« La nuit n’est pas la nuit » (André Verdet)
La guerre, l’Occupation, les camps, André Verdet les raconte dans un livre intitulé « La nuit n’est pas la nuit », édité pour la première fois en 1948 aux Editions
« Pré aux Clercs ».
Comme l’écrivit Dominique Desanti :
Au seuil du millénaire, il importe de garder les témoignages majeurs de ce XXe siècle plein de merveilles, mais aussi de massacres. Rangeons côte à côte les livres de Primo Levi, de Soljenitsyne, de Jorge Semprun, Robert Anthelme pour « L’espèce humaine », David Rousset pour « Les jours de notre mort » et « La nuit n’est pas la nuit » d’André Verdet, « Roman ». (Dominique Desanti).
Ce n’est pas rien. Alors peut-on connaître André Verdet si l’on n’a pas lu « La nuit n’est pas la nuit » ? Et Françoise Armengaud (écrivain, philosophe, Université de Paris X Nanterre), qui le connaît si bien, introduit formidablement le livre dans la réédition en l’an 2000 des Editions Melis. Après avoir rappelé qu’André Verdet, poète combattant, en Résistance s’appela Clairval puis Commandant Duroc, qu’il fut arrêté le 22 février 1944 à Paris, qu’il eut le matricule 186.524 à Auschwitz (1), et fut libéré à Buchenwald le 11 avril 1945, Françoise Armengaud écrit :
Voici un peu plus de cinquante ans, il venait d’être affranchi des camps de la déportation et de s’affranchir car les prisonniers avaient pris les armes avant l’arrivée des Alliés. Il allait entamer la rédaction de ce livre, qui sera publié par Paul Richet aux Editions du Pré aux Clercs en 1948. Le récit commence avec l’arrestation, il se poursuit avec la difficile et douloureuse évocation de la vie concentrationnaire. Il s’agit d’emblée pour Verdet de témoigner d’une double réalité : celle du cauchemar, et celle de l’espérance. Il lui faut impérativement dire ce qu’il appelle « la nuit », la souffrance infligée, la torture, les agonies, l’angoisse et l’horreur. Il lui faut dire également et peutêtre surtout l’effort quotidiennement soutenu pour conjurer les puissances du mal et des ténèbres. D’où le titre en forme de dénégation et plus encore de protestation : La nuit n’est pas la nuit. Or c’est là une conviction majeure de la personne et de l’œuvre verdétienne, et un constant fil d’Ariane.
Ainsi, bien plus tard, à propos du tableau de la Pietà d’Avignon, le poète, soulignera « l’affirmation et la ferveur d’une conscience en éveil qui se refuse à admettre l’abîme du vide, le néant ».
On sait que pour son ami l’écrivain Jorge Semprun, à sa sortie de ce même camp de Buchenwald, l’alternative comme il devait le révéler cinquante ans plus tard lui aussi par un titre était exclusive ; il lui fallait choisir : « l’écriture ou la vie »... Pour Verdet, les deux exigences s’avéraient indissociables : l’écriture et la vie. Tant il est vrai que la volonté d’art se confond avec la volonté de vie, avec cette force qui triomphe de la mort.
Dès son retour parmi les siens à SaintPaul de Vence, puis installé au hameau de SaintPons près de Gréolières, il se met à la tâche en même temps qu’il réapprend à vivre. Au fil des mois, quelque quatre cents pages, recelant des trésors de lucidité, de grandeur et de compassion, auront tenté de formuler l’indicible.
C’est trop peu d’avouer que ce « roman » autobiographique, rédigé à la troisième personne sous le pseudonyme, emprunté à une tante aimée, du nom de Taulanne nous bouleverse. Pareil trait ne le distingue en effet nullement des récits de David Rousset, de Primo Levi de Robert Antelme et de Semprun, pour ne citer qu’eux. Qu’estce qui constitue alors son originalité ?
J’aimerais suggérer ici qu’outre son intérêt historique, politique, voire documentaire, outre sa valeur intrinsèque en tant qu’œuvre littéraire, ce roman, qui souvent revêt une allure de long poème à la fois narratif et lyrique, tout en nous conviant et adjurant à une indispensable réflexion morale, revêt aussi une portée de manifeste poétique, au sens le plus fort du terme, qui lui confère peutêtre sa résonance la plus singulière.
Mais si la poésie ne le quitte pas, ce n’est pas à elle que Verdet se consacre d’abord, loin s’en faut. Engagé dans les Forces Françaises Combattantes au ler janvier 1941, il concentre toute son énergie dans la lutte. Grâce à Jean Constant dit « l’Albanais », il adhère au cours des mois qui suivent au Mouvement Combat. Il travaille avec Claude Bourdet et avec Jean Gemahling, responsable à Lyon du service des renseignements du MUR (Mouvements Unis de la Résistance). En 1942 il recrute dans son service le journaliste et futur écrivain, critique et romancier, André Brincourt ainsi que sa compagne Jeanne de la Patellière.
