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Chronique 33 : Jean-Pierre Giovanelli (Part I)

Jean-Pierre Giovanelli

Dans l’optique de faire revivre, à travers des archives, la passionnante deuxième moitié artistique du XXe siècle dans les Alpes-Maritimes et ailleurs, je retrouve le catalogue de l’exposition « Conflictus » de Jean-Pierre Giovanelli à la Galerie des Ponchettes (2002), en collaboration avec Paul Virilio, et il est intéressant d’en confronter le contenu avec la dernière manifestation de l’artiste, à Biella, intitulée « China Food ».
Le lien reste intact avec les préoccupations du début, qui étaient le décodage des comportements individuels et collectifs, dans une dialectique à la fois ironique et inquiète, inquiète à juste titre. Même si c’est de l’inquiétude du regardeur (Duchamp dixit) qu’il s’agit, – chacun doit parler pour soi – une « inquiétude de la pensée » est plus que nécessaire aujourd’hui à la survie de la planète, et on pourrait dire que cette attitude, et ce discours, fondés sur l’inaltérable curiosité de Jean-Pierre Giovanelli pour les gens et les choses, sont la matière de son travail. Très esthétique par ailleurs. Mais justement au sein d’une certaine révolution esthétique : vaste débat. Mais revenons à la case 1 : Qui est Jean-Pierre Giovanelli ?

Exposition de Jean-Pierre Giovanelli « China Food » à Biella (Italie)

Avant que de citer des extraits d’un dialogue très instructif entre lui et Lino Polegato qui se trouve dans le catalogue de son exposition (« Conflictus ») aux Ponchettes de Nice en 2002/2003, voyons ce qu’en disaient les « responsables » de l’époque, Messieurs Peyrat et Barthe. Dans sa préface, le Sénateur Maire de Nice, Jacques Peyrat, s’exprimait ainsi :
Si le (M.A.M.A.C.) Musée d’art moderne et d’art contemporain de Nice est principalement axé, pour des raisons historiques, sur le Nouveau Réalisme et le Pop Art, sa vocation, nécessairement universelle, est de mettre en lumière les diverses facettes de la création artis-tique actuelle, et maintenant, dans une certaine urgence, ici, en terre azuréenne et au delà.
C’est pourquoi la Galerie des Ponchettes accueille aujourd’hui l’œuvre d’un artiste de notre région, œuvre dont l’impact excède largement nos rivages et l’Hexagone lui même. En effet, Jean Pierre Giovanelli travaille depuis plus de trente ans à Saint Jeannet, aux marges des arts plastiques, à la jonction de l’art et des sciences sociales. C’est ainsi que, tant par ses « actions » voisines du happening que par ses « installations », Giovanelli interroge inlassable¬ment l’espace social et les liens multiples qui unissent la création au monde humain.
Alors, nous assistons au passage des « actions », dont le caractère est éphémère, dont les seules traces peuvent être un livre, des photographies, des empreintes, à une œuvre dotée d’une durabilité qui s’inscrit dans le temps et dans l’espace.
En une époque inquiète et fébrile, avide de prouver ou de trouver des repères, en quête d’interrogations légitimes et de réponses, Jean Pierre Giovanelli, en brisant l’opposition entre la passivité du public et l’activité de l’artiste, suscite une salutaire prise de conscience du sens même de l’ontologie humaine. Partant, par ses interrogations « matérialisées », Jean Pierre Giovanelli s’affirme comme l’un des plus lucides témoins de son temps. (Monsieur le Sénateur Maire de Nice Jacques Peyrat).

