Chapitre 77 André Verdet et César Carré à la Fondation Maeght (PartV)
Ce commentateur des hyperboles vit la pensée en devenir au rythme des savants, écrivit Pierre Restany…. Et qu’en dit la « la parole oraculaire » ?
Verdet permet-il d’accommoder sensation, vision, pensée, aux éléments imaginaires et symboliques de l’espace/temps, pour se situer soi-même, le Sujet, autre boule de matière prise dans des trajets spatio-temporels ?...
Méditation à l’orientale qui se fond dans une réflexion à l’occidentale ?
Les sentences et images d’André Verdet apparaissent comme des supports privilégiés pour effets de double inversé, de retournement... matière, anti-matière, reflets... matière et pensée, pensée et pensée du penser... suscitant la vacuité nécessaire au désarrimage du « connu », pour de nouveaux ancrages dans l’Inconnu...
C’est ce que note subtilement, chez notre poète, Guy de Bosschère à propos de cette œuvre :
Le phénomène céleste est le lieu et l’occasion d’un éblouissant arrimage du verbe et de l’expression plastique...
Verdet reproduisant le Jeu de l’univers dans un éventail d’analogies... Verdet sachant/oubliant, pour retrouver, et nous inciter à retrouver. Verdet chaman ?
Pensée audacieuse ? Jean Claude Vérots écrivit que l’art de Verdet n’était pas toujours d’un abord facile, qu’il requérait des dispositions, sinon un état de grâce, qui n’étaient pas donnés à tous, que cet art lui apparaissait comme nouveau, conjonction entre poésie et peinture, cimentée par les mathématiques.
En 1979, de l’Exposition « Lumières Plastiques », Vérots était sorti avec une angoisse de l’être, le cœur plus lourd, l’esprit plus libre, les visions plus claires...
De ces « paysages-espaces » Pierre Cabanne dit encore qu’ils étaient une réalité lyrique animée d’ondes, animée de transparences...
Les titres eux-mêmes indiquent une lisière entre magma et langage, point de basculement de la Genèse : « La pyramide du soleil vert », les « Filets stellaires », la « Nébuleuse du phalène » ...
Encore dans « L’arbre Vert du Soleil », Pierre Restany distille que : Le peintre des idoles de la Provence Noire, le sculpteur des pierres de Coursegoules, l’expérimentateur des émulsions et superpositions de matières plastiques : tout l’André Verdet plasticien des vingt dernières années s’est sublimé lui-même au souffle cosmique de sa vision. (…) La poésie visuelle d’André Verdet rejoint par le cheminement mystérieux des intuitions sensibles la recherche scientifique et ses hypothèses de pointe. Ses tableaux-poèmes donnent aux équations de l’astrophysique ou aux formulations de l’énergie, la chair et le souffle de nos sens, le rythme alterné de nos joies et de nos doutes, la dialectique fondamentale de l’espoir.
« L’Idole enfouie » brûlant sous une feuille de plastique froissée évoque l’éblouissement des dix mille soleils, d’Oppenheimer cette fois, et Jean-Claude Caire écrit que Verdet prépare l’instant où le néant engendre l’infini. L’œuvre alors prend dimension de « tohu-bohu », ce point d’étonnement de la Genèse, mais parfois l’on sort du chaos, parfois l’on y retourne, on ne touche pas impunément à la Bombe qu’est le monde dans son énergie.
Lorsque Rutheford bombarda des particules alpha sur des atomes, il obtint des résultats à la fois spectaculaires et imprévus...
C’est que, dans les années 20, Bohr, de Broglie, Heisenberg, Dirac changèrent notre vision, le monde devint subatomique.
Les artistes ne manquèrent pas d’absorber les nouvelles informations.
C’est ainsi qu’Yves Klein, grand-prêtre du vide, s’y jeta, dans le vide, d’un toit.
La Forme s’était révélée moins fluide moins « imaginaire », cassée davantage en ces paquets - les quanta - que Max Planck avait découvert être l’énergie du rayonnement thermique...
A ce moment-là l’art s’empara de rayons X, le « peu de réalité » n’échappa ni André Breton ni à d’autres modernes, il n’échappa pas non plus à André Verdet qui en atomisa sa Plastique et son Verbe, des paraphes éruptifs produisirent des intensités éparses, mais corsetées de l’intense beauté des équations mathématiques, comme en cette partition complexe, de musique concrète, constituée par « Des milliards et des milliardièmes » (1975) :
Comme si à un certain point seuls les nombres pouvaient venir faire limite au langage, même poétique, jetant celui-ci dans la cave de l’antimatière, dans les vertiges d’un espace où l’esprit est entraîné à la vitesse de l’étoile filante... Einstein faisait-il le chemin inverse : E=mc2 pour dire son vieux rêve d’enfant de chevaucher les étoiles ?...
Einstein poète ? Oui si l’on songe à son intérêt pour le fonctionnement de l’imagination scientifique et il a écrit avec franchise à ce sujet. (Gérald Holton, « Le livre du Centenaire », 1979).
La faculté de visualisation d’Einstein, écrit encore Holton, peut l’avoir aidé dans l’usage brillant qu’il a fait des « expériences par la pensée »" (Gedankenexperiments) La première lui fut inspirée lorsqu’à l’âge de seize ans, il essaya d’imaginer qu’il poursuivait un rayon lumineux et se demanda quelles seraient les valeurs observables des vecteurs champ électrique et magnétique constituant le rayon. Il écrivit plus tard que ce problème « contenait en germe la théorie de la relativité restreinte » etc.
Mais dans l’auditorium de la Bibliothèque Nucéra, deux petites filles vinrent apporter un peu de l’innocence des étoiles avec leur musique (Sophia Melis, flûtiste, et Hélène Rottier, pianiste), Sophia ayant d’abord dit le poème de Verdet adressé à Yves Klein, l’un des fondateurs de l’Ecole de Nice.
Ô foudres planètes et fusées
Par le feu et par l’eau
Yves Klein le croisé
Envers et contre tout
D’un seul jet purifie
L’espace du tableau
Par le feu et par l’eau
Dans le grand flamboiement
Du vide sidéral
Yves Klein reconstruit
L’iris vierge de l’œil
Par le feu et par l’eau
Yves Klein le croisé
Passe au bleu de la flamme
Lessive originelle
L’histoire du tableau
Ô foudres soleil et rosées
Yves en sera si content qu’il décide d’en graver l’emprein¬te dans un tableau d’eau et de feu. Ge poème sera publié dans le catalogue de l’exposition des peintures de feu, Galerie Tarica, Paris, en mai 1963.
Mais un autre chef-d’œuvre sera dit par Sophia à la rentrée, accompagnée par Gilbert Trem, André qu’avait gardé en tête quand il était à Büchenwald, pour l’écrire plus tard, et que voici :
Des poignards vous perçaient
La flamme vous dévorait
Et l’eau noire s’apprêtait
C’était le massacre des innocents
Enfants mes chéris vous ressuscitiez
Dans le palais rose de vos sourires
Et à vos lucarnes étoilées
Vous sembliez dire est-ce possible.