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CHAPITRE 31 : Carmelo Arden Quin à la Maison de l’Amérique Latine (Paris), pour un prochain hommage - Chronique réalisée par France Delville pour Art Côte d’Azur

L’hommage qui sera rendu à Carmelo Arden Quin à la Maison de l’Amérique Latine (Paris, Bd Saint-Germain) le 7 octobre prochain, fait écho à celui du 22 mai dernier à la Foire Internationale d’Art Contemporain de Buenos Aires (arteBA 2011), où Martin Blaszko (avant sa disparition), Enio Iommi, Bolivar et César López Osornio traitèrent d’« Arden Quin et le Mouvement MADI international ».

Le 7 octobre à Paris interviendront Sofia Arden Quin (l’épouse de Carmelo), psychanalyste à Buenos Aires et responsable d’un jeune Mouvement MADI argentin (groupe présent dernièrement dans l’exposition MADI au CIAC de Carros)

« Akié 1 (2010), œuvre de Jean Branchet dans le catalogue de l’exposition MADI au CIAC

, et Bolivar, le plus proche madiste d’Arden Quin depuis quarante ans, et Jacques Sauvageot qui fut co-commissaire de l’exposition MADI au Musée de Cholet (en cours), et Catherine Pinguet, écrivain, et moi-même, avec le concours de Catherine Topall, Alexandre de la Salle et Jean Cherqui.
A noter qu’en 1983 l’Espace Latino-Américain, rue du Roi-de-Sicile à Paris

invitation de l’exposition-hommage à l’Espace latino-américain en 1983

,

invitation de l’exposition-hommage à l’Espace latino-américain en 1983

fit à Arden Quin une exposition-hommage pour ses 70 ans (1er mars-26 mars 1983), et que le catalogue de l’exposition fut édité en collaboration avec la galerie Alexandre de la Salle

Catalogue de l’Espace Latino-américain et de la Galerie Alexandre de la Salle

qui, du 15 juillet au 15 août suivants, organisa une autre exposition-hommage en présentant des « Découpages-Collages » « Peintures mobiles », « Coplanals » « Poèmes mobiles ».

Arden Quin ou la passion d’inventer

Dans ce catalogue Alexandre de la Salle écrivit une préface intitulée « Arden Quin ou la passion d’inventer », avec en exergue une phrase d’Opplimos, recueil d’aphorismes édité par les éditions Corti : « Ces objets forment un cercle glorieux : la conscience ».
« Carmelo Arden Quin ne compte plus les expositions qui sont des hommages à l’exceptionnelle importance de son œuvre. Par le nombre et l’importance des ruptures et des innovations qu’il a introduites dans le champ de l’abstraction géométrique, il prend incontestablement place au premier rang de ceux qui, historiquement, ont élaboré ce langage, de ceux dont, après coup, on sait qu’ils fu¬rent l’avant garde de leur époque. Sa rencontre en 1935 avec Torres Garcia sera décisive. Il va s’enthousiasmer pour le constructivisme russe, le futurisme, le néo plasticisme ; il découvrira « cercle et carré », « abstraction création », bref, il saisira tous les linéa¬ments de l’art abstrait construit. D’emblée il sera inventif, comme peu d’artistes le furent. Il sortira du format rectangle, brisant ainsi la dernière amarre au vieux schéma perspectif. Il explorera tous les types de surface : plane, galbée, voilée, trouée, mobile ; établira un rapport d’équivalence constant et rigoureux entre une forme plane aux contours irréguliers et ce qui se passe sur la surface ainsi délimitée. Il exposera ses recherches en 1936 à la Maison d’Espagne de Montevideo, à l’occasion de l’exposition d’aide et de propagande en faveur de la République Espagnole aux prises alors avec la rébellion franquiste.
On le voit ensuite à Buenos Aires en 1938 créant un atelier collectif et éditant la revue ronéotypée « Sinesis » avec Lloret Castels, Guy Ponce de Léon, José Garcia Martinez, Pablo Becker, Basterra, Sarmiento et, dans la décade des années 40, animant le « Groupe Arturo » réuni autour de la revue du même nom, avec Tomas Maldonado, Rothfuss, Edgar Bailey, Kosice, Lidy Prati, et où collaborent Torres Garcia, Vincente Huidobro, Vieira da Silva, Murilo Mendes et Augusto Torres. La revue s’ouvre par le manifeste dit « Manifeste d’Arturo », où Arden Quin ex¬pose sa conception esthétique basée sur la dialectique matérialiste. Expositions et manifestes se succèdent chez la photographe Grete Stern, chez le psychanalyste Dr Pichon Rivière et ailleurs.

