Dans le chapitre 24, j’avais donné à lire la transcription de la majeure partie du rêve éveillé de Carmelo Arden Quin intitulé « Pedro subjectivo », présenté par lui, en même temps que son Second pré-manifeste « El movil », chez Enrique Pichon Rivière, à Buenos Aires, le 8 octobre 1945, au cours d’une soirée « Arte Concretó-Invención » qui allait être une sorte de préliminaire à la fondation du Mouvement MADI. Le texte de « Pedro » était depuis lors demeuré en espagnol, et à l’occasion de l’« Acte poétique » à la Galerie Alexandre de la Salle le 7 février 1996, il l‘avait traduit devant nous. Reprenons le rêve éveillé à cet endroit si parlant (le cône en plexiglas) qui nous fait voir à quel point la vision inconsciente du monde de Carmelo Arden Quin semble géométrique. Dans la suite de la séance du 7 février, Arden Quin expliquera que sa rencontre avec Baruch Spinoza aura toute sa vie nourri son champ de réflexion, comme si son goût pour l’art abstrait s’était dialectiquement conforté de la philosophie, et réciproquement. Le « De more geometrico » de Spinoza - de l’Ethique - étant évidemment à la place d’honneur. Dans son Histoire de la Philosophie, Bertrand Russel décrète géométrique la philosophie de Platon et biologique celle d’Aristote, mais c’est une autre affaire. Un fil intéressant serait de repérer les cônes dans l’œuvre d’Arden Quin, mais vers 2006, étant peints sur matière plastique, avec tubes d’aluminium, ils sont assez « aériens » pour pouvoir évoquer le rêve…
Voyage dans la troisième dimension
Voici donc le rappel de la fin du texte : « Et j’arrive à une sorte de monument, abstrait, géométrique, immense, fantastique, tout transparent, en plexiglas, c’était un cône, en troisième dimension, avec dessus un cube, immense, et ça finissait par une sphère, et il y avait un ascenseur transparent.
Depuis des années, des siècles, on montait là-haut. Je suis monté, et je suis revenu en bas et je me suis aperçu que j’avais fait un voyage dans la 3e dimension, avec une thèse, une antithèse et une synthèse, et c’est une théorie que j’avais prise dans la dialectique de Hegel et appliquée à la géométrie, parce que le premier plan qu’on peut former est un triangle, l’antithèse serait le carré, la synthèse le cercle. Et Spinoza donne des exemples et parle beaucoup du triangle et du cercle. Mais je n’avais pas lu Spinoza quand j’avais fait cette cité… Mais moi alors c’était une chose qui venait de ma pratique de peinture géométrique, et des sculptures géométriques. Et je sors sur un plateau, et je trouve toute la famille, le photographe, Pierre et la personne habillée de blanc qui tenait en laisse le jaguar. Et on part ensemble vers un lac, or on ne sait pas si c’est un lac gelé ou un immense miroir. Alors le photographe nous prend encore en photo, et nous arrivons à un café, nous buvons, des gens bavardent, des nuages passent ».
Avec sa suite : « L’incertitude des temps que nous vivons. L’absence de forme de l’eau. La santé de la logique. L’incapacité de l’homme à créer des éléments. Le mérite de l’art en général. L’innocence de la femme comparée à l’homme. La dignité de l’assassin du roi. Les entraves qui nous empêchent d’avancer. Les arrière-goûts des peurs qui subsistent après le drame. Cette maladie qu’est le sommeil. L’aspect tranquille de la pampa. Le remède à la douleur. Les fiançailles. La nuit de l’enchantement. L’événement horrible. Le deuil pourpre. La perte des biens. L’oubli. L’ombre et la lumière. La splendeur de la maison d’en face. La terrasse de l’homme. Le roman des étoiles. La citerne rouge. Le chariot qui arrive seul avec le mort, les chevaux comme perdus sur le chemin. Enfance. Visage hébété. Pierre est mort. Masoller. 1918. J’avais cinq ans.
Il a plu. La pampa couverte de flaques. La cour de la ferme noyée. A l’horizon un cavalier qui passe. La lune naît ».
(Et puis Carmelo explique qu’il a numéroté la suite, à la façon de Spinoza)
1) Rien de fictif. Je l’ai vécu.
2) Eux seulement. Les excellents.
3) Semblent une légende. Légende.
4) Il me faut la connaissance du mensonge
5) Je suppose que c’est le mythe essentiel de l’éternité
6) Seul le respect avec lequel on agit est capable de faire naître le consentement normal et faire que la coutume éthique s’implante et perdure
7) L’alternative n’a pas de mesure exacte. Elle ne fait pas attention à la tenue.
8) Il n’y a pas d’interprétation des séries
9) Il y a des façons d’agir, il y a un labyrinthe dans le bois
10) Il y a dans le bois des endroits isolés pour le repos du corps
11) Il y a un risque à vouloir se donner pour vaincu
12) Il faut faire attention et agir si possible concentré
13) Subjective ne prend pas parti. Il n’argumente pas. Il ne prend pas position. Il n’est pas intéressé.
