« Performas » au CIAC
Au Centre International d’Art Contemporain (Château de Carros), le 27 mars dernier, « entre les deux tours des élections municipales », Jean Mas a accompli l’une de ses savoureuses performances politico-poétiques, en hommage à Serge III dont la cougourde barrée d’un couteau tricolore - qui lui a été offerte par celui-ci à l’époque bénie des débuts de Fluxus à Nice - fait partie de l’exposition « Cougourdons d’artistes » au CIAC, constituée par les œuvres de 39 artistes contemporains qui « livrent leur interprétation très personnelle et résolument actuelle du cougourdon, emblème végétal de la culture niçoise et provençale ».
Les cougourdes traitées de manière éclectique sont de Frédéric Altmann, Michel Aral, Stefano Bombardieri, Domenico Bontempi, Virginie Broquet, Richard Cairashi, Aurélien Citoleux, Gilles Chaix, Véronique Champollion, Youn Cho, Aurore Danloux, Gaël Duvert, Gérard Eli, Faz, Claude Gilli, Antoine Graff, Jean-Antoine Hierro, Victor Kiritza, Giorgio Laveri, Gabriel Martinez, Jean Mas, Patrick Moya, Paulin Nikolli, Jean-Jacques Ninon, Nivèse (Oscari), Hervé Nys, Serge III Oldenbourg, Guido Palmero, Bernard Pons, Yves Rousguisto, Saint-Méard, Patrick Schumacher, Emmanuelle Sérigne, Sacha Sosno, jérémy Taburchi, Monique Thibaudin, Ben Vautier, Ultra-Violet, Märta Wydler.
Yves Rousguisto - qui cultive et fabrique des objets sonores à partir de cannes de Provence ou de cougourdons niçois, y joignant des systèmes électroniques pour installations plastiques ou actions-concerts - réalisa la bande son in vivo (avec un collègue) de la performas déployée sur le parvis du CIAC, à coups de tapotements de doigts agiles sur des cougourdons adéquats.
Jean Mas ne pouvait manquer de faire un sort à la cougourde de Serge III, l’une de ses « œuvres tricolores » créées pour célébrer le centenaire (2 septembre 1970) de la défaite de Sedan : « Le 2 septembre je fais célébrer le centenaire de la défaite de Sedan. Dans une galerie éphémère située au Pont du Loup j’ai présenté plus d’une centaine d’objets ou drapeaux tricolores en déniant aux militaires l’exclusivité du drapeau et en revendiquant les trois couleurs pour tous les objets d’usage quotidien ». Jusqu’à une magnifique et tricolore lunette de W.C.
Dans son autobiographie, extraite du catalogue « Acmé Z’éditions », édité à l’occasion de son exposition « Ecole de Nice : Serge III » à la GAC des Musées de Nice du 19 mars au 24 avril 1988, Serge III écrit, un peu plus loin :
« En 1972, avec Daniel Biga, poète, et Jean Mas, plasticien, nous faisons une série d’expositions dans les MJC de la région avec chaque fois une soirée pour discuter avec le public. Un bide. C’est bien parce que le public ne prend pas la parole que nous la prenons ». Tout ça pour dire que Serge III et Jean Mas ont partagé, depuis le début, un sérieux esprit de provocation, et un tout aussi sérieux rapport au signifiant. Tous deux ont accompli des dizaines de happenings et performances qui sont entrées dans les annales, et Jean Mas un certain nombre de fois sur le thème de campagnes électorales prises à rebours.
Effronterie artistique pour délibérations étatiques
La Performas du CIAC en étant une de manière détournée, puisque, au-delà de l’effronterie artistique nécessaire, elle annonçait un nouveau statut de l’objet – non, ce n’est pas une blague, il paraît que l’Etat français y travaille -, un « droit des objets », à être réparés. Deux fois, d’après ce que j’ai compris (des explications de Jean Mas), ce n’est qu’après qu’on pourra les jeter. Il s’agit donc d’établir un « sujet de droit à réparation » ! Alors, pour la paix des objets, annonce Jean Mas dans sa Performas, et pour rendre responsable l’objet – ici, ils sont deux, une cafetière électrique, et un cougourdon –, pour lui demander raison de son influence, bénéfique ou maléfique, sur l’humain, parfois cet objet il faudra le condamner. Et Jean Mas exécute donc la sentence à coups de mas(ses) bien sûr. C’est spectaculaire, cela vole en éclats, et ce n’est pas la première fois que Jean massacre un malheureux ustensile taxé de représenter certainement, un « objet perdu lacanien », dont Jean a été le spécialiste dans des séminaires de psychanalyse. Un radio-cassette a ainsi rendu l’âme à la Fac de Lettres, Jean Mas l’a définitivement fait taire.
Alors par ailleurs Serge III et Jean Mas ont théorisé leurs « passages à l’acte », et c’est toujours un régal de relire leurs théories alambiquées, de vrais antidépresseurs … Ainsi m’enchante l’une des lettres de Jean, extraite de son recueil « 36 lettres », adressée au Maire de Genève le 13 août 2005, d’autant plus que maintenant, connaissant la raison pour laquelle on a le droit d’exécuter une cafetière (cf au CIAC le 27 mars dernier), qui est d’avoir fait du mauvais café à répétition et ainsi gâché nombre de petits déjeuners, je peux au moins déduire que, face au Mont Blanc, l’été 2005, Jean Mas en a bu du bon, de café. Sinon il en aurait fait tout un plat. Ce qui face à un sommet renommé pour sa taille est un comble !