Exposition de Jean-Pierre Giovanelli « China Food » à Biella (Italie)

Exigeante création

Et l’adjoint aux Affaires Culturelles et Conseiller Régional André Barthe résumait bien également le parcours de Jean-Pierre Giovanelli :
C’est avec un vif plaisir que je salue aujourd’hui le riche parcours d’un artiste dont j’ai la chance de suivre l’exigeante création depuis plus de vingt-cinq ans. En effet, nombre d’actions et d’installations de Jean Pierre Giovanelli ont eu pour cadre Nice et sa région, institutions publiques et galeries, depuis « Critique sur la critique d’art », au musée des Beaux-Arts, en 1979, jusqu’à l’installation « SOS Tiers Monde », au MAMAC, en 1993.
Le cheminement de Jean Pierre Giovanelli ne saurait se limiter à un dénominateur commun, foncièrement réducteur. Il compte parmi ses amis les artistes de l’Art Sociologique Gina Pane et Michel Journiac, représentants de l’Art Corporel et entretient un fructueux dialogue avec les grands critiques, sémioticiens et philosophes tels que Pierre Restany, René Berger, Edmond Couchot et Paul Virilio, analyste des technologies de la communication, auteur de « la vitesse de libération » et « prophète » de la « cyberbombe ».
D’où son infatigable interrogation du présent, en une attitude sociologique qui cherche à mettre en lumière la complexité des mécanismes de la société et de l’Histoire.
Cependant, Jean Pierre Giovanelli n’est pas un artiste purement conceptuel, l’œuvre résidant alors dans la seule idée sous jacente, ni même un artiste « sociologique » qui porte son regard sur l’intrication art/société. Chez Giovanelli, le concept est mis en œuvre dans le champ socio-historique et donne forme, par la réification, à un objet, à une œuvre tangible à laquelle le spectateur doit répondre tant mentalement que physiquement, comme nous le voyons dans l’installation « IO » à Gênes, à la Galerie V idea, en 1996.
Par la rigueur de ses questionnements, par son aptitude à les « faire voir », Jean Pierre Giovanelli fait écho avec force à l’affirmation de Joseph Beuys : « L’artiste doit être conscient de la situation historique et entraver le cours des événements ». (André Barthe)
Bien sûr Pierre Restany, célèbre critique d’art fondateur du Nouveau Réalisme, me paraît incontournable pour préciser la place de Jean-Pierre Giovanelli dans l’art contemporain. Voici ce qu’il écrit en octobre 1993 :

Exposition de Jean-Pierre Giovanelli « China Food » à Biella (Italie)

Dans la nébuleuse de l’art sociologique

Dans la nébuleuse de l’art sociologique qui s’est développée en irradiance parallèle au noyau dur du collectif (Hervé Fischer, Fred Forest et Jean Paul Thenot), Jean Pierre Giovanelli fait figure d’astéroïde autonome de première grandeur.
Les « artistes sociologiques » ou les « esthéticiens de la communication » se mesurent avant tout à l’efficience de leur méthodologie ou plutôt de leur emprise mythologique sur l’imaginaire social. Les valeurs qui comptent sont avant tout les éléments qui contribuent à la logique du processus interrogateur.
Jean Pierre Giovanelli a su donner à ses « interventions » la dimension d’un questionnement multiple sur l’art et ses codes. Toutes ses interventions, centrées sur le tissu social de la créativité, révèlent un objectif majeur : la révélation d’une substance mentale et sentimentale caractéristique de la spécificité du matériel humain de base, que l’auteur qualifie très intelligemment de « fantasmatique sociale ». Et c’est là que réside toute la flexibilité et la souplesse de l’humour giovanellien : les fantasmes personnels des individus soumis à la tentation créatrice s’opposent à toute la gamme des mythes issus de notre vieille culture idéologique. En fait le questionnement de l’auteur s’opère en se jouant comme dirait Eugen Fink. Et ce jeu nous laisse entrevoir les prémices d’une nouvelle culture désacralisante : il s’agit d’une véritable hygiène structurelle de l’être dans son rapport intime et direct avec la créativité. « Nous sommes tous des écrivains » déclarent, preuves à l’appui, Giovanelli et Thénot en 1978. L’an d’après, Giovanelli surenchérit au musée de Beaux-Arts de Nice en développant un processus d’intervention « critique » sur la critique d’art. Et puis de 1979 à 1982 tous les mythes structurels de la créativité y passent : l’authenticité, l’identité, la célébrité...
A partir de 1985, le système d’intervention de Giovanelli aborde le champ spécifique des réseaux de communication.
C’est à ce moment-là que l’opérateur sociologique se transforme en esthéticien de la communication. L’objet du questionnement se fait à la fois plus technique et plus précis en fixant l’analyse sur l’incidence du message médiatique sur la réalité quotidienne et la binarisation de la pensée. Giovanelli s’intéresse dès lors au dialogue, à l’imaginaire étalon, aux pages d’artistes hors mesure, à « l’intervention par fax ». A force de mettre l’art à la page, il fallait bien que le travail de Giovanelli se branche sur l’un des points chauds évènementiels de l’actualité. Et c’est l’objet de l’opération « SOS Tiers Monde » qu’il nous présente aujourd’hui au musée de Nice. La légende qui accompagne son installation vidéo se passe de commentaire. « Sur les écrans qui s’ensablent défilent des images satellitaires de notre monde technologique avancé que le spectateur doit sans cesse balayer... »
Et bien nous voilà revenu à la case départ, au concept originel du processus d’intervention que l’on pourrait synthétiser en une formule, l’art est l’essentielle relativité de son message. Malgré d’illusoires apparences, le macrocosme de l’information-communication se porte mal. Les virus à la mode l’agressent de toute part : cancer, sida, sclérose en plaques, régression génétique. Dans cette situation de crise, Jean-Pierre Giovanelli, aventurier marginal des médias, pratique une stratégie remarquable d’hygiène du jugement. Et s’il est dit qu’un jour nous devons atteindre le fond du chaos, c’est peut-être à partir des chromosomes purifiés et enrichis par Giovanelli que se reconstituera la chaîne analogique d’une pensée créatrice adaptée aux nécessités de l’informatique post-industrielle et de l’ontologie post-moderne. (Pierre Restany, Paris, Octobre 1993)

