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Chronique 32 : André Verdet et Saint-Paul, et réciproquement (Part I)

André Verdet ou La parole oraculaire

Le clip vidéo qui accompagnera la partie III de cette chronique donne des extraits d’une journée qui célébra, le 17 décembre 2006, le premier anniversaire de la mort d’André Verdet. A l’aube, ce jour-là, nous parcourions le Champ des Idoles du Col de Vence, tant aimé d’André, et où il emmena tant d’amis, comme pour partager un trésor, Champ des Idoles qu’il interpella ainsi :

N’est-ce toi qui d’un bloc fais se retourner le pâtre dans les hautes solitudes géologiques ? N’est-ce toi qui fais que d’un même accord inquiet le troupeau suspend sa rumine, n’est-ce toi qui rends plus silencieux le silence et plus rare l’espace ?

Tableau d’André Verdet

Au cours de mes chroniques (et de celles de France Delville) André Verdet a été déjà abondamment traité du point de vue des archives de mes deux galeries, celle de Vence (1960-1974) et celle de Saint-Paul (1974-2000).
Pourquoi ce rappel de la « Célébration cosmique » de décembre 2006 ? C’est que René Buron, qui fut longtemps Maire de Saint-Paul, et qui aime beaucoup André Verdet, au cours de la dernière manifestation de la journée souhaita longue vie à la toute jeune « Association des Amis d’André Verdet » fondée par Luciano Melis. Huit ans plus tard, et après diverses fortunes, l’Association a le projet ferme de se recentrer autour de la transmission de l’œuvre d’André, à commencer, c’est logique, par son rapport au berceau de sa famille, Saint-Paul. Saint-Paul sans André, André sans Saint-Paul, cela n’existe pas.

Provence Noire (André Verdet/Picasso)

Il y a encore tout à dire sur l’œuvre d’André Verdet, poétique, plastique, littéraire, critique. Il fut au cœur de ce qui se passa dans la deuxième moitié du XXe siècle dans les Alpes-Maritimes, à partir de Paris (rencontre avec Jacques Lepage, Restany etc.) et, ici, à partir de sa rencontre avec Picasso, ce qui n’est pas rien.
Nous l’avons particulièrement filmé en 1997 au sein de mon exposition « Ecole de Nice. » (Ecole de Nice, point), puisque, comme il le dit à un moment, j’ai « osé » l’inscrire dans ce Mouvement en 1967, place Godeau, alors qu’il se situait un peu à l’écart des théories fondatrices. Il y fut à sa manière, dans cette Ecole, et je ne le regrette pas.
Aujourd’hui, dans cette chronique, j’ai eu envie de donner de larges extraits d’un livre que France Delville a écrit sur lui aux Editions Melis, et qui est né de leurs conversations. Dès que la formule « parole oraculaire » a été prononcée devant lui par le futur auteur, je suis témoin qu’André en a attendu le développement avec impatience. Place donc à cette parole particulière, après que j’aie répété ce qu’un jour j’ai écrit sur André, et qui fait écho :
… Il a aimé son pays, sa terre, ses rocs déments, sa sublime végétation, les rythmes chancelants de ses saisons, et, au loin, sa mer presque invisible à force d’être étincelante. Ses premières peintures, ses premiers écrits sont une saga qui inscrit sa Grand-Terre parmi les Hauts-Lieux du monde. Puis son œuvre s’est réinventée…

Provence Noire (André Verdet/Picasso)

Et aussi cette parole de Pierre Restany : « Plus que jamais, qu’il soit poétique, pictural ou formel, l’univers d’André est un, riche, bouleversant...
Citons aussi en préambule le poème qu’il adressa à France Delville à l’intention du livre, intitulé « De quel horizon venu l’espace » :

Entre l’infiniment grand
Et l’infiniment petit
Du système galaxie
Et venu de quel horizon
Comme de l’au-delà même
De son éternité franchie
L’Espace se distribue
Se distribue des atouts maîtres
Sans perdre usuellement son temps

Or n’arrive-t-il à l’Espace
De se retourner
Se retourner vers lui-même
Parfois et sinon
Et dans l’instant juste
Juste où il lui plaît
De se rencontrer
Tout en faisant semblant
De ne pas se reconnaître

Pourtant n’est-il pas vrai aussi
Qu’il s’était de lui-même
Tellement tellement éloigné
Comme à l’acmé même
De ses nécessaires
Et si déroutants
Faux semblants d’Espace

L’Espace si vrai en soi-même
Et donnant tout son temps
Au Temps

(André Verdet)

Coursegoules (dans Provence Noire)

Extraits de « La Parole oraculaire »

