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Chronique 28 : Chubac pour mémoire (Part I)

Couverture de “Chubac” (Z’Editions”)

Vive Albert Chubac !

L’œuvre d’Albert Chubac fait en ce moment l’objet d’une très belle exposition à la galerie des Ponchettes de Nice. Si Albert était encore vivant, il laisserait éclater son enthousiasme. Comme il l’explique dans le clip vidéo qui accompagne ce chapitre, Albert retirait toujours une grande joie personnelle du travail accompli. Mais nous pouvons, nous, être tout aussi enthousiastes, une fois de plus, devant une exposition d’Albert. Même si je l’ai exposé un nombre incroyable de fois, je suis toujours émerveillé par la diversité colorée et joyeuse de ses combinaisons de formes, de couleurs et de propositions (qu’il appelait lui-même ses « combines »).
Vive Albert, donc, et vive cette exposition des Ponchettes (3 décembre 2013- 9 février 2014), dans la lignée de celle de 2004 (29 janvier- 16 mai) au MAMAC, effet de la donation d’Albert d’une centaine de ses œuvres à la Ville de Nice pour son musée d’Art moderne et d’Art contemporain. Le livre « Albert Chubac » édité par la Galerie Harter (Nice), vient à point lui aussi, d’autant plus que des œuvres peu vues, celles du début, y apparaissent, Monsieur Jean-Pierre Harter ayant constitué une collection « Chubac » toutes époques confondues, et qu’il en fait aujourd’hui profiter le public. J’en parlerai plus loin, mais je voudrais d’abord revenir à l’exposition de 2004 au MAMAC, et à son catalogue qui mentionne, entre autres, merci pour mes archives, toutes mes expositions Chubac. Et d’abord citer, parmi ses textes, celui de Gonzalo de Semprun, l’un des amis les plus proches d’Albert Chubac, texte déjà présent dans le « Chubac » de Z’éditions » (1989).

L’atelier d’Albert Chubac, photo Muriel Anssens (Catalogue Mamac, 2004)

Chubac par Gonzalo de Semprun

Pour bien comprendre la démarche de Chubac, sa continuité, sa cohérence, il faut visiter son atelier, ce chef d’œuvre de pagaille apparente, ce lieu où une foule d’objets sont posés ça et là, devraient se nuire et se contredire, se porter ombre et tort les uns aux autres et qui, pourtant, invitent à la fête des yeux, au charme d’un monde radicalement différent, ludique, qui a effacé, avalé, gommé, toute la rigueur de l’effort et même son austérité, qu’on n’ose qualifier d’implacable car c’est à l’opposé de ce que Chubac veut vivre, et pourtant.
Pourtant, les objets, les sculptures, les collages qui occupent l’espace par l’effet du hasard, semble t il, témoignent d’une unité fondamentale, forment un tout cohérent dont le fil conducteur est l’enchantement de la lumière. La lumière se complaît dans l’œuvre de Chubac. Depuis la transparence chaleureuse des sculptures en plastique ou altuglas, ronronnant de plaisir sous la caresse du soleil dans un combinatoire de nuances toujours recommencé, jusqu’aux collages évidents par leur simplicité (vous avez dit simplicité ?) de formes et de couleurs, tellement simples que les simples pensent : comme c’est simple ! Même moi, je serais capable d’en faire autant !
Eh non, ce n’est pas si simple !
Rigueur et austérité, mais oui, sous tendent cette apparente facilité et cette gaîté contagieuse qu’il a fallu gagner au prix de...
Mais laissons de côté les détails biographiques car l’exhibitionnisme n’est pas de mise en ces lieux. Donnons plutôt notre langue aux chats ! Contentons nous de ce qui plaît à la lumière, cette géométrie conduite par l’esprit de finesse, ces rouges, ces bleus... ces plages blanches, qui insinuent, chuchotent, crient que la vérité n’est pas triste. (Conzalo de Semprun).

Albert Chubac et Alexandre de la Salle à Aspremont (Photo France Delville)

Une visite dans l’atelier d’Albert Chubac par Raphaël Monticelli

Dans le catalogue du MAMAC, évidemment un très beau poème de Raphaël Monticelli célèbre « Une visite dans l’atelier d’Albert Chubac »… Raphaël qui a si bien accompagné la création dans les Alpes-Maritimes d’une sorte d’écho littéraire très pointu sur l’histoire de l’art en train de se faire…
Si je voulais vous faire un cadeau rare et précieux, je vous convierais à me suivre dans l’atelier d’Albert Chubac ; je suis sûr que, quels que soient votre connaissan¬ce de l’art et votre intérêt pour lui, vous emporterez une image qui ne vous quitte¬ra plus, vous aurez le sentiment d’avoir vu l’art dans son lieu de naissance et dans sa naturelle nécessité :

peu de chemins vous conduisent
dans l’atelier d’Albert Chubac
ils grimpent entre ciel et genêts
et ils gardent le souvenir
de la lenteur des temps passés