22 Peu
Voici donc la lettre de félicitations de Jean Mas au Maire de Genève, Monsieur Patrice M., Département des Affaires Culturelles :
Monsieur Le Maire,
Permettez-moi de vous adresser, ainsi qu’à votre équipe, mes plus sincères félicitations pour la mise en valeur et l’expression des richesses artistiques présentées dans votre ville.
La mise en valeur de votre patrimoine, conjuguée à la présentation d’expressions très contemporaines est très réussie. La grande diversité de vos manifestations confère indéniablement à Genève l’aura d’une capitale culturelle. Félicitations donc pour tant de diversité.
Permettez-moi, à ce stade, de porter à votre attention une demande qui me permettrait, lors de mon prochain séjour, d’agrémenter ma vision du Mont Blanc.
J’ai l’habitude de prendre, assez tardivement, à la terrasse de l’hôtel, un petit déjeuner face à cette montagne mythique. Je souhaiterais que la hauteur du jet d’eau du lac soit augmentée d’environ un mètre dix, afin que son sommet s’aligne avec celui du Mont Blanc.
Merci d’avance pour cette gentillesse, certain de sa simplicité et de la manœuvre.
Recevez, Monsieur Le Maire, une nouvelle fois toutes nos félicitations artistiques.
Une Cage à mouches pour le Président des Etats-Unis
Quant à Barak Obama, Président des Etats-Unis d’Amérique (White House, 1600 Pennsylvania Ave. NW Washington, DC 20500, USA), il a reçu, de Roquefort-Les-Pins, écrite le 21 juin 2009, concernant, bien sûr, un sujet essentiel, la mouche, cette lettre :
Monsieur Le Président
Appréciant votre action et vos positions en matière de politique tant extérieure qu’intérieure, nous avons été particulièrement sensibles à votre réaction lors d’une de vos récentes allocutions.
En effet, alors que vous vous exprimiez avec précaution en faisant état de vos préoccupations sur la situation iranienne, vous fûtes « taquiné » puis visiblement agressé par une grosse mouche, et cela en direct à la télévision !
Avec une gestuelle élégante et rapide vous avez écarté dans un premier temps l’insecte en suggérant de la sorte qu’il aille se faire voir ailleurs… Nonobstant vos injonctions, l’immonde bestiole revint à la charge et de plus belle entreprit une série de circonvolutions de nature à échapper au meilleur chasseur !
Et c’est alors qu’excédé, en état de légitime défense, n’y tenant plus, vous mîtes fin, tel Achille qui d’un coup précis et mortel terrassa le géant…, vous assénâtes un « coup de main » sur le diptère qui visiblement succomba en tressautant.
Aussi je me permets, Monsieur le Président des Etats Unis d’Amérique, de vous adresser en témoignage de ma sympathie, une « cage à mouches », base de ma production artistique.
Ci-joint également le lien vers mon site faisant état de ma production artistique « Ecole de Nice » : www.jeanmas.com
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, mes respectueuses salutations.
Jean Mas
Fluxus, qu’est-ce que c’est ?
L’ambiance Fluxus, que Jean Mas transporte si bien avec lui encore aujourd’hui – un membre de l’Ecole de Nice pas à la retraite -, me semble évoquée finement dans un texte de Serge III paru dans le catalogue de son exposition (15 novembre-15 décembre 1991) à la Galerie « Le regard sans cran d’arrêt », Dunkerque :
Un texte théorique, en général, par essence, sinon par définition est casse¬-pieds.
Je n’ai aucune raison de tenter d’essorer la béchamel qui me sert de cer¬veau pour expliquer la conception et la genèse de mon travail.
J’ai fait l’effort de concevoir et de fabriquer des objets dont la raison d’être est d’être regardés. Quand ils sont exposés c’est au public de faire l’effort de les regarder, de les voir et d’établir un dialogue « objet spectateur », qui a des chances d’être différent avec chacun.
Si je décrivais mes processus de gestation et de création et ce que j’ai voulu y mettre, je ferais de l’information dirigée et prédigérée, autant regarder la télé.
J’aimerais établir une relation d’amour ou, au moins, d’affection ou de sensi¬bilité entre le regardeur et mon œuvre, et non pas avec moi même.
Les deux artistes qui ont eu le plus d’influence sur ma démarche et mon œuvre artistique sont George Brecht et Robert Filliou.
George et moi avons passé de nombreuses soirées à blaguer, à boire et à tenter d’élargir les rues du Vieux Villefranche avec ma 2 CV. Un jour chez Robert à Düsseldorf, il m’a invité à jouer aux machines à sous. A la première pièce qu’il a mise dans la machine il a gagné le Jack-Pot, à peu près l’équi¬valent de 200 marks. J’ai essayé d’en faire autant et j’ai perdu ce que j’ai voulu. Il m’a présenté à une fille fantastique et pendant trois jours j’ai oublié tout ce qui n’était pas elle. Il est vrai que nous avions fumé une quantité incroyable de marijuana.
Bien que connaissant nos travaux respectifs, nous n’avons jamais, George, Robert et moi, parlé d’art entre nous. (Serge III Octobre 1991)…
Fluxus, n’est-ce pas « vivre » ? Ce qui n’est pas la chose la plus facile à faire…
(A suivre)
Retrouvez les parties II, III,IV et V du chapitre 73 :
Chapitre 73 : « Décoffrage » d’Eric Andreatta au CIAC (Part V)
Chapitre 73 : « Décoffrage » d’Eric Andreatta au CIAC (Part IV)
Chapitre 73 : « Décoffrage » d’Eric Andreatta au CIAC (Part III)
Chapitre 73 : Jean Mas et les Cougourdons d’artistes (Part II)