Il sera l’homme du Mouvement Madi (carMelo ArDen quIn) qu’il lance au mois d’août 1946 à Buenos Aires dans l’institut Francais d’Etudes Supérieures. Y participent Martin Blaszko, Rhod Rothfuss, Gyula Kosice, Igna¬cio Blaszko, Esteban Eitler, avec la collaboration de Juan Carlos Paz et de la danseuse Paulina Ossona. Le groupe exposera peu après à l’école d’arts plastiques Altamira dirigée par Lucio Fontana et Emilio Pettoruti. MADI ? On s’y veut complètement libre d’utiliser les nouveaux matériaux, d’inventer des formes nouvelles qui, par leur excentricité modifieront le rapport de l’œuvre au mur, de se servir des acquis de la technique en introduisant la mobilité dans l’œuvre murale et sculptée. Une telle audace, une telle effervescence créatrice à Bue¬nos Aires, en ce temps là, c’est bien sûr un phénomène qu’il faudra un jour interroger encore de plus près.

Mais je voudrais souligner un des aspects les plus féconds de la démarche d’Arden Quin. Il va partir de la problématique de Mondrian, pour qui le rapport d’opposition de deux droites concentrait en lui tous les autres rap¬ports, voilés dans la nature par son exubérance même, et lui permettait donc de viser à l’unité et à l’universalité. Cette synthèse purificatrice (parallèle, soulignons le, aux préoccupations de la phénoménologie), nourrie de théosophie, qui se prétendait rationnelle (et dont le bien fondé peut être mis en cause), fut cependant à l’origine d’une des œuvres les plus marquantes de la première moitié de ce siècle. Et c’est encore au nom de la rationa¬lité, pour éviter au système de virer au dogme et de dégénérer, que cette problématique devait être repensée et contestée. Van Doesburg avait certes donné le signal de la révolte. Il reste que l’action de « perversion », de déconstruction reconstruction, sera un des aspects essentiels des inventions d’Arden Quin. Reprenant le travail de l’orthogonalité, tout en en préservant la rigueur, par de subtils décalages, par la réintroduction systématique des diagonales, puis par des ruptures plus radicales, dues à des surfaces manquantes qui laissent apparaître le mur, par des œuvres faites de plusieurs plans séparés, Arden Quin a métamorphosé ce système, y a insufflé la complexité, l’a dynamisé. Disposant ainsi d’un clavier très étendu, il est parvenu, dans le travail de la surface, à un degré de sophistication jamais atteint avant lui. Il passe alors de l’orthogonalité à la polygonalité, parlant même de « conscience polygonale ».

C’est non seulement en s’arc boutant les uns sur les autres, mais plus en¬core par le jeu de leurs contradictions, de leurs brusques confrontations, de leur subtile dérive, que les éléments de la surface peinte vont créer une harmonie supérieure et susciter cette floraison d’œuvres étranges, déran¬geantes, et belles de leur surprenante audace et de leur liberté inouïe. Les « Coplanals » sont un des sommets de ses trouvailles. Composés de plusieurs polygones peints, vissés sur une structure à claire voie, chacun de ses éléments carrés, cercles, triangles, vit d’un seul et même mouvement, de sa vie propre ET de celle de l’ensemble où ils viennent s’insérer. Non seulement la totalité générale est mobile, par élongation des parties ou par aplatissement, mais pour chacune de ses positions, elle peut être modifiée par la plus infime variation d’un seul de ses éléments constitutifs. Tous ces déplacements se font dans l’unité d’un seul et même plan, jamais d’avant en arrière. Ces travaux constituent les prémisses incon¬tournables de l’art cinétique.
A Paris où il est venu se fixer en 1948, (et où, pour la première fois je l’ai rencontré dans la galerie de mon père rue Jacques Callot), Arden Quin reconstituera le mouvement Madi. En 1950, il participe avec ses compagnons José Bresciani, Roger Desserprit, Eielson et Vardánega à la première exposition que le nou¬veau groupe fait dans la capitale. Ces cinq artistes, auxquels s’ajouteront Chaloub, Guy Lerein et Koskas, vont être les co fondateurs, avec Del Marle, de la Salle « Espace » au Salon des Réalités Nouvelles de cette même année, mani¬festation qui provoquera une grande polémique entraînant la démission de la moitié des membres du Salon, parmi lesquels Pevsner et Hartung.
En 1951, Arden Quin fait la connaissance de Volf Roitman, et, en 1953, le groupe Madi se présente à la Sor¬bonne, au club Paul Valéry, avec Guevara, Nunez, Sallaz, Pierre Alexandre, Lenhardt, Neyrat et Marcelle Saint-Omer. Leurs travaux seront exposés chez Colette Allendy, Suzanne Michel, Denise René, Silvagni. La salle Madi du Salon des Réalités Nouvelles en 1953 était constituée essentiellement par des œuvres « optique vibration » et des sculptures mobiles à moteur, en 1953 à Sao Paulo, conférence et présentation du mouvement Madi au musée d’Art Moderne et rapport avec le groupe concrétiste composé de Fejer, Cordeiro, Pignatari, de Campos.

