Extraits de « La Parole oraculaire » (suite 3)
En 1979, de l’Exposition « Lumières Plastiques », Vérots était sorti avec une angoisse de l’être, le cœur plus lourd, l’esprit plus libre, les visions plus claires...
De ces « paysages-espaces » Pierre Cabanne dit encore qu’ils étaient une réalité lyrique animée d’ondes, animée de transparences...
Les titres eux-mêmes indiquent une lisière entre magma et langage, point de basculement de la Genèse : « La pyramide du soleil vert », les « Filets stellaires », la « Nébuleuse du phalène » ...
Encore dans « L’arbre Vert du Soleil », Pierre Restany distille que : Le peintre des idoles de la Provence Noire, le sculpteur des pierres de Coursegoules, l’expérimentateur des émulsions et superpositions de matières plastiques : tout l’André Verdet plasticien des vingt dernières années s’est sublimé lui-même au souffle cosmique de sa vision. (…) La poésie visuelle d’André Verdet rejoint par le cheminement mystérieux des intuitions sensibles la recherche scientifique et ses hypothèses de pointe. Ses tableaux-poèmes donnent aux équations de l’astrophysique ou aux formulations de l’énergie, la chair et le souffle de nos sens, le rythme alterné de nos joies et de nos doutes, la dialectique fondamentale de l’espoir.
« L’Idole enfouie » brûlant sous une feuille de plastique froissée évoque l’éblouissement des dix mille soleils, d’Oppenheimer cette fois, et Jean-Claude Caire écrit que Verdet prépare l’instant où le néant engendre l’infini. L’œuvre alors prend dimension de « tohu-bohu », ce point d’étonnement de la Genèse, mais parfois l’on sort du chaos, parfois l’on y retourne, on ne touche pas impunément à la Bombe qu’est le monde dans son énergie.
Lorsque Rutheford bombarda des particules alpha sur des atomes, il obtint des résultats à la fois spectaculaires et imprévus...
C’est que, dans les années 20, Bohr, de Broglie, Heisenberg, Dirac changèrent notre vision, le monde devint subatomique.
Les artistes ne manquèrent pas d’absorber les nouvelles informations.
C’est ainsi qu’Yves Klein, grand-prêtre du vide, s’y jeta, dans le vide, d’un toit.
La Forme s’était révélée moins fluide moins « imaginaire », cassée davantage en ces paquets - les quanta - que Max Planck avait découvert être l’énergie du rayonnement thermique...
A ce moment-là l’art s’empara de rayons X, le « peu de réalité » n’échappa ni André Breton ni à d’autres modernes, il n’échappa pas non plus à André Verdet qui en atomisa sa Plastique et son Verbe, des paraphes éruptifs produisirent des intensités éparses, mais corsetées de l’intense beauté des équations mathématiques, comme en cette partition complexe, de musique concrète, constituée par « Des milliards et des milliardièmes » (1975) :
Comme si à un certain point seuls les nombres pouvaient venir faire limite au langage, même poétique, jetant celui-ci dans la cave de l’antimatière, dans les vertiges d’un espace où l’esprit est entraîné à la vitesse de l’étoile filante... Einstein faisait-il le chemin inverse : E=mc2 pour dire son vieux rêve d’enfant de chevaucher les étoiles ?...
Einstein poète ? Oui si l’on songe à son intérêt pour le fonctionnement de l’imagination scientifique et il a écrit avec franchise à ce sujet. (Gérald Holton, « Le livre du Centenaire », 1979).
La faculté de visualisation d’Einstein, écrit encore Holton, peut l’avoir aidé dans l’usage brillant qu’il a fait des « expériences par la pensée »" (Gedankenexperiments) La première lui fut inspirée lorsqu’à l’âge de seize ans, il essaya d’imaginer qu’il poursuivait un rayon lumineux et se demanda quelles seraient les valeurs observables des vecteurs champ électrique et magnétique constituant le rayon. Il écrivit plus tard que ce problème « contenait en germe la théorie de la relativité restreinte ».
Comme si de rien n’était, que fait l’enfant, sinon JOUER avec tous les possibles ?
On ne peut pas dire qu’André Verdet se soit privé de la dimension éminemment ludique de l’Art !
Mais de quel JEU, encore une fois ? Ce qui fait « jouer » deux éléments, c’est bien l’écart qui fait rupture entre archer et cible, et permet l’irruption de la SURPRISE. Pas de jeu sans surprise. Pas d’art sans surprise. Et c’est sans doute ce qui surgit régulièrement dans les « Entretiens, notes et écrits sur la peinture », dialogues entre André Verdet et Georges Braque, Marc Chagall, Fernand Léger, Henri Matisse, Pablo Picasso.
Lorsqu’André Verdet demanda à Braque :
- Alors, le tableau ?
– Le tableau est fini quand il a effacé l’idée qui le fit naître. Je le sens et je le sais. Il me serait impossible d’aller plus loin, plus avant, d’ajouter au tableau le moindre élément.
Ailleurs André décrivit à Georges Braque l’espace de ses tableaux comme feutrés de chuchotements qui se perdent l’épaisseur du silence.
Et Georges de lui révéler sa recherche d’unité face au fourmillement... L’art est une blessure qui devient lumière...
André rétorque que c’est Le regard qui ameute soudain l’esprit. Il n’est pas sans nous en convaincre.
Et à Matisse il demanda... derrière ces rimes et ces rythmes, quel écho de nostalgie imperceptible crois-je percevoir, si lointain, Henri Matisse ?
Qui répond :
– Peut-être la plainte d’Orphée
Quant à Picasso, Verdet lance :
Ton trait est parfois un pont
Promptement jeté
Par-dessus les abîmes
Traquer le vide
Verdet eut la bonne idée d’aller sonder tous ses amis, les géants de l’époque, mais une autre époque est en train de naître avec sa star Yves Klein. Et en mai 62, Verdet lui consacre un poème-hommage qui paraîtra dans le catalogue de l’exposition des « Peintures de feu », galerie Tarica, Paris, Mai 1963.
Ô foudres planètes et fusées
Par le feu et par l’eau
Yves Klein le croisé
Passe au bleu de la flamme
Lessive originelle
L’histoire du tableau
Les « Marcheurs de l’infini » - de Giacometti - apparaîtront à André Verdet également pris entre glèbe et matière craquante de météorites :
Taraudés troués d’espaces
De vents et de misères
Frottés de boue séchée
Et de vieux cataclysmes
D’astres éteints et de lunes mortes
Infinis dans l’infini
Tout en étant là
Et puis son « constant éveil » selon Pierre Restany fera d’André Verdet un écouteur privilégié de tout ce qui se tissera autour de lui pour constituer la génération suivante. Le nombre de textes-témoins est impressionnant.
Car André sera le pôle magnétique de toute la Création dans les Alpes-Maritimes et plus loin, sa grandeur sera de transmettre, par son œuvre mais aussi sa présence, ce qu’il aura partagé avec les maîtres, maître lui-même d’un art tout à fait unique. (France Delville « La Parole Oraculaire », Melis Editions)