Enfance à Saint-Paul : André écrit que c’était le bonheur. Que c’étaient des soirées passées à contempler les étoiles et la lune, en compagnie de l’oncle Joseph, guide de promenades pour transmissions à l’ancienne, dans le respect du rythme de l’enfant. On pense à Einstein, qui refusa toute discipline pour mieux écouter son daïmon...
Goûter, toucher, humer, la terre, le ciel, les figuiers, les cigales, n’est-ce pas l’une des formes de l’amour antique ? Les Grecs envoyaient chaque matin un baiser au soleil pour le remercier de les éclairer...
L’enfant Verdet initié au monde par ses coulisses ne s’acharnera-t-il pas à lever le rideau de la scène, permettant au kaïros d’apparaître, à ses rencontres fabuleuses ? Pour qui sait voir. Voix éoliennes pour qui sait entendre... Terre, Ciel, œil (interne) forment le trépied de la Pythie, posé sur un sol vibrant.
Celui qui a VU la grandeur du monde, pourra la transmettre, à qui sait voir. Ainsi San Lazzaro, directeur de « XXe siècle », pourra écrire en 1958 :
Je dois te confesser que depuis plusieurs années, je n’arrivais plus à voir le paysage, le paysage dans lequel, pourtant, je me sentais évoluer. Comme un aveugle je le respirais, je le touchais de la main, je l’écoutais mais je ne le voyais pas. Dans tes peintures, dans tes gouaches, dans tes dessins, que j’ai été un des premiers à admirer, j’ai trouvé l’arbre, l’étoile, la lune : enfin le paysage semblable à celui que voyaient les anciens et servant de toile de fond aux belles hanches et aux seins ronds de leurs Vénus endormies sur l’herbe. Je veux dire le paysage mental, participant à la peinture de ces temps heureux.
Mais qu’est-ce que cet « oracle », métaphore d’une écoute privilégiée ? Un dire pas tout à fait donné, pas tout à fait refusé, tout humide de la lave centrale de la Vérité... Vérité comme Réel, on y revient... Les grands-prêtres n’y cherchaient pas un délire, mais un projet de société... Le "subjectif" d’un groupe pour y mieux ancrer des Sujets... Cette valeur donnée au subjectif étant, bien sûr, taxée de délirante par des rationalistes en mal de certitudes, mais les Schopenhauer, Nietzsche, Bertrand Russel, Althusser, Derrida, Levi Strauss, Prigogine etc., ont entamé la prétention au « vrai », et à ce désir d’adéquation qui revient toujours, pour panser (penser) les plaies. Ils ont, une fois de plus dans l’histoire, autorisé l’irruption de blancs, ou d’obscurités. Trous noirs de la pensée. Accueil de l’irreprésentable sous des mots qui tournent le dos au langage pour se lover dans de la Parole.... Une partie de l’œuvre de Verdet se constate aujourd’hui dans cette langue-là, mais il est excitant de traquer déjà dans ses débuts d’apparence plus classique des indices de ce que je propose d’appeler sa langue oraculaire, celle dont il fut dit à Delphes qu’elle ne montrait ni ne cachait, mais donnait à entendre : Oute legei oute kruptei, alla semainei...

Dessin d’André Verdet

Et lorsque récemment, en hommage à Jean- François Lyotard, André Verdet demanda si l’atome grec était encore gouverneur, j’ai eu envie de répondre qu’il gouvernait au moins son œuvre à lui, celle de Verdet. Si atome évidemment est entendu comme énigme du bing-bang, parce qu’alors il le sera aussi comme origine du langage, tout symbole marquant les deux visages, de ce qu’on appelle le monde et de ce qu’on appelle le verbe. Pour le parlêtre.
Logos-sumbollon fendu en son centre pour marquer l’indécidable. Et l’insécabilité de l’atome pourra venir renforcer l’image, symbolisant la limite où bute le langage, qui, lui, n’est que coupure. Cet insécable, ou coupure impossible pour un irreprésentable, contraint donc le parlêtre, le poète, à forger d’étranges mots, inaccoutumés.
L’atome comme désir d’André Verdet ?
Une vision impossible à rapporter l’aurait-elle plongé au fur et à mesure de son dévoilement dans cette recherche Physico/Sémantique, le contraignant d’habiter ces confins-là en tant que ventriloque de l’espace, oreille contre murex, tissant et détissant logos et phaïnestaï, parole et apparition, ondulatoirement ? Drogué aux vides originaires, l’homme à la parole oraculaire se frayera alors un chemin parmi les rognures d’amphore où s’est inscrit un jour le rêve de Schliemann...
Verdet le Grec ? Mais un peu taoïste, un peu égyptien, là où le savoir se traduit en éventails de phonèmes, voisins, et pourtant éclatés. Peu importe, car Verdet inventa une langue à lui, qui, de sa langue maternelle fit cette épure, cette dérivée langagière, cette ellipse…

(A suivre)

Photo de Une : André Verdet, capture d’écran du film de France Delville Galerie Alexandre de la Salle en 1997 pendant l’exposition « Ecole de Nice »

Artiste(s)

André VERDET

Né le 4 août 1913 à Nice, et mort le 19 décembre 2004 à Saint-Paul-de-Vence. Il est resté fidèle à sa région natale toute sa vie, et à été l’ami de nombreuses célébrités des arts comme Pablo Picasso, Fernand Léger, Jean Giono. Photo de Une : © DR

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