14) Contribue-t-il à interpréter ce que nous appelons lutte pour l’expérience ?
15) Le hasard est simple et le danger passager
16) Ceci et les autres choses qui se réfèrent à l’éternel
17) Il n’y a hélas pas d’intégration pour les faibles
18) Rien ne remplace la tendresse
19) Lutter pour rien est liberté de conscience
20) Refuser le pouvoir en proclamant que tout existe et que rien n’est
20) Dispositions de la colère, ça oui
Je n’avais pas besoin de Schilds pour continuer (c’est un personnage, explique-t-il). Il apparut et je l’intégrais aussitôt dans le texte. Je le fis de taille moyenne. Blond, visage pâle. Pommettes saillantes. Yeux gris, cheveux crépus et nez prononcé. Bouche petite. Moustache soignée. Sourcils épais. Les habitants d’Almagro (c’était un quartier où j’habitais à Buenos Aires) le connaissent et viennent aussi dans le texte avec moi. Ils m’aident à le créer. Je fais connaître Schilds à Subjective. Schilds émet à longueur de temps des doutes sur les choses. Si on lui demande des exemples il n’en donne pas. Il se fait prier si on l’interroge sur les circonstances qui l’ont amené à se manifester. Il demande qu’on lui explique la demande plus en détail. Il semble ignorer absolument la rencontre. Il a l’habitude de donner des conseils.
(La numérotation va continuer avec des lettres, de l’alphabet espagnol, il faut noter)
a) S’il n’y a pas d’ironie dans le propos pourquoi l’énigme ?
b) Le consentement doit se faire familier
c) L’habitude a-t-elle changé de place ?
ch) En admettant qu’il y ait une mesure parfaite, faut-il faire confiance et ajouter l’élégance à sa façon d’être ?
d) Puisqu’il n’y a pas d’inconvénient à l’appliquer, la supposition peut être acceptée sans risque majeur
e) Feindre peut être une attitude uniquement de défense, et non comme le soutient une certaine école psychologique, désir inconscient d’agressivité (ça c’était une pointe que je lançais à Pichon-Rivière pour provoquer un débat, une polémique)
f) Nous pensons que nous servons des causes logiques
g) Bien sûr que le doute existe
h) Subjective donne plus de valeur au silence qu’à la description explicite du récit
i) Les causes se réduisent parfois à un seul terme immédiat
j) L’agression, la destruction et autres attaques, bien que fâcheuses, sont tolérables si elles surviennent dans le rêve
k) Uniquement le suivant peut advenir
l) Se prononcer dans la gloire solaire du jour
ll) C’est faire grand préjudice à la santé du corps de seulement penser à quitter cette planète
m) Nous savons tous que notre ignorance est grande, et le désir se répète sans trêve, et les pierres fines ne sont pas précieuses
Cantique à Spinoza
Le texte en était là, dit Carmelo Arden Quin, lorsqu’est arrivé cet ami avec l’Ethique de Spinoza. Alors j’ai ajouté un « Cantique à Spinoza » :
« Il m’est impossible de penser si mon esprit ne s’associe pas à l’ombre lumineuse de l’objet ; je dis ombre de lumière, voulant signifier image, et sa source irradiante, l’objet de beauté. L’image reçue est distincte de ce qu’elle reflète (c’est une parodie de ce que dit Spinoza) ; la sphère est une chose (lui il dit « le cercle est une chose ») et l’image de la sphère une autre. L’image de la sphère n’est pas un objet avec un intérieur et une périphérie inhérents à l’objet lui, même, la sphère, comme l’image de tout autre corps, n’est pas le corps lui-même. Etant quelque chose de distinct de ce dont elle est l’image, elle sera aussi en elle-même quelque chose de compréhensible, c’est-à-dire que l’image, étant d’essence formelle, peut être objet d’une autre essence objective, et par là cette autre essence objective, considérée en elle-même, sera quelque chose de réel et de connaissable, et ainsi indéfiniment. Pierre, par exemple, (ça c’est 100% Spinoza) est un objet réel (c’est Spinoza 100%) ; l’image que je me forme de Pierre est l’essence objective de Pierre, qui, en elle-même, est aussi quelque chose de réel, mais distincte de Pierre lui-même. Parce que l’image que je me fais de Pierre est quelque chose de réel, cette image sera aussi l’objet d’une autre image contenant objectivement en elle tout ce que l’image de Pierre contient, formellement, et, à son tour, cette image qui aura pour objet l’image de Pierre, aura aussi son essence, qui pourra à son tour être l’objet d’une nouvelle idée, et ainsi de suite jusqu’à l’infini. Chacun pourra expérimenter en voyant, en sachant qui est Pierre, ce que lui aussi sait ; et encore celui qui sait qu’il sait qu’il sait, et ainsi du reste. On peut alors constater que pour connaître l’essence de Pierre, et je reviens à l’essence de Pierre subjective, le mien, et encore moins connaître l’image de l’image de Pierre. Ce qui veut dire que je n’ai pas besoin de savoir de savoir que je sais. Et encore moins de savoir que je sais que je sais. De même que pour connaître l’essence du cône, il n’est pas besoin de connaître celle de la sphère. Le contraire se donne dans ces concepts-ci ; pour savoir que je sais, il est nécessaire que je sache auparavant ; il s’ensuit évidemment que la réalité n’est en rien extérieure à l’essence objective elle-même, c’est-à-dire que la manière de sentir l’essence objective de Pierre est la réalité même ».