A partir de 1949, les recherches d’Arden Quin se sont infléchies : toujours sur des formes libres, planes ou courbes ; il réalise toute une série d’œuvres sur fond blanc, où le jeu des lignes et des micro formes colorées vire à une ob¬sédante hallucination, à une systématisation de ce jeu optique à l’origine duquel on le trouve encore. Maints ac¬teurs de cette tendance passeront par son atelier.
J’allais oublier la superbe série de collages et de découpages pleins de verve et de fantaisie, qu’Arden Quin exé¬cuta entre 1948 et 1956, en partie exposée dans une soirée chez le psychanalyste argentin Edgardo Rolla à Buenos Aires en 1954, d’une impeccable précision, et qui à elle seule mérite l’hommage d’une exposition.
Et maintenant ? Qu’on l’écoute, intarissable sur ses projets, que l’on surprenne son œil noir, lourd, pétillant d’in¬telligence et d’humour, on le voit toujours projeté vers l’avenir. Les coplanals, auxquels il travaille depuis des an¬nées, ont grandi, envahissant le mur de leurs formes : la grande ou « Forme Mère » et la petite ou « Satellite », reliées par un ombilic discret. Ils sont comme l’ultime aboutissement des coplanals de 1945.
Après la couleur (avec quel art il s’en sert, ne la laissant jamais s’accumuler en un point, il la répartit et la fait bouger sur toute la surface avec précision pour l’intégrer heureusement à ce travail syncopé que j’ai tenté de décrire), Arden Quin se dit fasciné par le blanc et le noir, qui recouvrent déjà certains coplanals, certaines de ses formes courbes, ponctuées de protubérances métalliques. L’immense contribution d’Arden Quin à l’histoire de l’abstraction est évidente : c’est celle d’un infatigable Pion¬nier. Je crois pouvoir affirmer, en pesant mes mots, qu’il y a un Avant et un Après Arden Quin. Longue vie au peintre, et au poète, dont je n’ai rien dit, mais qui est de la même trempe, celle des grands Poètes ».

Manifeste fondateur de MADI (1946)

Dans le même catalogue Arden Quin choisit d’insérer le Manifeste fondateur de MADI écrit par lui, et lu par lui à l’Institut Français des Hautes Etudes de Buenos Aires en 1946 : « Dans les pays ayant atteint une étape supérieure de développement industriel, l’ancien état de chose du réa¬lisme bourgeois a presque disparu. La représentation plastique de la nature y bat en retraite et se défend bien faiblement.
C’est alors que l’abstraction expressive prend sa place. Dans cet ordre on doit inclure les écoles d’art figuratif allant du cubisme au surréalisme, en passant par le futurisme. Certes, ces écoles ont répondu aux nécessités idéologiques de leur époque et leurs productions restent des acquis inestimables à l’égard de la solution des problèmes posés à la culture de nos jours. Malgré cela, son temps historique est révolu. En outre, l’insistance mise par les œuvres réalisées dans ce contexte sur le thème extérieur à ses qualités propres, est à considérer comme une régression, comme un service rendu à la figuration contre l’esprit constructif qui s’efforce de gagner à soi tous les aspects de la culture dans tous les pays.
Avec l’art dit « concret », lequel, en réalité, n’est qu’une branche plus jeune de cette tendance abstractionniste, commence la grande période de l’art non figuratif où l’artiste, prenant l’élément et son support correspondant, crée l’œuvre dans sa pureté essentielle. Mais l’Art Concret a péché par manque d’universalité et de cohérence organisatrice. Il a sombré en de profondes et insurmontables contradictions, tout en conservant les atermoie¬ments et les incertitudes de l’art ancien et ceux de ses ancêtres immédiats : le suprématisme, le constructi¬visme, le néo plasticisme. Par exemple, il n’a pas su écarter de la peinture, de la sculpture, de la poésie, respectivement la superposition, le support rectangulaire classique, l’athématisme, l’imagerie créationniste ou surréali¬sante ; le statisme plastique, l’interférence entre volume et partie creuse ; des notions et des images pouvant être traduites, illustrées graphiquement.

