’admiration du monde entier. On raconte ses petits contes terrestres à travers de petits bouts de papier. Pourtant, Wols aurait préféré peindre sur des toiles, à l’huile, comme de 1928 à 1933. Il avait alors vingt ans, et venait de rencontrer l’amour de sa vie sous les traits d’une princesse roumaine, Gréty Dabija. Alors ce sera pour eux deux, et jusqu’à la mort de Wols en 1951, une vie des plus difficiles, d’errances, d’injustices, et souvent de misère. Beaux tous deux, toujours soucieux d’une apparence toujours décente, ils furent rarement secourus. Il faut pourtant ici dire que Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre surent les aider et ce furent les seuls. Des amateurs pourtant tel : Giacometti, Alix de Rothschild, Juliette Achard, Gustave Moutet, Henri-Pierre Roché, Georges Kessel, Jean-Louis Barrault, Pierre Brasseur, Charles de Noailles, Michel Simon, Joe Bousquet, Marcel Herrant… ont tout de même apprécié cette œuvre au point d’en acquérir et par cela même participer à leur vie si difficile ».

Wols par Sartre

Dans « Situation IV – Gallimard » on trouve un texte de Jean-Paul Sartre sur Wols, dont voici un extrait : « … Il n’est pas une de ses œuvres qui ne vise à fixer d’un seul mouvement l’être de son auteur et celui du monde. Cet automatisme vigilant et muet ne se déchaîne pas en coups de foudre, c’est une maturation dirigée. Enfin l’objet paraît : c’est l’être et c’est le monde, c’est l’angoisse et l’idée, mais d’abord c’est une gouache par elle-même improvisée qui ne renvoie qu’à soi ».
Alain Jouffroy (Une révolution du regard, 1964) : « Son œuvre préfigure une grande part de la peinture de notre après-guerre, dans ce qu’elle a de plus déchaîné et d’innommable, de la calligraphie exaspérée (raturée) à la tâche et à ses conditions arbitraires ».
Alberto Giacometti, sur le Salon des Réalités Nouvelles de 1947 : « La seule œuvre remarquable, valable, puissante et révolutionnaire. Bravo, Wols ! Plus tard on appréciera ! »

Invitation Galerie de la Salle 1975
DR

Georges Pompidou, en septembre 1966 : « L’œuvre d’art, c’est l’épée de l’archange, et il faut qu’elle nous transperce. Elle n’est pas faite pour agrémenter notre vie quotidienne, mais pour nous arracher à elle. Les grands peintres abstraits ont, sur moi, une puissance de rêverie, et de poésie, incomparable : Delaunay, Mondrian, Kupka, Staël, Klee et Wols ». J’ai exposé Wols dès l’ouverture de ma galerie, avec les Atlan, Bissière, Gromaire, Soutine, Modigliani, Kikoïne, Tatin, Sourdillon, Wols, Magnelli, Derain, Dufresne, Picasso, Yankel, Vlaminck… Puis, en janvier 1964, dans l’exposition « Abstractions » avec Poliakoff, Atlan, Bissière. Et, en mars 1964, je lui ai consacré une exposition personnelle , « Villes et Voilures », avec, dans la plaquette, une préface de René Gaffé (photo). Au printemps 1965, j’ai organisé une exposition « Modigliani e Wols » à la Galleria d’arte Viotti à Torino. Et, en août 1975, j’ai à nouveau présenté « Villes et Voilures ». Jusqu’à la fin des années 70 Wols était présent parmi mes artistes, jusqu’au jour où mon stock a été épuisé. Je regrette tellement de les avoir tous vendus. Aux vernissages de mes expos Wols, la galerie était bourrée de monde. (photo)
Dans le « Paradoxe… », je raconte ceci : « Mon exposition de 1964 fut la première à lui être consacrée dans le Midi de la France. Dans l’héritage de mon père il y avait plusieurs gouaches de Wols. Par la suite j’en avais acquis une ou deux chez Gréty Wols. Lorsque j’ai montré ma collection de gouaches de Wols (j’en ai eu jusqu’à 35) à René Gaffé, il en a été littéralement ébloui. Il m’a dit : Si vous faites une exposition, je tiens à vous faire un texte de présentation. René Gaffé était un grand homme de la peinture, de l’art, un monsieur raffiné, qui me montrait (quelle volupté de voir ça !), les bulletins d’achat des esquisses des Demoiselles d’Avignon... acquises à l’époque pour trois francs six sous... Il a eu jusqu’à quarante Miro, des fous l’appelaient parfois le fou qui achète des Miro. Il en était très fier... et il avait des Picasso, Léger, Braque, La Fresnaye, c’était un grand seigneur, un homme intelligent, subtil, plein d’humour...

