« Un jour, il y a plus de vingt ans, j’ai été fascinée par une photo intitulée " mafia spaghettis ". C’était le portrait en noir et blanc d’un homme typé, style mafia italienne, qui était recouvert de traits de lumière ressemblant à des spaghettis. Je me demandais comment je pouvais à la fois voir cet homme parfaitement net et en même temps le mouvement des traces lumineuses » explique l’artiste. « C’était la technique de l’open flash, lorsque le flash arrête le mouvement pendant que l’appareil photo bouge. Inspirée, j’ai voulu danser avec de minuscules ampoules sur les doigts pour ainsi imprimer les mouvements, des cercles, des figures en huit et des spirales ».
Les rues de Paris sont alors devenues pendant un temps le studio extérieur de Chanette Manso, la nuit couvrant les paysages urbains où elle promène son stylo lumineux.
Elle poursuit le même travail à San Francisco avant de poursuivre ses recherches en studio. « Dans mon studio, j’ai dressé un fond noir pour une nouvelle approche. J’ai travaillé avec des modèles en silhouette entourés de grands rubans de néon. Mon sujet d’étude tournait autour des symboles, des icones et des archétypes. Au regard d’anciennes créations qui ont fait l’objet de publications dans le domaine de la haute technologie et de la presse populaire, j’ai réalisé que j’aimais la lumière pure en elle-même, sans autre matière. Je la ressentais proche de mon imagination, de mes émotions et je pouvais donc m’exprimer plus qu’avec la photographie instantanée. Je travail avec des modèles qui sont souvent des danseurs, musiciens ou yogis. »
Plus récemment, Chanette Manso a développé un travail plus organique en utilisant de la peinture fluo sur corps.
Le sujet humain n’est alors plus un espace vide en silhouette, mais devient la source de la lumière ainsi que de la matière. « J’aime aussi le contraste entre le flou et le net, le flou évoquant des sentiments alors que le net tend à déclencher la réflexion intellectuelle ».??
« Avec la popularisation du light painting depuis plus d’une décennie, j’ouvre à nouveau le débat : qu’est-ce que la photographie, qu’est-ce que le light painting ? Documentation réelle et expression artistique ? » s’interroge l’artiste. « Au début du 20ème siècle, une poignée de photographes comme Alfred Stieglitz ou Edward Weston prônèrent la photographie en tant qu’œuvre d’art. Un autre groupe parmi lequel figurait Ansel Adams pensait que la photographie devait représenter la réalité nette et précise. Les premiers créèrent un mouvement nommé le pictorialisme en choisissant le flou artistique dans une ambiance incitant au rêve. Les seconds prônèrent la photographie ‘pure’ aux lignes contrastées dans une quête d’exactitude ».
Bien avant, dans un souci de représentation, les peintres de la Renaissance utilisèrent la "caméra obscura" qui leur apportait une solution pour mieux reproduire en deux dimensions ce qu’ils voyaient en trois dimensions. Certains peintres semblent s’inspirer de la photographie : l’idée de l’imitation présente un nouvel intérêt, tout spécialement à notre époque d’imagerie informatique. Cependant, le débat d’une intention documentaire ou artistique demeure.
Au début, la photographie demandait un temps d’exposition plus long et plus apte au pictorialisme. Temps de pose qui fut écourté par ‘clic, clac, kodak’ avec un instantané qui permet une image facile et nette, comme Instagram aujourd’hui. « Que ce soit de près ou de loin, immobile ou en mouvement, notre œil voit le tout net, contrairement à l’optique d’un appareil photo. La photographie reproductrice et documentaire fige l’image de façon à omettre que tout est en mouvement. Cependant le light painting capte la lumière et (ou) la matière à travers le mouvement. »
L’appareil photo va donc capter ce que l’œil nu ne peut voir. Donc toute la magie révélée par le light painting.
Chanette Manso explique qu’il y a trois techniques de base pour le light painting mais que chacune utilise des déplacements manuels devant l’appareil ouvert dans une semi obscurité :
– Les mouvements irréguliers de la lumière dirigés sur la matière qui créent un effet de peinture.
– Le déplacement de la source de lumière devant la caméra qui dessine des traces de lumière.
– Le mouvement de l’appareil photo face à une source de lumière fixe qui créée des formes géométriques tandis qu’un flash fixe le mouvement.