L’Art Concret n’a pas su s’opposer, faute d’une théorie esthétique d’ensem¬ble, et, partant, d’une pratique adéquate aux mouvements intuitionnistes tels que le surréalisme, aujourd’hui universellement répandu. De là la réussite, nonobstant les conditions contraires, de l’intuition contre la conscience, des révélations de l’inconscient contre l’analyse objective, l’étude proportionnée et l’attention lucide que l’on doit avoir devant les lois de la chose à faire. On reste encore dans le symbolisme, dans l’onirisme, et l’on prend parti pour la métaphysique contre l’expérience. Quant à la connaissance de l’art, et l’interprétation de ses don¬nées historiques, y sévit en permanence l’argumentation idéaliste et subjective la plus notoire. On ignore les lois du matéralisme dialectique et, lorsque l’on s’en sert, c’est pour les appliquer à l’économie et à la politique, lais¬sant bien soigneusement de côté l’emploi de ses données à l’art, comme le font les tenants enragés du réalisme socialiste.
Bref, l’art avant Madi, tant dans le jugement de son contenu de classe que dans son idéologie et sa pratique, peut être qualifié :
d’un historicisme scolastique, idéaliste ; d’une conception irrationnelle ;
d’une technique académique ;
d’une composition unilatérale, statique et incohérente, nous donnant des œuvres exemptes de vraie universa¬lité, de vraie trouvaille, et tout cela servi par une conscience - ou inconscience - imperméable à une rénovation permanente de méthode et de style, seule voie pouvant nous amener à créer l’événement.
Contre tout cela se dresse Madi, qui confirme le désir inaliénable de l’homme d’inventer, d’aller toujours de l’avant, de faire des objets dans le contexte des valeurs permanentes, coude à coude avec l’Humanité dans sa lutte pour la construction d’une société sans classe qui libère l’énergie et en vienne à dominer et l’espace et le temps en tous sens, de même que la matière, jusqu’aux ultimes possibilités.
Sans rigueur descriptive en relation avec la totalité de la structuration, l’objet ne peut pas être réalisé ni intégré dans l’ordre universel de l’évolution. C’est ainsi que le concept d’invention doit être défini comme passage, comme faculté, jaillissement du désir, et celui de création comme acte, événement, comme essence se montrant et agissant éternellement.
Pour le Madisme, donc, Invention sera dévoilement, pressentiment de la chose, la chose en puissance, et Création : la chose réalisée.
En conséquence :
On reconnaîtra par Art Madi l’organisation dans leur support respectif des éléments propres à chaque discipline esthétique ; la présence de l’objet ; l’objet inséré dans la beauté d’un ordre dynamique, mobile, le thème que j’appelle « anecdote ». Lucidité et Pluralité y sont de surcroît contenues.
Concrétiser le mouvement, le synthétiser pour que l’objet naisse et délire entouré d’un éclat nouveau. Voilà les valeurs essentielles de l’œuvre madique.
Bannie toute ingérence des phénomènes d’expression, de représentation et de signification. L’œuvre est, n’exprime pas.
L’œuvre est, ne représente pas. L’œuvre est, ne signifie pas.
Le dessin madi, c’est une disposition de points et de lignes sur une surface pouvant créer une forme ou un rap¬port de plans.
La peinture madi : couleur et bidimensionnalité. Structure plane polygonale. Superficie incurvée, concave ou convexe. Plans articulés, amovibles, avec mouvements linéaires, giratoires ou de translation. Coplanal.
La sculpture madi : tridimensionnalité de valeur temporelle. Solides avec espaces vides et mouvements d’arti¬culation, de rotation, de translation. Cristal et matières plastiques en transparence. Fils d’acier dansants.
L’architecture madi : ambiance, formes amovibles et transparentes laissant le regard s’évaser vers l’horizon.
La musique madi : sons et temps spaciaux, lignes et plans de bruitage thématiques.
La poésie madi : propositions gratuites, notions et métaphores ne pouvant en aucun cas être traduites par d’au¬tres moyens que la parole. Succession conceptuelle pure. Superficies dispersées ou articulées en tous sens. Li¬vres de formes variées. Poésie mobile.
Le théâtre madi : scénographie amovible s’adaptant aux déplacements d’objets et de personnages idéaux. Dialogues de cause à effet gratuits. Mythe inventé et évènement.
Le roman et la nouvelle madi : sujet se mouvant sans lieu ni temps réels. Rigueur de langage et identité para¬doxale.
La danse madi : corps et mouvement indépendants de la musique. Thème plastique, gestes et attitudes en con¬cordance, circonscrits à un lieu mesuré ou délirant. On ne danse pas une musique, mais on peut danser un ob¬jet, géométrique ou autre.
Je crée l’événement.
Le passé n’est pas d’aujourd’hui qui sera demain.
Je vous lègue la formule des inventions de l’avenir »

