Caroline Challan Belval nous convie à une balade graphique. Aux murs, un dessin monumental au fusain, spécialement réalisé pour l’exposition, reprend la thématique de saint Georges et le Dragon. Gorgée de connotations artistiques et personnelles, cette fresque de papier entre en résonance avec une sélection de croquis réalisés au gré de ses pérégrinations. Disposés sur des lutrins et parsemés dans l’espace d’exposition, ces petits formats sur papier (à l’encre de Chine, à la pierre noire ou au crayon) constituent la base de son travail.
Née à Cognac en 1977, Caroline Challan Belval vit entre Nice et Paris. Son travail, tourné vers l’architecture, le monde ouvrier et les mondes souterrains, est ancré dans la pratique quotidienne du dessin, de la peinture, de la gravure et de la photographie. Elle a travaillé notamment dans la gare de Tolbiac à Paris, dans le métro à New-York, dans le Tunnel Lyon-Turin-Ferroviaire en cours de creusement, à la fonderie d’Outreau, dans le Nord de la France, et sur le chantier de la Cité de l’Architecture et du Patrimoine à Paris. Sa démarche consiste à saisir et restituer les dramaturgies modernes dans ces lieux de transformation.
Ancienne élève de l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Paris, elle étudie au Hunter College de New York, puis dans le cadre d’un Master 2 Architecture et Patrimoine à l’Université des Lettres et des Sciences Humaines de Nice-Sophia-Antipolis et à la Faculté d’Architecture de Gênes. Elle est professeur de dessin et gravure à l’Ecole nationale supérieure d’art de la Villa Arson à Nice et chargée de cours à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Nice en troisième cycle.
Singulièrement, elle butine
Après avoir investi les Vitrines du MAMAC en 2008 avec Ars Architectonica , Caroline Challan Belval nous invite à une balade graphique dans la galerie contemporaine du musée. Aux murs, un dessin au fusain sur papier de 45 mètres de long reprend la thématique hautement symbolique de saint Georges terrassant le dragon. Populaire dans l’Europe entière, saint Georges est un saint légendaire dont les exploits connurent un grand succès tout au long du Moyen Age. Ce courageux soldat sauva la princesse de Trébizonde, sacrifiée à un monstrueux dragon qui terrorisait tout un village. Mais ne nous méprenons pas. Pour Caroline Challan Belval, cette thématique n’est qu’un prétexte pour créer autre chose.
Curieuse de tout, elle « butine ». Et le fruit de sa récolte se retrouve dans cette composition spécialement réalisée pour l’exposition. Revisitant tout un pan de l’histoire de l’art de Carpaccio à Gina Pane en passant par Paolo Uccello, cette composition intègre des éléments contemporains issus de son univers artistique et personnel.
Parsemés dans l’espace d’exposition, ces petits formats (21 x 29,7 cm) à l’encre de Chine, à la pierre noire ou au crayon sur papier ont été réalisés au gré de ses pérégrinations et rencontres. Telle une ethnographe contemporaine, elle croque sur le vif des moments de la vie quotidienne, arpentant les rues, explorant des musées, des usines ou des chantiers. Ces investigations ont donné lieu à de nombreux reportages sur l’industrie ferroviaire, notamment sur la colossale fonderie d’Outreau, spécialisée dans la conception et la fabrication des infrastructures des chemins de fer, sur la couverture des voies ferrées de la gare deTolbiac à Paris, et encore sur la construction du tunnel Lyon-Turin, en cours de creusement ou d’une ligne du métro new-yorkais. Le génie civil, le chantier et ses ouvriers l’intéressent en tant que lieux de transformation (que ce soit par la transfiguration des matériaux comme à Outreau ou par leur changement de destination). Par le biais de la photographie, de la peinture et du croquis, Caroline Challan Belval immortalise les grands travaux du XXIème siècle.
