Le porte-folio « L’Atelier Vence 1990 »…
… fut une belle aventure, rapportée dans le n°5 d’Alias, la rencontre de quelques artistes vençois ayant suscité, en août 1982, la création de l’association « L’Atelier ». Un premier porte-folio avait été réalisé en 1983. Cette fois-ci, il s’agit entre autres d’Arman, Baviera, Eppelé, Fillod, Franta, Harivel, Jani, Joyard, Morot-Sir, Nall, Orsini, Tanneau, Verdet, Vivier, Warneck…
Pour la circonstance, Michel Butor écrivit un texte intitulé « Vent sur Vence », qui commençait par cette strophe :
Il y a longtemps que je n’ai pu arpenter les rues de la citadelle
ni les plateaux ou cols de son arrière-pays
je ne sais quand je pourrai revenir
dans ce pays qui m’avait adopté…
(…)
C’est pourquoi j’ai besoin d’un peu d’air de chez vous
un peu d’encre et de gestes murmures et lumières
un peu de couleur et de réflexions un peu de suc et de pollen
un peu de conversations de sommeils d’acharnement et de loisir…
(…)
J’ai besoin que tout cela s’imprime sur des feuilles de papier
afin que je puisse le serrer comme un talisman dans mes bagages
qui si loin que je sois et si absorbé par d’autres parfums et tant de soucis
m’empêche à jamais de perdre le goût du vent sur Vence
Et puis il y avait une interview d’André Villers sous le titre « Photographe entre parenthèses ? » :
Alias - Plus personne ne vous considère aujour¬d’hui comme un photographe ordinaire...
André Villers - J’ai trouvé l’appareil photo qui est ma ma¬nière d’expression. Mais je me pose la ques¬tion ! Je suis photographe entre parenthè¬ses... Si, depuis quelques années, je suis « un peu » photographe dans le cadrage et dans la marge, c’est que je joue ; j’ai voulu expérimenter ce côté-là de la photographie. Très vite, après quelques mois de photo, j’ai ren¬contré Picasso...
Alias - En quelle année ?
André Villers - En 1953. A cette époque je lisais beaucoup, j’étais guidé par un certain nombre d’amis, mais je n’étais pas dans « le monde » de la peinture. Quand j’ai rencontré Picasso j’ai compris que cette peinture pouvait faire tourner les choses, les mettre sous toutes les faces. C’est impossible en photo. Si l’on photographie une sculpture, on est obligé de tourner autour. Mais malgré tout, même si j’ironise avec la photo, si je cherche des failles, c’est que je l’aime. J’aime la transparence, tout ce que peut amener le travail dans l’émotion. Quand je suis dans le Labo, avec des négatifs, il y a une magie, une alchimie qui s’opère. Je recherche, je fais des essais en mélangeant des substances, et parfois cela aboutit !
Alias - Et votre travail de portraitiste ?
André Villers - Il y a une sorte de légende, mais il est vrai que l’appareil photo m’a permis de rencontrer beaucoup de gens que j’estime.
Alias - Quelle est votre vision du monde de la photographie ?
André Villers - C’est un système que je veux éviter. A Arles, par exemple, au lieu de former des photographes, on forme des critiques d’art. Involontairement, bien sûr ! Nous sommes tous critiques : quand on regarde quelque chose, on pèse. Mais c’est un mal que je voudrais dépasser. En peinture, il y a des gens qui font des choses nouvelles. Je suis pour les gens qui osent. Mais la photo, elle, est restée figée. Il est épouvantable, dans une exposition, de voir les gens foncer pour observer s’il y a du grain. Toute cette photo est un effet de mise en page, de marges avec « le petit liseré noir » qui sert à montrer que le négatif est tiré en totalité. Il est dit que le recadrage n’a pas de raison d’être ! Je souffre de tout ce système « conventionnel » !
Je ne veux donc pas entrer dans ce petit monde de la photo ! C’est toujours la misère, les enfants malheureux sur papier glacé, les nus, les couleurs à la japonaise... Quand les photographes se retrouvent ils parlent de « soupe » (révélateur) ! Toujours cette recherche du beau, du rendu photographique. Nous en sommes aux natures mortes vernies d’il y a 300 ans ! Il y a une école à Toulouse où l’on forme des photographes de portrait. Ça consiste à avoir un bon appareil optique, des éclairages, des papiers... Ces photographes là ne se trimballent qu’avec leur projecteur. Ils ne sont pas capables de faire des photos là ou ici, librement. On veut depuis longtemps faire entrer la photographie dans les musées, avec la peinture. Je veux bien, mais ça n’a rien à voir ! La photo c’est comme les concours de pêche ! On connaît la photographie qui va convenir à tous ceux qui mènent la photo en France ! On dit à mon sujet « Il y a des manipulations, ce n’est pas de la photo » ! (…) Il y a de grands photographes qui « ont l’œil », mais ils n’ont pas fait que de la photo. Cartier Bresson peint, Brassaï sculptait, dessinait, et il y a Man Ray, bien sûr.
