Suite et fin du texte de Marcel Alocco sur Albert Chubac dans le catalogue de la Galerie Harter
… À l’ombre d’un figuier de son jardin, Albert Chubac, qui parfois disait qu’il aurait aimé vendre des cornets de glaces sur la Croisette, ne se voyait sans doute pas en précurseur d’artistes à grandes gesticulations médiatiques...
Nous avons donc pu tardivement redécouvrir une peinture figurative qu’il avait étran¬gement occultée après son arrivée. Peinture figurative dans le sens où c’est bien la figure humaine qui est présentée, mais que nous dirions volontiers peinture écrite puisqu’elle est dite de signaux plus que de ressemblance, construite de traits continus, images simples closes, elles mêmes cernées par un réseau complexe de lignes colorées. Si nous retrouvons en plus intense sur ces toiles, déjà à fond blanc, les mêmes couleurs vives et les mêmes coups de pinceau plats d’un tracé continu que dans les toiles abstraites, il faut y noter la force de certains noirs, couleur (ou non couleur) qui ne sera plus utilisée à Aspremont. Lorsqu’il s’y installe, les disques et traces de couleurs pures sur le blanc de ses toiles le situent au voisinage de certaines démarches d’abstraits qui lui sont contemporains comme Gottlieb ou Degottex. L’unité de son itinéraire, depuis ses figures jusqu’aux objets, réside dans l’économie des couleurs, la simplicité toute égyptienne des tracés à laquelle, mar¬qué par un long séjour sur le Nil, l’artiste a fait constamment référence, pour aboutir comme il l’avait pratiquée sur le plan de la toile, à la rigueur des structures dans l’espace. (Marcel Alocco, mai 2013)
Et pour finir, l’histoire d’une longue amitié
J’ai moi-même été invité à témoigner de l’œuvre d’Albert dans ce catalogue, comme ici il y a un peu plus de place, voici mon texte in extenso :
En septembre 1990, nous étions chez lui, à Aspremont, dans cet atelier merveilleux saturé de couleurs, de carrés, de losanges, d’une infinie variété de combinaisons, et nous lui avons fait une interview filmée, dans laquelle il dit que, venant de Paris, et s’étant déjà intéressé à l’art géométrique, il avait quelque chose à apporter à des gens plus jeunes. Mais par ailleurs il était lui-même frappé par le Nouveau Réalisme, et le Pop’Art, dans leur rapport à l’objet. Je l’ai intégré en 1967 dans l’exposition « Ecole de Nice ? », et je ne l’ai plus lâché, il a été de toutes mes expositions décennales « Ecole de Nice », plus, en 1974 de celle intitulée : « Dix artistes de l’Ecole de Nice », qui inaugurait ma galerie de Saint-Paul. Et jusqu’à 2010, où, bien sûr, il figura dans la commémoration « Cinquante ans de l’Ecole de Nice » au Musée Rétif, que Mireille et Philippe Rétif m’offrirent d’organiser. Albert n’a pu y assister, nous ayant quittés en 2008.
Albert a présenté chez moi aussi des expositions personnelles. En 1968 : « Peintures », en 1980 : « Peintures ». En 1982, une exposition organisée par moi à la Galleria Luisella d’Alessandro à Turin, (ainsi qu’en 1984), et chez moi à Saint-Paul, en 1983 : « Collages ». En 1989 : « Structures murales et spatiales ». En 1991, à nouveau : « Structures murales et spatiales ». Albert a également fait partie d’un certain nombre d’expositions de groupe : en 1978, lorsque j’ai emmené ses œuvres à la première Foire de New-York, ainsi que celles de Chacallis. En 1979, c’était à la FIAC. En 1982 : « Peinture/photo » dans ma galerie, comme en 1987 : « Abstraction Géométrique » et en 1988 : « Abstraction Géométrique ». En 1989, c’était à la Foire d’Art Jonction (Nice), en 1990 au Salon « Ambivalences » (Paris), en 1991 au Salon « Découvertes » (Paris). En 1992 : « Abstraction géométrique », chez moi. En 1993, à la Foire d’Art Jonction (Nice). En 1997, il participa à mon exposition « Le papier à la une », ainsi qu’en juillet 1999, à la fête de fin de Galerie.
Dans « le Paradoxe d’Alexandre », en 1999, j’ai fait un portrait d’Albert qui pour moi exprime bien l’effet qu’il me faisait : « Ah ce Chubac !... Râleur, rieur, méchant comme une teigne, mais aussi tendre qu’un jeune homme farceur ! Je ne connais personne, qui, comme lui, après une visite, sache vous adresser un souvenir coloré, avec trois mots de sympathie, de sa courante écriture. Son atelier ? Une fête de formes découpées, de collages aux trois couleurs mais pouvant se décliner à l’infini ; en quelque sorte une véritable accumulation, jouant avec l’espace et la lumière de ce lieu enchanté. Plus que quiconque il a compris l’esprit de notre région, des lieux de mer, des chaises longues, des parasols blancs, bleus ou rouges, d’une déambulation calme et tranquille. Plus que personne il en a sublimé l’image en la poussant bien sûr jusqu’à l’abstraction de ses superbes collages. D’Aspremont il voit la mer, et elle monte jusqu’à lui comme pour irriguer son travail... Alors, heureux qui comme Chubac ? Oui, mais c’est un peu juste, car, derrière cette fête, il y a, et c’est inévitable, un homme et ses angoisses, et qui devant toutes les abysses, s’interroge, s’interprète, et assume. J’ajouterai qu’en 1990, à l’occasion d’une exposition avec Belleudy, Decq, Girodon et Garibbo, j’écrivais ceci : « Albert Chubac, né en 1925, est l’un des plus anciens et des plus importants membres de l’Ecole de Nice. Il est également, et sans conteste, l’un des meilleurs abstraits géométriques européens de sa génération ».
