Christin Johansson, Gitte Jurgensen, Monika Grycko et Naomi Matthews étaient présentes lors de l’exposition C-ram-X organisée en 2010 par la galerie Helenbeck chez Jean Gismondi, XX rue Royale, à Paris. Quatre femmes, un quartet donc pour affiner une réflexion commencée parmi les objets et meubles anciens, mettre en exergue l’extrême modernité de ces quatre démarches, à la fois l’individualité de chacune et leur complémentarité.
Il est ici question de ce qui peine à se dire, de ce qui traditionnellement est affaire de philosophe, de sociologue ou de poète. Grâce au savoir-faire de l’artiste et à la qualité de sa réflexion intellectuelle, un autre langage nous est proposé qui sollicite autant nos sens que notre intellect. Dans le même temps, il n’est aucune parmi les œuvres présentées qui ne nous parle du plus familier, du plus intime, du tout-venant de nos songeries et de nos interrogations.
Naomi Matthews, nourrie de littérature, de mythes et d’art classique, se penche sur l’animal, son altérité et son étrange ressemblance. Que voient les bêtes ? Que désignent-elles qui est à la fois même et autre ? L’artiste britannique souligne à juste titre que chien et singe furent les premiers êtres vivants à voyager dans l’espace. Notre rapport au monde animal, objet de spéculations anciennes, est revisité par Naomi Matthews avec une acuité et une sensibilité qui font que sa vision est aussi un regard sur l’espèce humaine.
La recherche de Monika Grycko est voisine mais c’est le visage qu’elle nous donne à considérer, la face humaine, son étrangeté, ce qui dans l’ordonnancement des traits n’’est en fait que fausse évidence. C’est la pâleur translucide de l’argile blanche qui dans le travail de la céramiste polonaise de Faenza fait affleurer l’animalité, non pas une bête précise mais l’animalité au sens de représentation de l’inconnu dans le connu. L’un et l’autre cohabitent, vaguement inquiétants. Le souvenir des hermaphrodites antiques est convoqué. On décore les châteaux de accroche de trophées de chasse. Que se passerait-il si, par le moyen de monstrueuses copulations, gènes humains et animaux se mêlaient ? Monika Grycko nous donne à voir le pathétique et la solitude du visage.
Le visage est le social du corps, le visible inévitable, le présent indispensable. Le corps quant à lui se masque et se démasque perpétuellement. On meurt seul et le décès est la fin d’une vie secrète, celle des organes. En l’occurrence, avec Christin Johansson, il s’agit de ceux de la sphère génitale que mettent à jour seulement la médecine et la sexualité. Et l’hygiène. Elle fut infirmière. Il était donc logique qu’elle s’attache à en explorer les arcanes pour dire, du point de vue d’une femme, l’obsession contemporaine d’un monde aseptisé. Le lisse, le blanc, l’immaculé en révélant l’inavouable envers, le corps trop réel.
Ne subsiste plus chez Gitte Jurgensen que celui d’un cochon ou de Superman, mais minuscules, en plastique, dérisoires, seuls sur des sortes d’îles, d’astéroïdes, de mini-mondes aux surfaces bulleuses qui sont une quasi-négation de la céramique elle-même, du moins dans ce qu’elle a de plus attendu. On a usé à leur propos de l’expression « drame psycho-céramique ». Sans doute convient-elle à ces mises en scène de fragments d’histoires suspendues dans le vide, véritables métaphores d’un temps - le notre – où le plus certain ne cesse d’être remis en question, où rien ne se pense sans danger.
Et d’ailleurs, peut-être est-ce bien le mot « drame » qui convient aux œuvres de ces quatre céramistes. N’y est-il pas donné à ressentir ce qui caractérise le genre : le grotesque, le pathétique, le terrible, la comédie ? Quatre dimensions du réel par l’exploration desquelles la céramique se fait genre artistique à l’égal des plus grands.
Martin T.