Parallèlement à ces grands chantiers, ses voyages (New York, Rome, Venise, Biarritz…) et promenades donnent lieu à des esquisses plus légères captant les charmes et la beauté d’une vie plus ordinaire. On y découvre ses observations personnelles, ses idées premières. D’autres reprennent des œuvres de Poussin, de Raphaël ou encore de Picasso et d’Uccello. Aussi, pour ces prises de notes, Caroline Challan Belval aime parler de rencontres avec des objets, des œuvres, des lieux, des personnes, des animaux… La thématique de la promenade se retrouve dans la scénographie de l’exposition qui nous invite au butinage et à la rencontre avec différents pans de réalité. De lutrin en lutrin, nous en faisons l’expérience.
Instruments à la recherche de nouvelles compositions, à l’analyse et à la compréhension des choses mais aussi à la transmission des modèles, les carnets de croquis constituent une sorte de répertoire iconographique et formel dans lequel l’artiste vient piocher. Une fois digérées, ces observations plastiques se trouvent réinjectées dans ses travaux ultérieurs, comme sur cette composition retraçant la victoire de saint Georges sur le dragon où chaque scène fait l’objet d’une réinterprétation de croquis antérieurs. Moyen de mémorisation, de compréhension et de transmission, le dessin relève les connivences secrètes qui sous-tendent le monde, exprime sa relation aux choses. Caroline Challan Belval propose ici une version personnelle d’un récit légendaire. Cette fresque de papier (qui se lit de droite à gauche) est divisée en 5 séquences narratives. D’abord, la création des monstres ; l’enlèvement de la princesse vers la caverne du dragon sous le regard des villageois en émoi et l’arrivée triomphante de saint Georges. Revêtu de son armure, saint Georges blesse de sa lance l’effroyable monstre devenu bicéphale avant de chuter et de se relever pour sauver la princesse qu’il enlace sensuellement. Après cette étreinte, la jeune femme, libérée, reprend ses occupations quotidiennes… Eléments traditionnels et personnels se télescopent. La fonction cathartique du récit est ainsi actualisée, réinterprétée. Un ouvrier d’Outreau se retrouve chevalier, des costumes de l’Opéra de Biarritz prennent l’apparence d’armures, un entrepôt de viande du Meatpacking District de New York devient le lieu de création des monstres, et leur antre n’est autre qu’une crypte archéologique de la place Garibaldi à Nice… On pourrait continuer ainsi jusqu’à épuisement tant les connotations artistiques et personnelles forgent son travail. Ces références nous plongent parfois dans l’intimité de l’artiste, par l’évocation d’une chanson ou de messages plus personnels adressés à ses proches.
Si la photographie, la peinture, la gravure et la vidéo sont des techniques qui lui sont chères, le dessin demeure au centre de sa démarche. Alliant avec équité l’œil et la main, il est à la base de son travail. L’encre, la pierre noire, le crayon, le fusain créent différentes tonalités et atmosphères. Réalisée exclusivement au fusain, la composition sur saint Georges peut ainsi se lire comme un pur jeu plastique glorifiant la sensualité de ce matériau ductile qui restitue l’ampleur et la spontanéité des gestes de l’artiste. Tout un réseau d’ombres et de lumières, de pleins et de vides, des zones en réserves ou en effets de matière donne vie et force au dessin. Les ombres, nombreuses, créatrices de volumes offrent une grande variété de nuances et de textures. Caroline Challan Belval a décidé d’entreprendre ce travail sur saint Georges suite au récit que Gilbert Perlein, Conservateur du musée, lui fit de son expérience face au cycle de saint Georges peint par Carpaccio au XVIème siècle pour la Scuola di San Giorgio degli Schiavoni à Venise. Née de cette discussion sur l’émerveillement que peuvent susciter certaines œuvres d’art, cette composition, qui regorge de références artistiques et littéraires (Raphaël, Poussin, Rodin, mais aussi Jacques de Voragine, Honoré de Balzac, Haruki Murakami ou encore Anne Sylvestre) est sans conteste un hymne à l’évasion et à l’imagination propices à l’art.