Jean-Pierre Giovanelli et Jean-Paul Thénot dans “Nous sommes tous des écrivains” (1978, Festival International du Livre de Nice)

Jean-Pierre Giovanelli et Saint-Jeannet

Dans le même catalogue, Jean-Pierre Giovanelli dialogue donc avec Lino Polegato, galeriste liégeois et responsable de la revue d’art contemporain Flux News :
Lino Polegato - Est ce que la situation géographique de Saint-Jeannet a beaucoup compté dans les liens que tu as pu tisser avec le monde de l’art dans les années 70 et le questionnement par rapport à cette attitude socio critique ?

Jean-Pierre Giovanelli - Bien évidemment, la présence et l’amitié d’artistes tels que Robert Filliou, George Brecht, les artistes de l’art Corporel, de l’Art Sociologique et bien d’autres encore, ainsi que ma collaboration à la revue Artitudes ont été un élément déterminant d’une formulation interrogative liée à l’Art. Il n’en reste pas moins que ma quête était déjà inscrite dans mon mode de pensée alors que je faisais de la peinture et que je fréquentais le conservatoire de musique de Nice où je m’exerçais à l’art lyrique. Saint-Jeannet est un lieu mythique qui a attiré tous les surréalistes qui y ont séjourné y compris André Breton et d’autres encore.

Lino Polegato - Ce questionnement tient il surtout à ta raison d’être et ton positionnement d’Artiste dans une société donnée ?

Jean- Pierre Giovanelli dans « Célébrité, Cannes, Art vivant » (1982)

Jean-Pierre Giovanelli - Artiste n’est pour moi qu’une épithète qui me permet d’agir dans un champ reconnu comme tel et une pratique qui m’a inscrit de fait dans la mouvance de l’Art Sociologique des lors que j’ai décidé en 1977 de présenter ma réflexion, avec une première intervention sur le Message.

Retrouvez les parties II, III, IV et V de la Chronique 33 :
Chronique 33 Jean-Pierre Giovanelli (Part II)
Chronique 33 Jean-Pierre Giovanelli (Part III)
Chronique 33 Jean-Pierre Giovanelli (Part IV)
Chronique 33 Jean-Pierre Giovanelli (Part V)

Photo de une : Visage de Pierre Restany dans « Ma » (VideoArte, Turin 1998) de Jean-Pierre Giovanelli

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