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CHAPITRE 49 (part II) : Carmelo Arden Quin à Cuba

Deuxième partie de la chronique de France Delville de cette semaine...

La Havane (suite)

La Biennale de la Havane, considérée comme l’une des plus importantes du monde, fut à à l’origine dédiée à la promotion de l’art contemporain des pays dits du « tiers-monde », mais elle est aujourd’hui élargie aux artistes du monde entier. Son édition première, en 1984, abordait les thèmes du rapport de l’art à la société, à la tradition, à l’urbanisation… En 1984, seules étaient présentées les œuvres d’artistes originaires d’Amérique latine et des Caraïbes, et c’est donc cette année-là que Carmelo Arden Quin obtint le prix Torres-Garcia, mais en 1986, les artistes africains et asiatiques furent également autorisés à soumettre leurs travaux, car il y avait un prix à la clé, ce qui fut abandonné. Je citerai ultérieurement des extraits du texte de Giovanni Joppolo sur la IIe Biennale dans Opus International n°4.

Tableau de Julio Le Parc à la IIe Biennale de Cuba © DR
Arden Quin (de dos) face à des œuvres d’Horacio Garcia Rossi © DR

A la Biennale figuraient particulièrement Julio le Parc et Horacio Garcia Rossi, qui feraient partie de plusieurs expositions d’abstraction géométrique à la Galerie de la Salle, en compagnie d’Arden Quin et de tant d’autres. Horacio aurait une exposition particulière en juillet 88 et serait présent dans le stand de la même galerie à Art Jonction International en 1989.

A quel moment dans la relance du Mouvement MADI – sa nouvelle venue – cette Biennale se situait-elle ? En 1984 avait eu lien l’exposition à l’UNESCO où Bolivar exposait pour la première fois avec Arden Quin, et avec Faïf, qui allait faire partie du groupe des architectes dans « Madi maintenant/Madi adesso ». La même année, Salvatore Presta constituait un Groupe Madi à Gênes avec lui, Liliane Contemorra, et Arnaldo Esposito.

« Madi maintenant/Madi adesso »,

Et à l’automne 1984, c’est le premier acte de l’exposition itinérante Saint-Paul/Como/Torino/Paris de « Madi maintenant/Madi adesso », sous-titrée : Sortie du rectangle. Dans le catalogue duquel Carmelo Arden Quin rappelle ce qui nous apparaît aujourd’hui comme son Ethique : « L’artiste éclairé, de tout temps, réalise sa pensée et exprime sa sensibilité la plus haute dans l’universel. De même l’artiste Madi. Conscient de la nécessité d’un renouveau de l’art construit qui soit le reflet du moment cosmique que vit notre époque, il agit plus que jamais en concordance avec le monde présent. Il fait appel avec toujours plus de lucidité et de rigueur aux grandes lois fondamentales qui peuvent éveiller en lui le véritable sens de l’universel. Pour lui, ces lois sont principalement la géométrie et le mouvement, en se disant que si pour une raison quelconque ces lois venaient à faire défaut, l’univers s’effondrerait ou se figerait dans le chaos et le silence éternels. (…) Elles affirment, ces lois, une nécessité ; car tout se crée, tout devient présence à travers elles dans un courant de beauté humble et ludique. Elles constituent le complexe méthodique et composent le système que nous nous efforçons d’intégrer à la raison historique. (AQ)

Arden Quin et l’architecture

Et puisque la présence de l’architecte Faïf à l’Unesco, auprès des madistes Arden Quin et Bolivar, montrait l’importance de celle-ci pour Carmelo, et puisque ce chapitre est sous l’emblème de la poésie de la Ville, citons le texte d’Arnoldo Rivkin dans le Catalogue de « MADI maintenant/MADI adesso » (1984) : « Etant de ceux que requiert la phrase « notre architecture sortira à tous les horizons » (MADI, Manifeste 1948 1950) : nous nous sommes refusés à attribuer à la forme immatérielle l’absolu d’une transcendance qui trouve dans l’utopie son idéal et qui fait de la production imaginaire le seul paradigme de toute production artistique.
C’est pourquoi en nous écartant de la manipulation des images propre à un démiurge, nous adhérons à une action qui, reconnaissant la diversité des matériaux et des lieux, opère un effort d’articulation dont la puissance affirmative entraîne une « remontée de la matière » au rang de la forme, action propre à la finesse du constructeur.

Nous nous sommes opposés à la soumission de l’architecture au discours de la parole et nous avons cherché le vocabulaire commun à toute réflexion critique du fétichisme de la pensée, toujours prompte à se persuader qu’elle peut oublier l’étagement de ses ordres d’édification.