Carmelo Arden Quin Buenos Aires 1946

Une photo

Salon des Réalités Nouvelles Paris 1953

de la Salle Madi du Salon des Réalités Nouvelles (Paris) de 1953 figure également dans ce catalogue, sur laquelle on distingue des œuvres d’Arden Quin, Sallaz, Roitman, et des sculptures mobiles à moteurs électriques d’Arden Quin et Ruben Nunez.
Dans la revue Canal d’octobre 1978

revue Canal

, pour annoncer la rétrospective Arden Quin organisée à la FIAC par la galerie Alexandre de la Salle, avait été choisie une photo de la cimaise Arden Quin à l’exposition « Réalités Nouvelles » de Buenos Aires à la galerie Van Riel en septembre 1948, en même temps qu’au Salon des Réalités Nouvelles de Paris étaient envoyées pour la première fois, par Kosice, des œuvres du Mouvement.

Michel Seuphor et l’importance de MADI

Dans l’un des tomes de « L’Art Abstrait » (Maeght éditeur en 1969) Michel Seuphor relate l’aventure :
« C’est la revue Arturo (il n’en paraîtra que cet unique numéro) qui devait donner le coup d’envoi. Y participèrent Carmelo Arden Quin, Gyula Kosice, Tomás Maldonado, Lidy Prati, Rhod Rothfuss, et quelques autres. Parmi les reproductions on trouvait, outre les Argentins, des œuvres de Kandinsky, Mondrian, Torres-Garcia et Vieira da Silva. L’année suivante deux groupes devaient surgir, uniquement semble-t-il pour se combattre et créer de l’agitation. Ils portent presque le même nom : le premier s’appelle « Movimiento de Arte Concreto Invención », le second « Associación Arte Concreto Invención ». Inspirés par Max Bill, comme l’indique le terme « art concret » de préférence à « art abstrait », ces groupes tendaient à apporter en Argentine l’équivalent du groupe parisien « Abstraction-Création, art non figuratif ». C’est alors que surgit le madisme (1946). Le « Movimiento de Arte Madi » se veut absolument révolutionnaire, et pour manifester cette volonté il propose une série sensationnelle d’innovations telles que le tableau non orthogonal, le cadre biscornu, le cadre en tant qu’œuvre en soi, le tableau à éléments multiples articulés, etc. On a vite compris qu’il s’agissait de frapper le regard, de dérouter l’esprit et de se placer une bonne fois à la tête de l’avant-garde internationale. La libération de l’art avait commencé avec trente ans de retard sur l’Europe. Ce retard sera comblé d’un seul coup, grâce à l’Arte Madi. En 1948, le Salon des Réalités Nouvelles devait présenter, à Paris, un impressionnant ensemble des recherches madistes. (…) C’est également en 1948 qu’eut lieu à Buenos Aires, à la galerie Van Riel, (élaméricain6, Salon des Réalités Nouvelles 1948, Buenos Aires) une exposition qui reçut le titre de « Salón de Nuevas Realidades » (Salon des Réalités Nouvelles), emprunté au Salon parisien bien connu. On y put voir assemblées toutes les tendances de l’art postcubiste jusques et y compris « L’Associación de Arte Concreto Invención » et le « Movimiento Madi ». « Cette exposition, écrit le critique d’art argentin Cordova Iturburu, eut une répercussion extraordinaire. Elle attira à la Galerie un public nombreux et suscita, entre les participants et la critique, des commentaires passionnés. Aucune des expositions antérieures – collectives ou individuelles – d’art non figuratif, n’avait atteint pareille résonance. Sans crainte d’exagération on peut affirmer que c’est à partir du Salon des Réalités Nouvelles de 1948 que l’art non-figuratif a acquis sa personnalité dans notre pays et commença, de manière décisive, sa conquête d’adeptes et de fervents parmi les promotions nouvelles. Toujours en 1948, Carmelo Arden Quin s’établit à Paris pour y créer une tête de pont de l’Arte Madi, appelé pour la circonstance madisme scientifique. Au cours des années qui suivirent il y eut plusieurs expositions de madisme ; des manifestes surgirent, des réunions eurent lieu, un atelier madi fonctionna quelque temps, rue Froidevaux, avec une équipe de jeunes courageux et inventifs ».