Et là Arden Quin va se mettre à improviser sur Spinoza (? c’est le clip « Arden Quin et Spinoza », une séquence spécialement découpée pour ce chapitre), rappelant que l’idée est une chose réelle, ce qui légitime l’objet, et que Spinoza aimait les objets, parce qu’il était athée, puisque sans cesse il dit : « Dieu ou la Nature », et que Spinoza aimait les montres, qu’il les polissait, et Arden Quin va plusieurs fois montrer sa propre montre en disant « un objet qui a capturé le temps ». Nous l’avons plusieurs fois entendu dire « je suis le maître du temps ». L’objet du désir, ce n’est pas rien, et au prix de ce qu’il faut peut-être appeler un lapsus, car Spinoza ne polissait pas des verres de montre mais des verres optiques dans un laboratoire. Même si quelqu’un dans l’assistance était au courant de cet écart, peut-être a-t-il préféré ne pas réveiller le rêveur, eu égard au fait que sa logique tenait debout, qu’elle était, tout simplement, son œuvre…Dans un travail sur « Pedro Subjectivo » présenté à la Fac de Psycho pour l’AEFL le 11 janvier 2011, j’avais, à propos de « l’hermétisme » d’Arden Quin, évoqué Lacan parlant de Luis Góngora y Argote pour parler de l’obscurité où se tapit la vérité. Comme je l’avais fait de Lautréamont (via Pichon-Rivière), j’avais rapproché Carmelo Arden Quin du fameux poète espagnol (Góngora), tous deux ayant préféré le nom de leur mère, tous deux ayant eu comme figure forte un oncle maternel, tous deux ayant été élevés par des religieux, Gongora par les Jésuites (aussi Lacan), tous deux ayant suivi des cours de droit, tous deux aimant les jeux de cartes. C’est en jouant au poker qu’Arden Quin s’était lié d’amitié avec Pichon-Rivière. Et le dernier recueil de poèmes d’Arden Quin s’intitule « Rituel des cartes de jeu ». Le n°140 s’intitule « Secret à vie ». Il ressemble à un testament. En voici un extrait :
cette fois l’œuvre est sans appel
on laisse la place au fauve vengeur
c’est à un coin du rempart qu’elle échoue
là où curiosité fait mine de rien
son domaine étant la labeur hardie
dans sa mission de fabriquer l’éveil
dès notre arrivée sur les lieux
nous conviâmes à boire le reptile
nous détendant sous le ciel boisé
orné de broderies et de fruits d’or
la nuit nous semblait l’eden de l’être
Secret à vie
Le 11 janvier 2010, en lisant ce texte devant un public, j’évoquais le fait que Carmelo Arden Quin allait avoir 97 ans, et que « l’œuvre sans appel » rappelait la phrase de Malraux selon laquelle la mort transformait la vie en destin. « Secret à vie » indique comme une consigne que l’œuvre doit être une recherche d’éveil, une initiation. Carmelo Arden Quin allait nous quitter le 27 septembre suivant, allant rejoindre cette nuit dont l’idée l’avait effleuré qu’elle pouvait être l’eden de l’être. Mais dans « Pedro… », elle est frappante la phrase : « faire grand préjudice à la santé du corps de seulement penser à quitter cette planète », car, à sa manière sobre et pudique, sombre, toujours à la limite du mauvais caractère, comme pour détourner l’impudeur, Carmelo Arden Quin avait manifesté sous nos yeux un gigantesque amour de la vie et du monde. Et il avait manifesté également une énorme science de l’inconscient, tout en se méfiant à juste titre du « discours » analytique, lui qui vivait dans la « parole ».
Interrogé sur sa vie et son œuvre, il a parlé – il m’a parlé - de son enfance. Dans les clips déjà présentés sur ce site, cela peut s’entendre. Enfance de Carmelo Arden Quin, enfance de héros. Son mythe s’enracine dans la pampa. C’est pourquoi s’impose l’image de la revue Ailleurs où un enfant joue avec un cercle. Pas un cerceau : un cercle.