Alias – Et vos travaux avec Picasso ?
André Villers - Picasso m’a proposé de travailler avec lui « pour aider ma jeunesse » et aussi parce qu’il était sensible à mes photos. Picasso a travaillé la photo, comme il a travaillé la gravure et la céramique, toujours avec cette manie qu’il avait d’inventer. « Si je fais un trou, ça va faire un noir », disait-il. Voilà, c’était Picasso ! Tous ces travaux sont très peu connus. Il se peut qu’on les expose l’année prochaine au Musée Picasso à Paris. Mes plus belles expositions ont rarement eu lieu dans des salons photographiques. Je ne veux pas y aller. J’ai même une sorte de crainte ! (Extrait de l’interview de Robert Hoang Hai, Jean-Claude le Malin et Carol Shapiro)
Abécédaire astronomique
Entre choses intéressantes, le n°5 donnait une interview de Jean-Louis Heudier, astronome à l’Observatoire de la Côte d’Azur où il avait dirigé de 1974 à 1989 le Télescope de Schmidt de Calern. Ceci sous la forme d’un Abécédaire Astronomique :
A COMME ASTRONOME ?
On devient astronome professionnel après des études un peu compliquées, doctorat en sciences et spécialisation assez tard au niveau du 3ème cycle. C’est dur, long et les places sont chères. Mais il y a des gens qui sont naturellement astronomes ; ils font de l’astronomie toute leur vie. Ils s’interrogent sur le ciel et ne se satisfont pas des réponses toute faites qu’on leur donne. Existent aussi de nombreux astronomes amateurs regardant le ciel avec des lunettes qu’ils achètent ou construisent eux mêmes, lisant des bouquins, s’interrogeant.
B COMME BIG BANG ?
Il s’agit de la théorie actuelle qui décrit l’origine de l’univers à partir d’observations. Quand on regarde les galaxies, ce gros amas d’étoiles, on s’aperçoit qu’elles s’éloignent les unes des autres d’autant plus vite qu’elles sont plus éloignées. L’idée est que, si ce phénomène constaté actuellement a existé auparavant, les galaxies étaient plus proches les unes des autres. L’univers était plus dense et sa température plus élevée. On peut ainsi remonter à une époque située il y a une quinzaine de milliards d’années où ces variations de densité, de température étaient extrêmement violentes. A ce moment la température de l’univers aurait baissé de plusieurs milliards de degrés en quelques milliardièmes de secondes ; c’est ça le Big Bang.
C COMME COSMOLOGIE ?
L’astronomie s’occupe de l’univers globalement ; la cosmologie est la théorie historique de l’univers, elle raconte comment s’est construit l’univers.
C COMME COMMUNICATION ?
Les hommes ont fait de l’astronomie avant même de pouvoir communiquer entre eux. On est soumis à des rythmes nous dépassant complètement, où que l’on se trouve sur la Terre. Il fait clair, nuit, chaud, froid, ce sont des rythmes qui nous viennent du cosmos. On a commencé à faire de l’astronomie dès qu’on a réalisé qu’on était quelque part ! Même dans sa caverne l’homme savait qu’il se passait « des choses » dehors.
D COMME DIEU ?
En ce qui me concerne c’est une question qui n’a pas de sens, je suis athée. Il existe des astronomes croyants ou mystiques. Le propre du scientifique est de douter, de remettre en cause son savoir et l’ensemble de ses perceptions, d’où une difficulté à avoir une foi. La seule foi qu’on ait, c’est dans l’humanité. Toutes les religions ont créé ou présenté des cosmologies, raconté comme l’univers s’était construit. Evacuer les angoisses constituait un rôle important des religions. « Qu’est ce qu’il y a derrière les étoiles qui brillent dans le ciel, depuis quand existent elles ? » On fabriquait un dieu, un démiurge qui allait résoudre les questions. Le problème du scientifique est de poser des questions et de tenter de trouver des réponses, d’une manière inlassable. C’est l’inverse de la démarche toute faite de la religion. « C’est comme cela et c’est pas la peine de chercher pourquoi ». Des évêques ont fait prier Dieu cet été pour qu’il pleuve sur les régions sèches : canular phénoménal de leur part, de ramener Dieu au niveau d’un comptable cal¬culant combien de gens prient pour la pluie et combien prient pour le beau temps. On transfère le problème ailleurs en évitant de poser la question « Pourquoi est ce sec » ? C’est nier tout le travail des météorologues, entre autres.
(A suivre)