– Extrait de Jacques de Voragine, La légende dorée, Ed Seuil, Paris, 1998, p.226-228.
" Georges, était originaire de Cappadoce, et servait dans l’armée romaine, avec le grade de tribun . Le hasard d’un voyage le conduisit un jour dans les environ d’une ville de la province de Libye, nommée Silène. Or, dans un vaste étang voisin de cette ville habitait un dragon redoutable qui, maintes fois, avait mis en fuite la foule armée contre lui, et qui, s’approchant parfois des murs de la ville, empoissonnait de son souffle tous ceux qui se trouvaient à sa portée. Pour apaiser la fureur de ce monstre et pour l’empêcher d’anéantir la ville tout entière, les habitants s’étaient mis d’abord à lui offrir, tous les jours, deux brebis. Mais bientôt le nombre des brebis se trouva si réduit qu’on dut, chaque jour, livrer au dragon une brebis et une créature humaine. On tirait donc au sort le nom d’un jeune homme ou d’une jeune fille ; et aucune famille n’était exceptée de ce choix. Et déjà presque tous les jeunes gens de la ville avaient été dévorés lorsque, le jour même de l’arrivée de saint Georges, le sort avait désigné pour victime la fille unique du roi. […]
Saint Georges, qui passait par là, la vit toute en larmes, et lui demanda ce qu’elle avait. […] Alors, la jeune fille lui raconta toute son histoire, et Georges lui dit : « Mon enfant, sois sans crainte, car, au nom du Christ, je te secourrai ! » […] Et pendant qu’ils parlaient ainsi, le dragon souleva sa tête au-dessus de l’étang. La jeune fille, toute tremblante, s’écria : « Fuis, cher seigneur, fuis au plus vite ! « Mais Georges, après être remonté sur son cheval et s’être muni du signe de la croix, assaillit bravement le dragon qui s’avançait vers lui et, brandissant sa lance et se recommandant à Dieu, il fit au monstre une blessure qui le renversa sur le sol. Et le saint dit à la jeune fille : « Mon enfant, ne crains rien, et lance ta ceinture autour du cou du dragon ! » la jeune fille fit ainsi, et le dragon, se redressant, se mit à la suivre comme un petit chien qu’on mènerait en laisse.
Mais, en le voyant s’avancer vers la ville, les habitants épouvantés prirent la fuite, bien certains que tous allaient être dévorés. Saint Georges leur fit signe de revenir, et leur dit : « Soyez sans crainte, car le Seigneur m’a permis de vous délivrer des méfaits de ce monstre ! Croyez au Christ, recevez le baptême, et je tuerai votre persécuteur ! « Alors le roi et tout son peuple se firent baptiser ; on baptisa, ce jour-là vingt mille hommes ainsi qu’une foule de femmes et d’enfants. Et saint Georges, tirant son épée, tua le dragon. […]
D’autres auteurs racontent cependant l’histoire d’une autre façon. Ils disent que, au moment où le dragon s’avançait pour dévorer la jeune fille, saint Georges, ayant fait le signe de la croix, se jeta sur lui et le tua d’un coup."
Bibliographie sélective Caroline Challan Belval
Née à Cognac en 1977. Vit et travaille entre Nice et Paris.
– Expositions personnelles
– 2010 Singulièrement, elle butine, Musée d’Art moderne et d’Art contemporain (MAMAC), Nice (cat.).
Peindre dans la chair des mots, Ecole normale supérieure (ENS, Ulm), Paris.
– 2008 Ars architectonica, Vitrines du MAMAC, Nice.
Ars architectonica, Galerie Ventilo, Nice.
– 2007 Héphaïstos, Galerie Norbert Pastor, Nice.
– 2004 15 jours en usine : la fonderie d’Outreau, Galerie Serge Aboukrat, Paris.