Uruguay oblige, je finissais mon propos par un texte d’Edmundo Gomez Mango tiré de son livre publié chez Gallimard en 2009, un livre rare « Un muet dans la langue » : « Le muet, c’est d’abord le poète. Ce livre est né de l’étonnement provoqué par une pensée poétique d’André Du Bouchet : « … invariablement je suis dans la langue le muet. Le poète est le muet qui habite la langue et qui la fait parler. Il combat avec les mots, il veut qu’ils saisissent l’inatteignable, ce monde enseveli dans sa mémoire qui n’appartient pas au langage et dont seule la « langue étrangère » qui écrit les beaux livres, selon Marcel Proust est capable, dans les moments rares de l’émotion poétique, d’appréhender quelques signes pour les faire entendre et voir. Le muet c’est l’infans, immergé depuis sa naissance dans un bain de paroles qu’il ne peut comprendre. Il est l’enfant primitif, l’enfant disparu et présent qui nous habite, l’enfant muet qui sans cesse fait parler de lui ». Alors évidemment Edmundo Gomez Mango a consacré un chapitre au potache de génie (comme dit Le Clézio) qui a su faire resurgir la violence intacte, d’une beauté effrayante, de ce règne imaginaire dont se nourrissent Les Chants de Maldoror ». Mango dit qu’il a essayé lui-même de « suivre ce magnifique tourbillon de mots, l’étrange itinéraire qui entraîne Isidore Ducasse de sa ville natale, Montevideo, qui est aussi la mienne, dit Mango, jusqu’à Paris. C’est dans des heures nostalgiques que le nom mystérieux de Lautréamont murmurait à mon oreille « Lautréamontevideo » Il dit que Lautréamont est une incarnation littéraire de l’adolescent.
Et j’ai moi-même essayé, à propos de Carmelo Arden Quin, si parallèle encore à Isidore Ducasse, de suive l’étrange itinéraire de celui que son père, avant sa naissance, s’il était un fils, avait demandé que l’on appelle « Monte-Cristo » par amour pour Alexandre Dumas, et qui changea de nom en 1938 au moment de quitter l’Uruguay pour Buenos Aires, pour n’y jamais revenir. Avant le départ de son fils pour l’Argentine, Francisca l’accompagna à la Mairie de Montevido pour fixer définitivement son identité, après qu’il soit établi que ses deux parents étaient uruguayens, alors que son père était brésilien. Francisca lui demande s’il veut ajouter quelque chose à son nom, Carmelo Heriberto Alves Oyarzún, lui précisant qu’un homme qu’elle avait jadis aimé s’appelait Arden Quin. « J’avais toujours détesté le nom de Heriberto, explique Carmelo, et je fus content de le supprimer au profit d’Arden Quin, qui sonnait bien à mon oreille. Mon nom d’artiste pour la poésie et la peinture cessa d’être Alves, et devint Arden Quin ». « Puisque mon père avait été assassiné, confiera-t-il un jour à sa biographe Shelley Roitman, Dieu était mort, j’étais Dieu ». Le poète Vicente Huidobro, qui fut important pour Arden Quin, avait écrit dans « La Nación » en 1933 : « La poésie, c’est le vocable vierge de tout préjugé ; c’est le verbe créé et créateur, la parole à l’état naissant. Elle se meut à l’aube originelle du monde. Sa précision ne vise pas à désigner les choses, mais à ne pas s’éloigner de cette aube ». L’aube originelle (« Uniquement le suivant peut advenir », écrit Arden Quin, c’est-à-dire que toute création n’existe qu’à partir d’un bing bang, que la création est toujours seconde par rapport à la déflagration de l’ancien monde), c’est ce que Carmelo Arden Quin a tenté en permanence de retrouver dans sa poésie et dans son œuvre plastique. Il y a réussi.
Et si c’est son passage à la Galerie Alexandre de la Salle dans les 20 dernières années du XXe siècle qui a laissé le plus de documents (catalogues, photos, films), y compris autour des séjours chez Volf et Shelley Roitman à Montauroux dans le Var, il est inévitable de s’attarder sur cette période, mais la période suivante, celle de la fondation de l’Association Madi International, et celle du Centre Madi Orion à Paris, dirigé par Catherine Topall, aura son tour. En attendant, l’évocation d’une rencontre avec MADI de la part d’Olivier Garcin (chapitre 29) a enchanté les madistes qui suivent cette chronique, il faut donc insister un peu sur le lien Olivier Garcin/Arden Quin.