C’est pourquoi en sachant que la puissance de l’intellect se mesure à sa capacité de fabriquer des lieux, que le « logos » se pluralise dans l’ordonnance d’un « topos », nous nous sommes proposés d’élaborer une résolution des « intentions de la pensée » en choisissant de l’édifier dans les choses muettes. Nous nous sommes aperçus que le monde, étant toujours en position liminaire, réclame l’implantation d’une architecture pour le compléter et l’achever ; implantation qui serait capable de déclencher des vibrations qui en même temps se soutiennent et tiennent l’œuvre dans son milieu.

Edith et Carmelo (un peu caché) au vernissage de la IIe Biennale
DR
Pierre Restany donnant une conférence à la Biennale de Cuba
DR

C’est pourquoi le sens de nos constructions n’est jamais en position originaire, il est à réaliser parmi les modulations d’un paysage où des phénomènes d’une acoustique plastique font leur propre monde en écho, en supplément, en « extra ». Nous sommes persuadés que l’obligation de l’architecture de servir à quelque chose n’affaiblit pas sa dimension esthétique, mais qu’au contraire la progression de l’architecture comme art vers l’ultimité de sa jouissance passe par le bon usage des lieux ainsi que par la douce commodité d’un site.

C’est pourquoi, sachant que tout désintérêt dans l’art n’est que refoulement, contrôlé ou non des « masses d’intention », nous avons privilégié ces intentions parce qu’elles sont des programmes qui commandent les événements et rendent finalement possible la « possession tranquille des choses ». Nous avons constaté que si nos villes se dégradent sans cesse, cette situation est le résultat d’une méconnaissance du milieu qui amène à prétendre qu’il est possible d’ignorer le paysage en le couvrant par une densification artificielle, produit de la chimère des images.

C’est pourquoi la rareté discrète de nos architectures nous oblige à parfaire leur édification et à raffiner l’achèvement de leur usage ; non pas pour qu’elles s’enferment en elles mêmes, mais pour qu’elles puissent répandre les effets d’une acoustique plastique dans un paysage à travers le libre arbitre d’une construction qui introduit le ciel dans son ordre et qui est capable de sortir à tous les horizons. (Arnoldo RIVKIN)

Une pratique porteuse de sens

« Madi maintenant/Madi adesso » à la galerie Alexandre de la salle, Saint-Paul, c’était : Arden quin, Belleudy, Bolivar, Caral, Chubac, Dancy, Da Costa, Faïf, Humblot, Lapeyrère, Sulic, Luquet, Pasquer, Presta, Rivkin, et, en octobre 1984 paraît ce texte d’Alexandre de la Salle dans la revue Kanal : MADI. Dès 1936, à Montevidéo, Carmelo Arden Quin prolonge les formes inscrites sur la surface peinte au-delà des limites du rectangle traditionnel et auquel aucune des grandes révolutions picturales n’avait touché. Dès 1945 il fonde le mouvement MADI : quatre lettres sorties de son nom et qui, dans son esprit peuvent également se lire MAtérialisme DIalectique. Ce mouvement manifestera sa vitalité en Amérique Latine puis en France par des expositions regroupant des artistes parfois différents. Différents mais tous unis par quelques principes communs :

 Abstraction
 Géométrie
 Forme extérieure libre, sortie du cadre
 Surfaces de tous types : planes voilées courbes-ajourées multiples
 Mobilité : ce sera un concept d’une importance primordiale pour MADI, car non seulement l’objet, la sculpture Madi seront animés de mouve¬ments réels, mais l’œuvre murale peinte également. Ce seront les coplanals : plusieurs surfaces (carrés, cercles, triangles) réunies par une structure mobile.
 Utilisation des matériaux fabriqués par l’industrie : bois, carton, toile, mais aussi verre, métal, plexiglass... avec un exceptionnel sens du jeu, de la répartition des surfaces, et de la métamorphose des structures.

Quarante années durent Madi manifestera son dynamisme et étendra ses recherches aux domaines de l’architecture, de la poésie et du théâtre. Héritier de tout un passé, du cubisme, de Mondrian et des constructivistes jusqu’à « Abstraction Création », Madi, comme tous les grands mouvements historiques, s’est aussitôt constitué en force pionnière d’avant garde, posant, par exemple, les prémisses de l’art cinétique et de l’art optique. L’actuelle exposition « Madi Maintenant Madi Adesso » témoignera de la vitalité intacte de la thé¬matique et des potentialités de ce mouvement. Depuis la plus haute antiquité, l’Homme a peuplé le monde de formes sans cesse réinventées, et c’est très naturellement que Madi s’inscrit dans cette pratique porteuse de sens. (Saint-Paul, 11 septembre 1984, Alexandre de la Salle)
A suivre...

Edith Aromando devant des œuvres d’Arden Quin
DR

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