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CHAPITRE 2 (Part III) : Chronique d’un galeriste

Suite de cette chronique proposée par Alexandre de La Salle, que vous pourrez suivre toute la semaine, jusqu’à mardi prochain...

Frédéric Altmann – Dans le « Paradoxe » je vois que tu as fait une exposition Tanneau en 1981 ?

Marcelle Tanneau et France Delville en 1981 chez les Néron
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Invitation de l’exposition Marcelle Néron à la galerie de la Salle en 1981
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Alexandre de la Salle – Oui, à Saint-Paul, l’été 1981, et elle avait souhaité sur l’invitation (Ghérasim Luca était bien sûr d’accord), un extrait de « La question » (in Paralipomènes, Soleil Noir, 1977) :

« … sabbat océanique des formes vagues
émeute des vagues soudées
comme des chiens

déchets déchiquetés à outrance
et soudés comme des chiens
cimes d’aube
où l’on déshabille les abîmes

transmuent l’onde en être d’acier
et à l’intensité extrême
de l’étreinte et de la rixe
l’être de l’acier en densité vide

Avant d’être outrance d’un solide
Ce vide fut fluide absolu… »

Dessin à l’or de Marcelle Tanneau
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Et le temps de l’exposition, avec ces quatre personnes métaphysiques, avait été une fois de plus un temps magique, un temps d’intelligence et de subtilité, comme cela se passait à chaque fois que les Luca venaient passer des vacances à Vence. Inoubliable grandeur.

L’année 1999 marqua la fin d’une galerie (de deux galeries en une seule), qui avait été leur barque, colorée, comme elles le sont en Bretagne. Et Marcelle écrivit ce poème d’adieu symbolique, au galeriste que j’étais. Après cela, elle et Michel quittèrent Vence pour que Marcelle puisse retrouver sa Bretagne, où elle est toujours, inconsolable de la disparition de Michel. Tristan et Iseult, cela existe. Et voici donc l’hommage à son ami Alexandre, car l’amitié, cela existe aussi…

De Sceaux à la Bourgogne
de la Bourgogne à Vence
et de Vence à St Paul...
et le voici à Nice
où peut-être fera-t-il... école !...
école des peintres errants
sans famille et sans parents
cherchant au détour d’une toile
leur bonne étoile !...
Alexandre, tu as été le seigneur de la belle galerie de St Paul
qui sans toi s’étiole...
comme tu n’aimes pas la marche arrière, forcément tu dois aller devant !
au devant de quoi ?
le suspense est grand !
mais tu verras
tu nous éblouiras
la peinture est là qui t’attend... devant !
(MT)

Et Avida Ripolin (alias France Delville, il faut bien l’avouer de temps en temps), s’était mêlée, et de l’amitié, et du profond respect que l’on peut avoir pour de vrais artistes, intransigeants dans leur recherche poétique et surréaliste (le hasard objectif était la tasse de thé quotidienne des Néron, encore davantage lorsque « les Luca » étaient là… Et donc Avida Ripolin avait écrit dans la Revue Go en 1982 : « Marcelle Tanneau dessine, peint, tisse, des formes de vie n’entrant dans aucune catégorie connue, formes émergeant du magma, non encore dissociées, ruissellant des ors magnifiques de leurs noces solaires. Mâle et femelle, elles sont les cousines des poupées de l’île de Pâques, qui ne font que se dresser, et manifester qu’on a les pieds sur le sol, et la tête dans le ciel. Chacune de ces effigies est unique, chacune est une riche céramique, se décore des pieds à la tête comme l’ont fait tous ceux qui voulaient célébrer leur propre beauté tribale, innocents comme des aras ou des paons, face au grand éclairagiste, le Soleil. Lorsque sur le théâtre ils entrent majestueusement, c’est la Création qui se montre, parée de tous ses onguents. Marcelle Tanneau est leur dame garde-côte, garde-frontière ». (A.R.)
Et pour clore ces « correspondances », comme le dit si bien la dame cachée d’Art Côte d’Azur, qui fait un si beau travail, en l’an 2000, j’ai écrit : « ... Marcelle Tanneau, inspirée, qui rejoint quelques-uns des grands artistes de ce siècle. On t’imagine aisément entre Klee et Reichel, parmi les amis de Ghérasim Luca, figure de proue des grands départs, vers ces Terres inconnues où planent les grands oiseaux lents, aux plumages inouïs, aux voix rauques des granits d’Armorique. Tu fais partie du cercle restreint de ceux qui débusquent les éléments du monde, et qui, sur la barque d’océan, nous les rendent rutilants, et chargés d’indicibles ailleurs. Marcelle, ne retiens plus ta main, même douloureuse. (AdlS)

Frédéric Altmann – Et Ghérasim ?