Olivier Garcin : « Pour préciser ce qui me lie à MADI »
Après sa découverte, dans le chapitre 29, du clip où il raconte sa rencontre avec Arden Quin et Madi, Olivier Garcin m’a écrit en ces termes : « Pour préciser ce qui me lie à MADI : il est évident qu’en ce qui me concerne ce ne sont pas les aspects formels qui me préoccupent mais bien les « ouvertures d’esprit » que la liberté de pensée procure. C’est en effet le laboratoire permanent d’émergence d’idées et de forme (ce qui est le fondement même du langage) qui a été séducteur pour moi, l’intelligence étant toujours le dépassement des formes entendues... et la force d’attraction des planètes appelant les concepts renouvelés pour que nous soyons toujours plus Homme (au sens de la beauté des réussites de civilisation). Nous ne sommes plus dans l’ère des croyances (la contradiction entre les intégrismes de tous poils et la liberté de pensée devenant de plus en plus flagrante : ça se voit...), et n’avons plus en tant qu’artistes (au sens large) à annoncer une solution « miracle », au-delà et autrement. C’est en poursuivant (et en saisissant parfois) d’autres modèles de modèles, que des propositions CONSTRUCTIVES se révèleront. Si j’ai une leçon à révéler de mon lien à MADI c’est bien la forme accomplie de l’abstraction, initiée par Malevitch, le potentiel indiscutable d’ouverture que proposent et ont proposé le concept « Coplanals » et les poèmes en pages de Carmelo (il me permettrait de l’appeler de son prénom). Mon travail, dans sa diversité apparente et ses non-formes-reconnaissables, démontre un peu les possibles individuels. Il a bien été dit que mon style est de ne pas avoir de style.... C’est pour cela que la poésie est le territoire que je revendique : la langue, le langage ne sont et ne seront jamais finis, c’est dans le court espace-temps de nos vie que nous avons à en faire l’expérience. Arden Quin a ouvert ces portes en peinture, car un même Coplanal contient une somme indéterminée de possibles. Echappant ainsi à la forme arrêtée, il dépasse l’immobilisme de l’objet, impliquant l’acteur qu’est le sujet regardant, entrant ainsi, sans le faire, dans le geste action, ce que l’on nomme un peu trivialement la performance aujourd’hui, que je préfère nommer le geste, l’acte performatif : c’est en agissant avec et sur le Coplanal que l’œuvre est en action objective avec le sujet.... Ce n’est donc pas étonnant que je rencontrais MADI alors que j’élaborais mes théories éditoriales, mes mises en actions (que j’appelais déjà « performances » devant des oreilles inintelligentes et naïves), et mes déclinaisons dans les années 70. Nous en reparlerons ».
Poesia Vagabonda
Et il peut sembler que les sept textes d’Olivier Garcin réunis sous le titre « La performance de l’autre, l’autre performeur » (Olivier Garcin, ©adagp juillet 2011) ne parlent eux aussi que de cette ouverture, en insistant sur « l’ouverture à l’autre ». Parmi eux celui intitulé « La leçon (comment j’ai… (Roussel, Beuys… » : « Si le lecteur ne s’y intéresse pas, alors, le texte, le tissu, la trame, la partition ne sont pas « lus ». Voilà qui est peu. L’auteur est acteur, actif, activant, agissant. Voilà que de bien banal. Taleo, tales, talere (1), mais de part et d’autre se trouve l’insensoriel et l’insensé. La narration se formule par la succession des événements constituant l’histoire. La mise en abîme des clés offre le sujet : depuis Arthur Cravan, le suicidé, la boxe est la métaphore dépassant l’engagement physique des danseuses de Degas. C’est avant tout le corps qui insuffle le sens : mens sana in corpore sano annonce la proposition inversée corpus sanum in mente sana (2).
L’autre, celui qui est préoccupé par des sensations inconnues, mystérieuses, démultiplie, par sa présence toujours réinventée, la somme de ses différences, les hypothèses renouvelées de sensations signifiantes.
L’autre c’est le spectateur. Mais ce spectateur est un personnage, il est nécessaire à l’œuvre, il en est le facteur. Ce faiseur d’œuvre qu’est cet être en action, consciemment, exaspère ses sens, offrant au simulacre qu’est l’art, ses forces vives : nihil est intellectu quid non fuerit prius in sensu (3). C’est dans cette conjugaison des puissances de l’artiste et du public que la forme prend corps, que le sens s’incarne, qu’apparaît l’acte performatif, la performance, et ainsi l’autre performeur.
Loin, donc, le geste narcissique de l’affirmation de soi demeure discret au profit d’un éclairage nouveau qui ne s’affirme que par l’augmentation de sens qui s’élabore au fil de la durée de l’œuvre. Ce n’est pas que dans le temps, par nature éphémère, de l’acte de mise en public, que la performance se vit, c’est dans sa préparation et dans ses effets. Les préludes à l’action prennent des formes diverses, selon les cas, concentrations individuelles, écritures préalables, collections d’accessoires plus ou moins manufacturés. Les effets se précisent par des formes immatérielles, des résidus, des objets, des traces, des enregistrements médiatiques, des reproductions, des reportages, des comptes-rendus, liste non-close. Préludes, actions et effets se vivent chez l’artiste, comme chez le spectateur, dans un temps dont la durée, à chacun des stades, naturellement éphémères, comme le temps de fabrication et celui de contemplation de toute œuvre d’art. Ce temps n’est pas déterminé et est surtout inchronométrable. C’est en cela que la performance appartient à la vie ».