André Brincourt qui a publié en 1990 aux Editions Grasset un ouvrage intitulé « La parole dérobée » où André Verdet apparaît sous les traits du commandant Duroc.
Il devient en 1943 l’adjoint du Colonel Degliame Fouché dit « Dormoy », chargé de l’Action Immédiate à Paris et en France.
L’agent VerdetDuroc circule entre Paris et sa banlieue, Lyon, Nice et Gréolières dans l’arrièrepays où se sont réfugiés de nombreux juifs. Il participe à des sabotages de voies ferrées, à des attaques à main armée ainsi qu’à des activités de contreespionnage, dans le cadre du Mouvement Combat et du Mouvement de Libération Nationale. Ses renseignements permettent le bombardement de points stratégiques ; notamment de la poudrerie de Maintenon. Verdet fonde son propre réseau fin 1943. Son garde du corps dit « Actu » le trahira.
Il est arrêté à Paris le 22 février 1944, à 7 heures du matin conjointement par la Gestapo et par les services des Brigades Spéciales. Interrogé rue des Saussaies, le « vaillant soldat n’a pas parlé sous les tortures » : tels sont les mots du Colonel Degliame Fouché, parmi les témoignages de ses supérieurs de la Résistance.
Conduit à la prison de Fresnes, puis transféré au camp de transit de Royal Lieu à Compiègne, où il retrouve son copain de lutte le poète Robert Desnos, il fut embarqué pour Auschwitz dans le fameux convoi dit Pucheu, et amené par la suite à Buchenwald.
Là il poursuit la résistance à plusieurs niveaux. Sabotage industriel portant notamment sur la fabrication d’instruments d’optique pour la marine de guerre allemande. Affirmation de la force de la pensée, du cœur et de la parole, face à l’entreprise d’asservissement culturel de l’idéologie nazie. Cette lutte se fait au sein du Mouvement Combat et en liaison et en accord avec le Comité des Intérêts français à Buchenwald à la tête duquel se meuvent sans relâche le communiste Marcel Paul et le libéral Colonel Frédéric Manhès. Or ce Comité œuvre avec tous les autres groupes clandestins d’autres nations, qui se concertent solidairement au plan politique international.
Tout au long du récit, Verdet souligne l’importance de la solidarité, de l’entraide généreuse ainsi que du maintien de soi dans la dignité. De nombreuses pages de La nuit n’est pas la nuit attestent de cette décision : « Vouloir durer, survivre, malgré les conditions effroyables de la déportation, vouloir s’opposer, dans la mesure prudente et selon le maximum humain de ses possibilités, à cette sanglante oppression, vouloir ’protester’ contre cette dégradation physique et morale, par le nonrenoncement à soi-même et à ses idéaux »... Le souvenir lumineux de sa jeune femme, Camille Parèze Claire dans le roman épousée depuis peu, ne cesse de le soutenir. Il lui dédie maints poèmes.
L’évocation de son cher SaintPaul de Vence, ce « village de proue en forme de caravelle », apaise quelque peu ses tourments.
Nous devons à Yves P. Boulongne, poète résistant, déporté lui aussi à Buchenwald, une précieuse description d’André Verdet, présenté comme l’un de ces « détenus inlassables que l’ardeur de la lutte transcendait... Autour du bloc 48, Verdet allait, se prodiguait. Entre deux rendezvous clandestins, dans la pénombre d’une baraque, sur l’inoffensif rebord des tinettes, il trouvait le moyen d’écrire, de se dépenser sans compter. De ses poches, des morceaux de papier tordus s’échappaient... Il avait toujours un travail en vue : des jumelles à saboter, un poème de Prévert à dire, un ami à réconforter. .
Boulongne et Verdet prendront le risque de rassembler les poèmes de leurs camarades détenus, qui seront publiés avec les leurs dans L’Anthologie des poèmes de Buchenwald en 1946 chez Robert Laffont. Dans son introduction, Verdet met en exergue le sens que révèlent ces poèmes : « Malgré l’enfer sur la terre, des hommes ont pensé, non pensé littérairement, mais pensé humainement, pensé que quelque part, hors de cet enfer, le monde conservait encore une part immense de beauté et de bonté » ...
D’autres poèmes de Verdet, écrits en prison et dans les camps, paraîtront sous le titre Les jours, les nuits et puis l’aurore. Des années plus tard, la peinture prendra le relais avec la série de toiles des Masques et Visages sacrifiés. (Françoise Armengaud, préface à « La nuit n’est pas la nuit », extrait)
(A suivre)
Retrouvez les parties I, III, Iv et V de la chronique 29 :
Chronique 29 : André Verdet le Résistant (Part I)
Chronique 29 : André Verdet le Résistant (Part III)
Chronique 29 : André Verdet le Résistant (Part IV)
Chronique 29 : André Verdet le Résistant (Part V)