15 jours en usine : la fonderie d’Outreau, Centre Jacques Brel, Outreau.
15 jours en usine : la fonderie d’Outreau, Usine Manoir Industrie, Outreau.
– 2003 Stechzeug : de chair et de fer, Galerie Artsoum, Nice (cat.).
– 2002 Subway ou l’aurore nietzschéenne, Hunter North Gallery, New York.
– 2001 Opus caementicium, Gare Bibliothèque François Mitterrand, Paris.
Nucleus, Mémolithes, Musée Regain de la Mémoire, Annot.
– 1999 Stèles d’Ethiopie, CROUS, Nice.
– Expositions collectives
– 2010 Biennale de l’UMAM, Château-Musée Grimaldi, Cagnes sur Mer (cat.).
Maîtres et valets ?, Galerie Soardi, Nice.
– 2009 Les visiteurs du soir, Galerie Norbert Pastor, Nice.
Jeune création, Ballets Biarritz, Gare du Midi, Biarritz.
2ème Concours artistique, Chambre du Commerce et de l’Industrie (CCIMP), Marseille (cat.).
– 2008 1er Concours artistique, Chambre du Commerce et de l’Industrie (CCIMP), Marseille (cat.).
Une Estivale 2008, Galerie Beaubourg, Paris.
– 2007 Biennale de l’UMAM, Galerie de la Marine, Nice (catalogue), reçoit le Prix Jean Cassarini.
Group show, Galerie Norbert Pastor, Nice.
– 2006 Nos Amours de vacances, Centre international d’art contemporain (CIAC), Carros (cat.).
Group show, Galerie Norbert Pastor, Nice.
– 2003 Biennale d’arte degli studenti europei, Rome (cat.).
– 2002 Life of the city, MoMA, New York.
Vente Christie’s, au bénéfice de la Croix Rouge, Monaco.
– 2001 Dessins en France au XVIIe siècle et dessins en cours, Ecole nationale supérieure des beaux-arts (ENSBA), Paris (cat.).
– 2000 Autoportraits, Musées de la Ville de Menton.
Collections publiques
MoMA, New York, JFK Airport (photographie argentique).
MAMAC, Nice, Ars architectonica (dessin).
ENSBA, Paris, Collections du Cabinet des dessins, Etudes de chantier, Bestiaire mythologique.
Bibliothèque Nationale de France, Paris, La volupté cache sa défaite, ouvrage collectif (lithographie).
Chambre du Commerce et de l’Industrie (CCIMP), Marseille Provence, A.O.D., 15 jours en usine, La Joliette (huile sur toile).
Commissariat d’exposition
– 2006 Ne pas toucher le contour, dessin, Galerie expérimentale, Villa Arson, Nice.
Publications
Publication de photographies dans le catalogue de l’exposition Figures du corps, Paris, Ed. ENSBA, 2008, 2009, Prix Bernier de l’Académie des beaux-arts : Deux têtes de l’Apollon du Belvédère par J.-B. Salvage, Moulage du crâne présumé de Descartes par P. Richier.
« L’Ancien Palais communal de Nice », Archéam (revue du Cercle d’Histoire et d’Archéologie des Alpes Maritimes), 2007, p.73 à 94.
Catalogues d’exposition
Biennale de l’UMAM, Château-Musée Grimaldi, Cagnes sur Mer, 2010.
1er et 2ème Concours artistique, Chambre du Commerce et de l’Industrie, Marseille, 2008, 2009.
Biennale de l’UMAM, Galerie de la Marine, Nice, 2007.
Nos Amours de vacances, Centre international d’art contemporain, Carros, 2006.
Stechzeug : de chair et de fer, Galerie Artsoum, Nice, 2003.
Biennale d’arte degli studenti europei, Rome, 2003.
Dessins en France au XVIIe siècle et dessins en cours, ENSBA, Paris, 2002.