Alexandre de la Salle - Ghérasim Luca a fait chez moi des apparitions illuminantes, où des secrets venaient éclore et dire leur envers invisible.

Ghérasim Luca et Micheline Catti avec Carmelo Arden Quin au vernissage de « Madi maintenant/Madi adesso » chez Jacques Donguy en 1985
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Ghérasim Luca
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Luca, dont la vie s’est achevée elle aussi dans l’insondable d’un autre mystère. Il fut de ces plasticiens et poètes qui sans fin soulèvent en nous la vague des interrogations sans réponse, et qui nous pétrifient dans notre être-là, qui nous fait chanceler sur les crêtes hallucinées de nos naïves croyances. Quant à Micheline Catti, sa merveilleuse compagne, ses paysages de vents bleus et de feuilles emportées sont d’un ailleurs où les souvenirs se transissent. Paysages surréels venus du plus loin, et où soufflent les forces chtoniennes. Une peintre hantée de vérités graves. Je les ai exposés séparément, mais, comme je viens de le dire, une fois avec Michel Néron et Marcelle Tanneau en 1989, et une fois tous les deux, en 1995 : des « Cubomanies » et des « Peintures » de Micheline. Bien sûr Ghérasim avait écrit le texte de son invitation, sous le titre « Le peintre Micheline Catti » :

invitation de l’exposition « Peintures » de Micheline Catti
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Micheline Catti
Or courbe sous une pluie de météorites
De rite en culte et de culte en rite
Un rite au culte et de masque en masque
En axe courbe
Courbe sourde sous la phalaise philosophale
(GL)

Gouache de Micheline Catti
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Dessin de Micheline Catti
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Et moi : « Paysage troué d’invisibles équinoxes, arbres pliés, jonchées emportées, et la trace elle aussi, d’elle-même s’enivre et s’emporte. Equilibre et violence des grandes traversées, du proche et du lointain, comme si son temps à elle n’avait pas de frontière. Vérité de la couleur, justesse des tons, c’est le travail d’un peintre en proie au réel mais surtout en prise directe sur son imaginaire : même quand le ciel est blanc, ses arbres sont de nuit bleue. Mais ce vent ne pourrait-il tout emporter ? (AdlS) (mnéro241 : Dessin de Micheline Catti)
Et Avida Ripolin en 1995 : « Surréel de l’art, et non pas paravent, micro et macroscope, transgressant les grilles de prison des lectures abusives, transréel rescapé. Ce qui échappe d’un réel décrypté, et contacté dans d’autres atmosphères. Dans un ailleurs que seuls certains perçoivent, les Voyants comme on dit. Voir = éveil de sens aptes à capter le non-sens, le nonsense. Voyage, ici, dans la précarité des formes, leur polysémie, dérobades, mais aveux. Objets aperçus, a-perçus. Constat d’une phénoménologie vaporeuse et blanche, et toi pâle fantôme... Statut, peint, d’un certain vivant translucide, à l’impossibilité du plein, sans obstacle solide mais au sein d’un improbable, vitrine-aquarium où se propulseraient les larves éphyrules de la méduse pélagie, ou la mer fixée à l’un de ses stades, la Grande Mère. Le vivant à l’état non thétique. Pour tout recommencer peut-être. Pour laisser agoniser cette civilisation absurde et repartir du big bang. Laisser s’achever, de la civilisation, ce qu’Alain Jouffroy appelle sa propre dislocation interne. Autre subreptice à l’horizon, et à l’aube, matins du monde avec la mer recommencée à chaque paupière qui bat, et le voyage toujours aussi osé, c’est cela la quête du trans-réel de la Femme Atlantique. Qui voyez - vous, demandent M. Catti et Ghérasim Luca dans le Démonologue. Et cela répond : Nous ne voyons personne/comme si nous ne voyions personne/et comme si nous voyions pourtant quelqu’un...

Frédéric Altmann – C’était un quatuor de poètes…

Alexandre de la Salle – Oui. Et comme tu le sais, Frédéric, j’ai toujours recherché l’Impossible, l’Invisible, le Plein du Vide et le Vide du Plein, en pleines lumières de la nuit !

A suivre...

Retrouvez la première partie de cette chronique ICI :

Retrouvez la deuxième partie de cette chronique ICI :

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