(1) : Savoir faire
(2) : un esprit sain dans un corps sain et un corps sain dans un esprit sain
(3) : rien ne peut être compris qui n’a d’abord été dans les sens.
Enfermement et Liberté
Et si Olivier Garcin s’est retrouvé dans l’exposition de la Brigue « Enfermement-Liberté » organisée par stArt au mois de juillet, ce n’est pas un hasard car il y est impliqué depuis longtemps, et on l’a retrouvé co-préfacier de la plaquette (avec Michel Gaudet, Jean-Gustave-Moulin, Bernard Hejblum, Frédéric Altmann, Raphaël Monticelli, Alain Freixe, François Goalec, Geneviève Roussel, Renaud Brandi, Olivier Garcin, Paule Stoppa, Christiane Belœil, Jacques Simonelli s’étant occupé de l’invitation) célébrant les « 20 ans de stArt » fin 2010 à la Médiathèque André-Verdet de Carros. Exposition, manifestations, dont une « Art-action, poésie, performance » d’Olivier Garcin. Cette exposition mettait en visibilité l’incroyable liste de gens qui avaient offert à stArt leurs forces, leur créativité et leurs capacités d’amitié, et le fait que stArt était l’une des belles aventures qui s’étaient jouées dans les Alpes-Maritimes. Aventure loin d’être terminée. Simplement 20 ans, c’était long, cela voulait dire que le lien avait tenu. Dans la plaquette, Gilbert Baud avait écrit que stArt s’était bâtie en urgence sur les décombres du marché de l’art qui venait de s’effondrer, et « pour soutenir nos amis artistes en cette période noire, ils avaient nom Lavarenne, Jean jacques Laurent, Reyboz, Rufas, Thibaudin, Vernassa. La même année, avec Carol Shapiro, Michel Dray, Paule Stoppa, Pierre Naessens et Michel Gaudet nous réalisions également le premier numéro de la remarquable revue Alias… ».
La revue Alias qui avait été une grande chose car elle avait associé au plus niveau les discours variés de l’art, de la science, des sciences humaines… stArt aussi avait participé d’une recherche de qualité sur l’humain, ses potentialités, son projet, et cela non seulement grâce à l’invention d’événements nombreux et divers (y compris des grillades de premier avril chez Bernard Hejblum, auteur des cages écrasées ayant pour titre « Enfermement et Liberté », dont l’une fait la couverture du catalogue de La Brigue), mais aussi à l’édition d’un très grand nombre de livres d’arts, catalogues, qui font partie de la documentation incontournable pour qui voudra, dans l’avenir, travailler sur le monde de l’art des Alpes-Maritimes entre 1990 et 2010, 11, 12 etc.. Les Editions stArt avaient publié en nom propre depuis 1997, mais étaient en gestation déjà lorsque stArt et Gilbert Baud étaient largement impliqués dans la publication d’ouvrages pour artistes, galeries, éditeurs, et particulièrement pour la fondation Sicard Iperti à Vallauris dont ce dernier assurait la direction artistique. Toute personne amoureuse des livres ne peut que se réjouir de la présence de tant d’amoureux des livres chez stArt, qui comporte une belle quantité de poètes, critiques, écrivains, et l’on sait que les plasticiens ont besoin de catalogues qui donnent à leurs expositions éclairage et pérennité. Raphaël Monticelli, Michel Butor, avec le photographe André Villers réalisèrent quelques petites merveilles. Notables aussi les publications pour expositions du CIAC de Carros, entre autres sur des artistes de la qualité de Rosa, Waller, Morini, Gaudet, Hartung, Landucci, les Monod, Hains… Encore aujourd’hui il faut répéter : « Longue vie à StArt ! »
Longue vie à stArt
Dans le catalogue de l’exposition thématique à la Brigue, Frédérik Brandi a écrit une préface très éthique, son introduction étant suivie d’un texte de Laborit dans « L’éloge de la fuite ». « Pour en finir avec l’enfermement dans la sensation fallacieuse de « liberté », titre-t-il, et il écrit : « Le vent passe sur les tombes et la liberté viendra, on nous oubliera ! Nous rentrerons dans l’ombre... » Vous avez dit liberté ? Devant une aussi flamboyante idole érigée en thème d’exposition, les artistes n’ont évidemment pas c’est dans leur nature la sagesse ni le goût de l’effacement du partisan dans la complainte chantée par Anna Marly. Sachant résister à tout sauf à la tentation, les courageux participants n’ont donc pas hésité à s’enfermer dans leurs ateliers (qui a dit : « et dans leurs illusions » ?) pour s’emparer du sujet avec poésie, humour ou réalisme, et ainsi nous livrer le regard qu’ils portent sur le monde, laissant deviner le voile qu’ils jettent parfois sur la réalité, les barreaux qu’ils installent, les grilles qu’ils brisent, les frontières visibles ou invisibles, les contraintes, les évasions, la parole confisquée... À vous de voir, maintenant ».