A partir de 1955, à Nice, il s’est lié d’amitié avec Martial Raysse, Claude Gilli, il a rencontré Ben, Alocco, Venet, Serge III…Ben l’exposa dans Scorbut, avec Gilli, Raysse, en 1960 Hubert Meyer montra son travail à New-York, ce fut le premier artiste de l’Ecole de Nice à exposer dans cette ville, il y retourna en 1961, à la World House Gallery, mais ensuite hésita à s’éloigner, à cause de ses chats. Son installation à Aspremont fut définitive. En 1966, il fut impliqué dans diverses manifestations de groupe, particulièrement à la XXXIIIe Biennale de Venise où la Galleria del Leone l’exposa parmi « 10 Superealisti », avec Arman, Ben, Farhi, Gette, Gilli, Malaval, Serge III, Venet et Viallat, cette liste se rapprochant de la brochette que j’allais exposer en mars 67. Durant l’été, Albert participa aussi à « Impact » au Musée de Céret, organisé par Jacques Lepage et Claude Viallat, et à « Le litre de Var rouge supérieur coûte 1,60 » à la Galerie A (Nice), avec Alocco, Ben, Bozzi, Brecht, Dietman, Farhi, Klein, Mosset, Serge III, Viallat. Et donc à l’exposition Ecole de Nice de la Galerie « L’Œil écoute » fin 1966, avec Arman, Deschamps, Farhi, Gilli, Malaval, Pavlos, Venet, Viallat.
Albert Chubac navigua donc tout naturellement vers ma galerie et l’exposition de 1967 que le catalogue de la rétrospective Chubac au Mamac en 2004 intitula « la première exposition structurée Ecole de Nice ».
L’année suivante, en 1968, l’exposition dans ma galerie eut pour carton d’invitation cette petite hélice colorée en plexi. Il y en eut d’autres, des invitations allègres, jusqu’à celle du 3 juin au 2 juillet 1983, dont le catalogue est aussi un objet « chubaquien ». Le travail d’Albert met du baume au cœur, c’est sans doute pour cela que mes murs furent en permanence lieux d’accueil de ses œuvres, et mes sols supports de ses sculptures, je revois avec bonheur des photos de ma galerie pleine de ses couleurs, de ses formes : il ajoutait vraiment de la lumière à la lumière.
Dans le catalogue de mon exposition « Ecole de Nice. » (1997) j’ai encore écrit sur lui, annonçant son exposition de collages de 1998 : « Albert ! L’ami Albert a reçu le Sud en partage, ses espaces, ses lumières, ses rythmes lents, la mer, les plages, beauté à l’état pur, permanence dans l’impermanence. Il est le chantre d’une liturgie de l’homme en une sorte d’éternelle vacance où les parasols, les chaises longues, les toiles blanches, bleues, sont comme l’incroyable métaphore de temps heureux. Sa magie est simple, sereine, mais l’équilibre, le jeu, y règlent rigoureusement la partie. Il est incontestablement l’un des meilleurs abstraits construits européens de sa génération, et ils sont de plus en plus nombreux, ceux qui le savent. Lui qui aima tant ses voyages outre Méditerranée m’a souvent dit qu’il aurait dû partir avec stylos et papiers, regarder les gens vivre, et écrire des nouvelles. Rétrospective ici, l’année prochaine, de ses quarante ans de collages. Chubac for ever...
Et en juin 1989, Avida Ripolin (France Delville/de la Salle) écrivit : « Il n’est rien de plus simple, et de plus impalpable, quoique de plus perforant, performant, vital, qu’un rayon de lumière, et Chubac est décidément un grand architecte de la lumière, nouveau géomètre pour des temps où les corps, leur habitat, leurs totem commencent à être reconnus pour ce qu’ils sont en réalité : des couloirs à photons. Heureuse invasion chubaquienne de segments colorés de pensée pure... Chubac nous fait vivre à midi, sous la chaleur blanche de l’équateur, plus d’ombre au tableau, seule la roue silencieuse et savante d’une juste clepsydre sonne l’exactitude dans un silence au silence pareil ». (Avida Ripolin)
(A suivre)
Retrouvez les parties I, II, III et V de la chronique 28 :
Chronique 28 : Chubac pour mémoire (Part I)
Chronique 28 : Chubac pour mémoire (Part II)
Chronique 28 : Chubac pour mémoire (Part III)
Chronique 28 : Chubac pour mémoire (Part V)
Photo de Une : Catalogue de la Galerie Harter (2013)