Jean Branchet et l’exposition MADI de 2008 à la Maison de l’Amérique Latine

Le Salon des Réalités Nouvelles, toutes éditions confondues, a marqué, et marque beaucoup d’artistes. Ainsi Jean Branchet, qui se souvient encore de l’Espace MADI du Salon de 1954, et qui n’aurait jamais pensé à l’époque, dit-il, appartenir lui-même un jour au Mouvement MADI. Il va rencontrer Arden Quin fin 90 à l’occasion d’une exposition d’Art Construit organisée par la galerie Convergence de Paris dont il était l’un des animateurs avec Anita Lenander, Kerstin Varichon (la même galerie Convergence parisienne, rue des Archives, ayant une succursale à Nantes et une à Stockholm.

Invitation de l’exposition d’art construit (13 décembre 1990-13 janvier 1991)

Dans cette exposition, 25 artistes d’art construit dont Arden Quin, De Spirt, Dubreuil, Jonquières, Lambélé, Leppien, Luc Peire, Nemours, Ridell, Satoru, Seuphor, Tomasello, certains étant madistes. Arden Quin fut exposé à Nantes « et depuis mon travail a adopté la voie tracée par MADI », dit encore Jean Branchet, qui fut co-commissaire de l’exposition « Mouvement Madi International, Buenos Aires 1946-2008 » à la Maison de l’Amérique Latine de Paris en 2008,

Couverture du catalogue de l’exposition 1946-2008 à la Maison de l’Amérique latine

et artiste participant,

Oeuvre de Jean Branchet dans le catalogue de l’exposition 1946-2008

et préfacier. Deux textes de lui dans le catalogue sont très explicites :
« Quel lieu, quel endroit pouvait être plus symbolique, plus emblématique que la Maison de l’Amérique latine, soixante ans après l’arrivée de Carmelo Arden Quin à Paris pour une exposition consacrée au mouvement MADI. Dans l’effervescence de l’après guerre, les mouvements artistiques étaient nombreux : surréalisme, expressionnisme, réa¬lisme, nouveau réalisme, nouvelle figuration, abstraction lyrique... et, bien sûr constructivisme. MADI se situait dans la sphère de l’art géométrique avec un apport primordial dans la recherche de la polygonalité de l’œuvre et le rejet de la forme traditionnelle qui enferme systématiquement le tableau dans le rectangle d’un « cadre ». En effet, depuis la Renaissance, l’œuvre peinte ou dessinée devait être une fenêtre offrant une vue sur le monde extérieur. Avec MADI, la polygonalité fait éclater l’œuvre, la fait réagir dans son environnement immédiat, lui fait prendre une dimension autre que les siennes propres. Bien évidemment d’autres artistes ont créé des œuvres polygonales dès les premières années du XXe siècle. Mais, aucun n’a systématisé cette approche, n’en a fait une règle de conduite pour explorer le monde de la création et prendre conscience de l’importance de l’envi¬ronnement. A ce principe fondamental de polygonalité, il convient d’ajouter ceux de ludicité, d’inventivité, de liberté dans le choix des matériaux, des techniques, tout en restant dans le domaine de la géométrie et des aplats de couleurs. Au cours des années, les artistes se réclamant de MADI sont devenus de plus en plus nombreux. Il suffit de constater que cette exposition présente une soixantaine d’artistes venant de douze pays. La géométrie comme moyen d’expression les réunit et MADI comme instrument de liberté et d’incitation créatrice : « Sortez du cadre, faites vivre votre œuvre en tenant compte de son environnement, trouvez votre forme, habillez la, utilisez tous les moyens techniques, les nouveaux maté¬riaux mis à votre disposition, en un mot, inventez ! »
Des artistes décrivent la poésie du monde, d’autres ses drames, certains peignent la réalité… Ils sont gestuels ou formalistes. Ils veulent apporter un message au monde, avoir une action dans le domaine social ou politique... Les artistes MADI veulent tout simplement créer une œuvre pure, ne signifiant rien, n’ayant aucun message à délivrer, une œuvre qui n’existe que par elle même, qui soit le résultat du « Jeu majeur » de la créativité et de la sensibilité comme toute musique détachée d’une description ».