Puis vient le texte de Laborit : « La notion d’absence de liberté humaine est difficile à admettre, quelle que soit la structure sociale de l’auditoire, car elle aboutit à l’écroulement de tout un monde de jugements de valeur sans lequel la majorité des individus se sentent désemparés. L’absence de liberté implique l’absence de responsabilité, et celle ci surtout implique à son tour l’absence de mérite, la négation de la reconnaissance sociale de celui ci, l’écroulement des hiérarchies. En effet, loin d’être « une donnée immédiate de la conscience », la liberté, ou ce que nous appelons liberté, c’est la possibilité de réaliser des actes qui nous gratifient, de réaliser notre projet, sans nous heurter au projet de l’autre. Mais l’acte gratifiant n’est pas libre. Il est même entièrement déterminé. Dans un ensemble social, la sensation fallacieuse de liberté pourrait s’obtenir en créant des automatismes culturels tels que le déterminisme comportemental de chaque individu aurait la même finalité. L’individu agirait ainsi pour éviter la punition sociale ou pour mériter sa récompense... Les sociétés libérales ont réussi à convaincre l’individu que la liberté se trouvait dans l’obéissance aux règles des hiérarchies du moment et dans l’institutionnalisation des règles qu’il faut respecter pour s’élever dans ces hiérarchies. Comment être libre quand une grille explicative implacable nous interdit de concevoir le monde d’une façon différente de celle imposée par les automatismes socio culturels qu’elle commande ? La liberté commence où finit la connaissance. Ce que l’on peut appeler « liberté », si vraiment nous tenons à conserver ce terme, c’est l’indépendance très relative que l’homme peut acquérir en découvrant, partiellement et progressivement, les lois du déterminisme universel. Il est intéressant de chercher à comprendre les raisons qui font que les hommes s’attachent avec tant d’acharnement à ce concept de liberté. Tout d’abord, il est sécurisant pour l’individu de penser qu’il peut « choisir » son destin, puisqu’il est libre. Or, dès qu’il naît au monde, il cherche sa sécurisation dans l’appartenance aux groupes : familial, professionnel, de classe, de nation, etc., qui ne peuvent que limiter sa prétendue liberté. Il lui est agréable aussi de penser qu’étant libre il est « responsable ». La liberté ne se conçoit que dans l’ignorance de ce qui nous fait agir. Elle ne peut exister au niveau conscient que dans l’ignorance de ce qui anime l’inconscient. Il faut reconnaître que cette notion de liberté a favorisé l’établissement des hiérarchies de dominance puisque, dans l’ignorance des règles qui président à leur établissement, les individus ont pu croire qu’ils les avaient choisies librement et qu’elles ne leur étaient pas imposées. Dès que l’on abandonne la notion de liberté, on accède immédiatement, sans effort, sans tromperie langagière, sans exhortations humanistes, sans transcendance, à la notion toute simple de tolérance. Mais, là encore, c’est enlever à celle ci son apparence de gratuité, et supprimer le mérite de celui qui la pratique... On croit l’autre libre et responsable s’il ne choisit pas le chemin de la vérité, qui est évidemment celui que nous avons suivi. Mais si l’on devine que chacun de nous depuis sa conception a été placé sur des rails dont il ne peut sortir qu’en « déraillant », comment ne pas tolérer, même si cela nous gêne, qu’il ne transite pas par les mêmes gares que nous ? Et curieusement, ce sont justement ceux qui « déraillent », les malades mentaux, ceux qui n’ont pas supporté le parcours imposé par le destin social, pour lesquels nous sommes le plus facilement tolérants. Il est vrai que nous les supportons d’autant mieux qu’ils sont enfermés dans la prison des hôpitaux psychiatriques. Notez aussi que si les autres sont intolérants envers nous, c’est qu’ils nous croient libres et responsables des opinions contraires aux leurs que nous exprimons. C’est flatteur, non ? (D’après Henri Laborit : Éloge de la fuite, Éd. Robert Laffont, Paris, 1976).
L’art ? une simple affaire de lucioles
J’avais moi-même dans ce catalogue concocté un « éloge de l’art », sous le titre : « L’Art : une simple affaire de lucioles » : « Rayures de toutes sortes, strates de l’horreur que la couleur rend encore plus absurdes, effilochements, chutes diverses, nudités, effacements des visages comme des corps, barbelés, grillages, cages, géographies de l’esclavage et même prothèses, poisons, illusions ultimes pour le bardo dernier barda et le biologique comme déterminisme, et le trou noir, le cache, toutes oblitérations confondues... Dans « L’affaire Moro » (1978), Leonardo Sciascia cite Pasolini ayant appelé disparition des lucioles une certaine période noire de l’histoire de l’Italie : « ... les choses horribles qui ont été organisées de 1969 à aujourd’hui, dans la tentative, jusqu’à présent formellement réussie, de conserver à tout prix le pouvoir... ». Entre les périodes noires, au sein même des périodes noires, quelque chose peut, malgré tout, briller - des sortes de lucioles (de lux, lumière) que sont les œuvres d’art, y compris l’art des fous : à l’extrême « Face à l’anéantissement », du suédois Carl Frederik Hill, un homme et une femme marchant sur des cadavres. Comme Gilbert Pedinielli nous rend répétitivement sensible l’éclair qui a zébré la beauté de Marilyn...