Albert Chubac et Alexandre de la Salle près de l’extension en construction de l’atelier d’Albert Chubac (Photo France Delville)

Albert Chubac s’installe à Aspremont, sur les hauteurs de Nice, au début des années cinquante, par amour de la Grèce... Il a retrouvé là, dit il, la même clarté et les mêmes paysages :

quand les vagues quittent la mer
elles se font rochers collines
au lointain elles sont montagnes
dont l’image troublée s’estompe
bleu pâli dans le bleu du ciel

Il a construit son atelier autour d’une petite maison, tout de blanc et de verre, transparence et réflexion, encombré d’œuvres de toutes sortes, d’objets accumu¬lés durant un demi siècle de passion patience :

blanc de la chaux étincelant
douceur du lait des souvenirs
dedans et dehors se fiancent
c’est l’embrassade des journées
dans l’atelier d’Albert Chubac

Dans l’atelier d’Albert Chubac, on doit se frayer un chemin entre les œuvres, du corps et du regard ; vous voilà dans un jardin d’hiver un jour d’été, fleuri d’œuvres grandes et petites, posées au sol ou qui pendent du plafond, qui s’entassent contre les murs et poussent dans tous les recoins et, au delà des œuvres, le regard part au-dessus de la vallée du Var vers les Alpes diaphanes mers :

le romarin le genêt la figue
poussent dans l’or humble des simples
ça bourdonne ça melliflue
ça se faufile dans les herbes
c’est l’atelier d’Albert Chubac

J’ai dit « œuvres ». Quel tort ! Albert Chubac ne dit pas « mes œuvres », il dit « mes choses » ; il ne dit pas « je travaille » ou « je peins », il dit « je bricole » ; il dit « tu as vu cette bricole ? » ; s’il veut vous inviter chez lui, il ne vous dit pas « je vais voir mon agenda », il dit « viens, mais s’il y a du soleil » ; et quand Albert Chubac bri¬cole ça a toujours à voir avec le soleil ; il le cueille, il le montre, il le modèle :

mains ouvertes devant les yeux
pour sculpter la clarté des jours
pour retenir dans le regard
la vérité du ciel qui fuit
dans le tamis des doigts fenêtres

Albert Chubac et Alexandre de la Salle dans l’extension en construction de l’atelier d’Albert Chubac (Photo France Delville)

« Je bricole » dit Albert Chubac... C’est un art du minime : dans l’atelier d’Albert Chubac, les outils sont dispersés, le pinceau côtoie le tournevis, les ciseaux, la scie, la colle ; peu de toile dans l’atelier, du plexiglas, du carton, du papier, et, depuis soixante ans, tous les fonds de tiroir des mémoires timides : boîtes de toutes sortes, allumettes, conserves, bouts de fil, ficelle, fil de fer, bouchons, petits emballages, papiers déchirés, que le bricolage d’Albert Chubac assemble, réunit, ressuscite :

en bout de route en bout de vie
en bout de doigts en bout de peine
c’est le phénix du quotidien
toute la paix des retrouvailles
dans l’atelier d’Albert Chubac

Raphaël Monticelli Nice, 18 janvier 2004

Bien que je dispose de quelques heures de dialogues avec Albert filmés par France Delville, le clip qui accompagne cette partie de ma chronique 28 a justement été découpé autour de l’atelier, du jardin, des ustensiles de cuisine d’Albert (à ciel ouvert), de son « living-room », roulotte où sont épinglées des bribes du monde, avec tendresse, semble-t-il, autour de son chat, de ses bambous, de sa menthe, de ses tomates, du vent qui menace sa fragilité… de ses couleurs matérialisées et suspendues dans les arbres… et, dans le texte de Raphaël, avec émotion, je retrouve exactement l’ambiance et le style d’Albert, un ton humain, un art de vivre, exceptionnels… Un texte exceptionnel…

(A suivre)

Retrouvez la chronique 28 complète :
Chronique 28 : Chubac pour mémoire (Part II)
Chronique 28 : Chubac pour mémoire (Part III)
Chronique 28 : Chubac pour mémoire (Part IV)
Chronique 28 : Chubac pour mémoire (Part V)

Photo de Une : Albert Chubac par Frédéric Altmann

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