Mouvement MADI et histoire de la mouvance construite internationale

L’autre texte est encore plus précis sur la spécificité de MADI :
« Il n’est pas possible de parler du Mouve¬ment MADI, de définir ses caractéristiques et son importance sans le situer dans l’évo¬lution de l’art abstrait au cours du XXe siècle. Dans l’histoire de l’Art du XXe siècle la ten¬dance artistique géométrique a occupé une place de tout premier plan dès l’apparition, au début du siècle, de l’abstraction dans les arts visuels de différents pays : à Munich avec Kandinsky, à Moscou avec Larionov, à Amsterdam avec Mondrian et van Doesburg, à Paris avec Delaunay, Picabia, Kupka... (pour ne rappeler que quelques grands précurseurs).
L’abstraction a donné naissance à plusieurs courants, chacun d’eux reflétant une des multiples facettes de l’être humain. Mais une des tendances les plus perma¬nentes, toujours adoptée par des créateurs actuels, et partout dans le monde, est celle que l’on peut qualifier de mouvance construite internationale. On lui a donné selon les lieux où elle est apparue et les objectifs recherchés par les artistes le nom de constructivisme, de suprématisme, de néo plasticisme, de géométrisme, d’art concret... Le nom d’art géométrique paraît être celui qui peut le mieux rassembler sous une dénomination commune les différentes tendances passées et actuelles. Car, finalement, elles mettent toutes en œuvre les règles et fondements de la géo¬métrie éternelle : organisations de surfaces, de volumes, de lignes et de courbes, dans un univers libéré de toute évocation et de toute anecdote.
La forme régulée, géométrique, jointe à l’économie des moyens, à la simplicité et à la rigueur des structures et de la composition, peut atteindre une grande pureté liée à une profonde intensité. Mais cette même forme, associée à l’infini de combi¬naisons possibles, est tout aussi capable d’exprimer dynamisme et vitalité.
Comme il a été précédemment dit, au cours de son histoire cette mouvance construite internationale ou art géométrique a donné naissance à plusieurs mou¬vements qui, tous, bien que mettant en œuvre les principes de la géométrie, ont abouti à des recherches et à des résultats divers. Pour ne rappeler que les plus notoires :
 Le « Constructivisme », né en Russie dans l’effervescence de la Révolution de 1917. Dirigé contre tout esthétisme, il recherchait avant tout des objectifs sociaux, utilitaires et matérialistes (Gabo, Pevsner, Archipenko, Rodchenko, Larionov, Gontcharova, Tatlin...)

 Le « Suprématisme », créé par l’artiste russe Malevitch en 1916, affirmait la suprématie des formes élémen¬taires simples telles que le carré, le rectangle, le cercle, le triangle, la croix et assurait que la réalité de l’art dépendait entièrement des effets de la couleur sur les sens.
 Le « Néo plasticisme » fondé en 1917 à Amsterdam par Mondrian, van Doesburg et Bart van Leck. Il s’agissait de découvrir les « moyens purs » par lesquels serait révélée l’harmonie universelle, soit une abstraction géométrique régie par un emploi très strict des seules lignes horizontales et verti¬cales, des trois couleurs primaires pures, bleu, jaune et rouge, associées avec le blanc et le noir.
 « Cercle et Carré », mouvement fondé en 1929 par Michel Seuphor et Torres Garcia qui organisèrent à Paris, en 1930, la première grande exposition consacrée à l’art abstrait, essentiellement géométrique.

 Le mouvement « MADI » fondé à Buenos Aires en 1946 par Arden Quin, proclamait la possibilité de peindre des structures polygonales planes, concaves ou convexes, des plans articulés, amovibles, animés de mouvements linéaires, giratoires ou de translation, de sculpter des solides avec des espaces vides et mouvements d’arti¬culation. MADI réalisa le passage entre l’art construit des années vingt trente et l’art minimal, le « shaped canvas » et le « hard edge » (États Unis) des années soixante-¬dix.
 L’« Art cinétique », réunit, à partir des années 50, une nouvelle génération d’artistes qui cherchaient, en reprenant les données de l’abstraction géométrique, à intro¬duire les notions de mouvement et de temps (Vasarely, Tomasello, Soto, Agam, Morellet, Cruz Diez... ).
 L’« Art minimal », apparu aux États Unis en 1965 (Dan Flavin, Donald Judd, Sol Lewitt, Carl André...). Morellet en France, a précédé ce mouvement. Les formes sim¬plifiées à l’extrême ne portent plus de traces de l’intervention de l’artiste niant ainsi toute subjectivité.
Cette description sommaire ne recouvre qu’une partie des ten¬dances et expressions qui de par le monde se sont référées et continuent à se référer à l’art géométrique.