Enfermement liberté : quel couple, depuis toujours. Pour toujours ? Même la solution aura failli être détruite. Par Hitler. Art dégénéré. Dont Fritz Levedag, avec sa « ligne illimitée », pourrait être l’enseigne, car il est écrit : « La recherche sur la liberté de la ligne est radicale ... Pour avoir produit de l’art abstrait, il fut envoyé au front, d’où, au delà du risque mortel d’y passer à chaque heure, il tira une maladie qui, quelques années plus tard, le fit trépasser. Et : « Plus tard, en Norvège où il fut soldat, la hiérarchie chercha à éliminer Fritz Levedag parce qu’à la lueur du soleil de minuit il se livrait à une activité on ne peut plus criminelle : peindre des formes abstraites ».Pendant ce temps, tous les médecins, psychiatres, pseudo psychanalystes de l’Allemagne nazie, sous la houlette de Matthias Göring, établirent une « psychothérapie » qui chercha à TOUT guérir, et particulièrement la liberté intérieure qui s’appelle le Sujet, cette dimension unique, inaccessible, son secret. Dimension intime insupportable à un Etat (état ultime de la Folie élevée au rang de la Foule) qui mit en place la fabrique d’assujettis propres à la reproduction, à l’usine, à la guerre. Il y eut donc, parmi ces services... ces sévices... un secteur, une sorte de ministère, de la weltanschauung. Ce n’est pas une plaisanterie : on allait soigner la vision du monde des gens, en faire un système de représentations pour bon aryen, qu’on l’écrive comme on veut. Jean Leppien, allemand qui refusa de faire la guerre, entra dans la résistance, exécuta une série de tableaux, dits abstraits, c’ est à dire extraits, tirés au cordeau, à la corde pour ne pas se pendre de l’horreur, et qui passent pour des barreaux de prison, sur fond d’un ciel phosphorescent. La « Tension noire » de Bernard Abril
montre les mêmes fractures, obliques : les barreaux de prison ne sont rectilignes que dans le Réel, mais ils font de l’intérieur de l’humain enfermé un miroir brisé. On reprocha au Nouveau Réalisme, à Restany et ses disciples, d’avoir parlé d’autre chose que du pouvoir de l’homme sur l’homme, on leur a reproché d’avoir évité de mettre les pieds dans le plat. D’un air triste, du bord de son sourire, Rony Brauman, lui, ne cesse de dire ce qu’il voit qui se passe, et que personne ne veut entendre. Personne, non. Mais tant sont « sidérés ». L’Histoire est faite de sidérations successives. Il y a une raison profonde à cela, et irréductible elle aussi, et qui vient de la fracture entre le mot et la chose. Le pervers se sert de cette faille, il profite qu’il n’y aura jamais de preuve... à prendre dans la main, dans l’esprit, à nouer définitivement... preuves du Crime. Du crime, du délit. Le pervers le sait, qu’il pourra toujours nier. Qu’ON pourra toujours nier. On le tient comme un épouvantail, ce « on », comme bouclier, pour s’avancer sur le champ de bataille et faire une hécatombe de plus. Dénis, négationnismes renaissent tels les meilleurs phénix du monde... La raison irréductible du malentendu mortel, assassin, c’est que l’enfermement premier est dans la logique elle même. Logique indispensable et impossible scientifiquement. La Science quand elle se veut perverse s’en sert à tours de bras. Ce qui enferme devrait ouvrir, pourrait ouvrir, au prix de la notion d’infini, comme Klee l’a revendiqué pour lui même. Au nom des mathématiques et de la physique modernes, l’incomplétude, l’indécidable, l’indéterminé dont Bernar Venet a fait son concept maître ont fait rappel à l’ordre. Sur le « je sais que je ne sais rien », la littérature moderne a carrément fondé l’inarticulé. Enfant, Einstein voulait chevaucher un rayon de lune, et Hiroshima sera une curieuse apothéose pour le maniement de l’atome. Que l’observateur fasse partie du système observé peut être éventuellement au fondement d’une éthique de l’autre, une irruption, arbitraire comme l’est le signifiant, du droit de l’autre à être. Et, bien sûr, c’est le contraire : l’angoisse de ne pas être qui produit le meurtre de l’autre. De l’autre en soi. Sur l’autre. Meurtre non pas de l’autre, mais sur l’autre, sur le bouc émissaire. La prison où l’on enferme l’autre n’est qu’un dispositif pour tuer l’angoisse, tuer la mort.