Wols par René Gaffé

Il a produit un texte de fort grande tenue, de son écriture simple, souple, vivante, humaine. Qui débute ainsi : « Vence, vieux bourg pittoresque posé sur un piton rocheux. Place Godeau, du nom d’un évêque, premier membre de l’Académie française. Là, s’ouvre une galerie de peinture qui ne connaît ni les bruits trompeurs des fausses gloires, ni l’inquiétude déraisonnable de ceux qui n’ont pas confiance dans leur avenir. Son directeur, Alexandre de la Salle, se refuse à choquer son public. Il défend ce qu’il croit être valable comme la lumière du matin. C’est pourquoi, aujourd’hui, il nous convie à un spectacle enchanteur et rare, un spectacle de qualité : une vingtaine d’aquarelles de Wols, si peu connu, si mal connu, si inconnu sur la Côte d’Azur. On pourrait croire abusivement, d’un seul coup d’œil, en avoir fait le tour, ce qui serait brûler un plaisir qui ne s’éveille qu’en découvrant, les unes après les autres, les intentions raffinées, les exigeantes malices, la vive lucidité, en un mot, le talent de Wols, nourri des dons les plus inattendus. Car, pour chacune de ses œuvres, sous nos yeux, silencieuses, le peintre a multiplié les pièges subtils, et c’est alors la découverte d’une rue qui s’enfonce dans l’ombre d’une ville, des ruches de soleil, dont le mystère devient réalité, d’imaginaires forteresses confrontant l’humain avec le rêve, de visages qui cherchent à se cacher.

« Ville sur soie » (1948), couverture du catalogue de l’exposition Galerie Beaubourg (1974)
DR
« La nacrée » 1959
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« Fissures », Plaquette Galerie de la Salle (1964)
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Car Wols, dans chacune de ses aquarelles, si petites soient-elles, affirme la perfection formelle d’un goût de la couleur qui illumine l’intense poésie de ses univers irréels. En quoi il est un poète sans détours, à croire que ses tableaux n’ont pas de fin et qu’il les a volontairement arrêtés dans leur trajet après avoir dit, dans chacun d’eux, ce qu’il jugeait nécessaire d’exprimer... Le peintre George Mathieu, qui parle en orfèvre, a dit de Wols qu’il avait tout pulvérisé, dépassant en nouveauté, en violence, en raffinement, l’évolution formelle de la peinture occidentale. Qu’il a, en fait, tourné une page, imposé un langage nouveau… ». etc. Tout ce que dit très bien René Gaffé, je l’avais ressenti de façon très forte quand j’avais redécouvert les gouaches que m’avait laissées mon père. Et pour rien au monde je n’aurais renoncé au projet de les montrer. J’avais l’impression d’ouvrir une porte, de faire quelque chose de neuf, et d’amener dans le Midi qui était encore une province reculée, quelque chose de nouveau, et surtout si chargé de sens ».

Invitation Galerie de la Salle 1964
DR

Michel Gaudet, présent au vernissage de Wols en mars 64, a titré dans le « Patriote », peut-être : « A Vence, la remarquable exposition de Wols », et a écrit un article savant, en citant, bien sûr, René Gaffé, habitant comme lui du Haut-de-Cagnes, dans une maison baptisée « Midi le Juste », une sorte de merveilleux musée ! Mais dans le « Patriote » sûrement, le 31-3-64, un certain G.T a écrit : « A Vence, exposition d’une vingtaine d’aquarelles de Wols à la Galerie de la Salle. Pour beaucoup, une découverte de ce que peut être l’aquarelle, à condition qu’il y ait Wols en face (…) on découvre donc un peintre, un poète (…) Villato et Tatin, qui tous deux le connaissaient, parlaient de lui au vernissage comme d’un maître. Il est vrai que nous avons rarement vu sur la Côte une exposition d’un lyrisme aussi bouleversant ». Poète il l’était aussi, ô combien, et le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris qui lui fit une exposition en décembre 1973 a publié dans le catalogue pas mal de ses aphorismes, par exemple (extrait) : « Nommer la merveille qui forme les ruisseaux,/ les lacs, les fleuves, les mers, les nuages,/ la pluie et les sources : /H2O/c’est un manque de respect » ou « Ceux qui rêvent éveillés ont/connaissance de mille choses/qui échappent à ceux qui ne/rêvent qu’endormis ».

Fin.

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