Apparu au milieu du XXI siècle, le mouve¬ment MADI est avant tout un mouvement rassembleur. Comme DADA, son nom est une invention et son histoire en perpétuel renouvellement. MADI ne dicte aucune théorie restrictive, bien au contraire. Il demande la plus grande liberté dans les moyens d’expression, les matériaux uti¬lisés, l’utilisation de l’espace. Avec, toutefois, un seul impératif : sortir du traditionnel rectangle de la toile peinte, fenêtre héritée de la Renaissance, afin d’explorer les multiples possibilités offertes par la confrontation entre la forme créée et l’espace environnant. MADI est un art de la Géométrie et, comme elle, il se veut universel, car qu’y-a-t-il de plus universel que la géométrie ?
Dès 1946 le manifeste MADI réclamait l’ouverture sur le « milieu spatial » et la gravi¬tation des formes, la possibilité de peindre des structures polygonales planes, concaves ou convexes, des plans articulés, amovibles, animés de mouvements linéaires, giratoires ou de translation ; la possibilité de sculpter des solides avec des espaces vides et des mouvements d’articulation, de mettre en œuvre des fils d’acier dansants... En faisant sauter le cadre orthogonal classique, cette prise de position devançait de quinze ans le formalisme américain de Stella, par exemple. En mettant en valeur l’idée de mouvement et de manipulation, la voie était ouverte au cinétisme, comme au dynamisme des volumes.
Dans les arts plastiques, MADI est l’état d’esprit créateur qui fait sien les règles sui¬vantes : invention, abstraction, polygonalité, géométrie, ludicité, mouvement, espace, couleur. Mais plus qu’un mouvement purement plastique, MADI est une attitude générale de liberté par rapport aux poncifs, aux habitudes, aux traditions sclérosantes. Il faut créer, inventer de nouvelles formes, utiliser les nouveaux matériaux, les nouvelles techniques.
Preuve de sa vitalité, de plus en plus de groupements de plasticiens se réclament de MADI. Des musées s’y intéressent organisant d’importantes expositions : en témoigne le Musée MADI inauguré en 2005 à Sobral (Brésil). Les artistes liés au mouvement Madi. international se ren¬contrent périodiquement au cours de manifestations, réunions, colloques, expositions, confrontant leurs expériences et montrant à l’évidence la richesse et la diversité des créations. Des scientifiques, des mathématiciens ont même trouvé dans les créations MADI la justification de leur propre recherche : par exemple, La Cité des Géométries à Maubeuge (France). Au début du XXe siècle, une telle permanence dans la continuité et la créativité d’un mouvement artistique est unique. Il ne faut pas oublier que MADI a plus de soixan¬te ans d’existence !
Actuellement le mouvement Madi interna¬tional comprend plus d’une centaine de membres représentant quinze pays (Argen¬tine, Belgique, Brésil, Espagne, France, Hollande, Hongrie, Italie, Japon, Pologne, Slovaquie, Suède, Uruguay, États Unis, Venezuela), où se côtoient quatre générations... »

Bolivar et MADI

Et Bolivar également fournit un texte pour cette mémorable exposition : « L’œuvre MADI se caractérise en premier lieu par son originalité morphologique et conceptuelle : la suppression de l’ancien cadre traditionnel en échange de la suprématie de la forme dans l’espace absolu.
Le phénomène MADI aujourd’hui n’est plus une énigme. Il s’agit du concept de Matérialisme Dialectique mis à contribution d’une pensée nouvelle dans le domaine des arts plastiques ainsi que de toute autre discipline artistique. C’est une vraie révolution intellectuelle : ici le fameux tableau vole en éclats, la forme se libère et prend place dans l’espace total où la polygonalité mul¬tiple s’impose.
L’œuvre MADI ne supporte ni ombre projetée, ni dégradés, ni âpreté, ni matière. Elle met à l’honneur l’intégrité de la couleur par des aplats, tout comme celle de la forme, la surface nette pour que l’objet y soit dans toute sa splendeur.
L’art MADI est abstrait non représentatif, non figuratif, l’art art MADI est concret tangible, réel. » (Robert historique).
Enfin le terme MADI qualifie une œuvre à réalité formelle, concrète, à surfaces picturales plates, pouvant être bi ou tridimen¬sionelle, des plans, des évidés, des reliefs, sculpture murale ou aérienne, galbée, concave ou convexe, mobile ou fixe, des plans unis ou séparés, formant une même œuvre, situés à des distances variables, donnant ainsi le libre arbitre à l’invention perpétuelle coplanal etc. »

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