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CHAPITRE 44 (part V) : Beau comme un symptôme par Le Quartel

Fin de la chronique par France Delville...

Durant l’exposition, il était offert au visiteur de formuler sur un bout de papier ce qu’il considérait être « son plus beau symptôme », et de glisser ce papier dans une urne. Parmi les 165 réponses, le Quartel choisit la proposition « juive errante », qui devint le thème du film « Errance », exercice poétique sur un « symptôme » qui est aussi celui de tout un peuple. Le film vidéo de 11’10’’fut projeté le 29 septembre 2007 au cours d’un « Samedi de Carros » au CIAC devant un public, mais surtout devant la dame qui en avait fait la proposition. Tout le monde fut ému, car le « symptôme » en question, c’est-à-dire l’aménagement du Sujet face à un Réel plus ou moins insupportable, était, dans un mi-dit comme il se doit, mis en visibilité, et sur des phrases d’Edmond Jabès telles que celle-ci : « Vingt siècles d’errance ne peuvent trouver asile que dans une parole à la fois si dense et si légère que l’espace l’emporte et que la vague, aussitôt, l’engloutit. Je n’aurai existé qu’en cette parole ». Le clip présenté ici est un raccourci du film, réel oblige.

« La machine à inspirer l’amour » au Miramar

Au Miramar de Cannes, lors des remarquables journées d’études (10/11/12 février 2006) organisées par l’AEFL (Association d’Etudes de Freud et Lacan, Nice) et l’AFORESH (Association pour la Formation et la Recherche en Sciences Humaines, Cannes) sur le thème : « Entre Art et Science : la Psychanalyse », en avant-première, devant « l’Homme aux Rats » de Sylvie Osinski et le cœur de Kô Hérédia-Schlienger, sculpture en forme de cœur et rencontre fortuite de la fameuse « machine à influencer » de Victor Tausk, « qui dicte pensées et actes aux schizophrènes », et de « la machine à inspirer l’amour » d’Alfred Jarry, Daniel Cassini et Georges Sammut avaient présenté la future exposition « Beau comme un symptôme » avec l’idée que : « la clinique se rebrousse en création, alors que c’est bien le délire qui vient offrir à la science des outils de structure et de logique » (Lacan à propos d’Aimée).

Au Miramar, de gauche à droite Georges, Daniel, Kô et Sylvie
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Logique révolutionnaire car acceptée comme « conjugaison de son espace poétique avec une scansion du gouffre ». Le titre, « beau comme un symptôme », suggère que la psychanalyse elle-même est un art, mais que se passe-t-il face aux « suicidés de la société », ceux qui sont en enfer, les Artaud, Van Gogh, pour lesquels Jean-Pierre Winter, durant le colloque, pointe l’inefficacité de la psychiatrie, et même de la psychanalyse ? question immense, et tout psychanalyste, à cette aune, doit se demander s’il est capable d’accueillir l’enfer de l’autre.

Sculpture de Kô Hérédia-Schlienger sur le texte de Lautréamont : « Je suis sale. Les poux me rongent »
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Frontispice d’une édition de Maldoror
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La psychanalyse comme envers

L’idée de la psychanalyse comme envers de toutes les autres approches, médicale, philosophique, sociologique, et même psychologique, m’avait suggéré que l’art de Georges et Daniel était une sorte « d’envers du cinéma » qui aurait pu représenter l’Inconscient. Et j’avais écrit, pour le catalogue : « En 1976, André Akoun écrivait que le cinéma et la psychanalyse étaient nés ensemble, avec le siècle, et qu’il y avait là une coïncidence qui méritait d’être érigée en signe. Et que lorsque Freud, découvrant le secret du rêve, montrait comment celui-ci était un scénario mis en images qui racontait l’histoire du désir et des interdits sur lesquels il bute, avec lesquels il ruse et que parfois il contourne masqué, n’était-ce pas de film qu’il nous parlait ? Et lorsqu’il analyse des mécanismes psychiques comme la projection, cette similitude avec le vocabulaire cinématographique n’est-elle pas métaphorique ? (…) Le rapport de la psychanalyse à l’art fut d’abord un questionnement freudien, puis un engagement de Jacques Lacan, traversé par un Surréalisme osant un « Discours sur le peu de réalité ». C’est au-delà de l’impossibilité d’une induction pointée par Popper que Lacan viendra redéfinir la pulsion comme « l’écho dans le corps qu’il y a du dire ».

Cubomanie de Ghérasim Luca, Saint Georges et le Dragon d’après Uccello, 1986
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C’est à cet écho dans son propre corps qu’est invité le visiteur, à ses risques et périls, mais soutenu par des signifiants qui font borne dans la théorie psychanalytique, et cela d’une manière ludique. C’est dans leur corps même, dans les risques pris, au péril de leur sécurité, que Bataille, Lacan, Luca, et d’autres, ont manifesté que la Parole est une lumière dangereuse, qui pourtant laisse derrière elle sa Lettre, telle une queue d’étoile.
La Psychanalyse, cette case vide qui fait jouer tous les autres champs du savoir, est ici le guide absent/présent d’un parcours en échos... Si les nœuds rendent fous, comme Thomé et Lacan le proposèrent, la parole, en tant que licence poétique, déroule son chant, de Maldoror... C’est là que Lacan fut poète, car il sut douter, et ne doute pas qui veut, il y faut une belle vigilance pour tenir écartés les bords du Manque, qui pulsent, s’ouvrent, tentent de se refermer, en permanence. Mais cet abysse, il faut d’abord lui ouvrir l’oreille, car elle résonne, avant de raisonner... La clinique se rebrousse en création, annonça Lacan à propos d’Aimée alors que c’était bien le délire qui venait offrir à la science des outils de structure et de logique. Logique révolutionnaire car enfin acceptée comme conjugaison de son espace poétique avec une scansion du gouffre. Le mot symptôme apparut en 1538. Deux siècles avant, il s’épelait sinthome. Lacan est revenu à cette orthographe à propos de Joyce, pour dire « saint homme ». C’est que le fou « accepte » d’incarner les forces obscures, le chaos nietzschéen, cela s’appelle le « choix » du symptôme, inconscient. La mise en place d’un refoulement, sur un mode donné, le seul possible pour un individu, y compris pour les artistes audacieux, chercheurs de l’être, qui ne veulent renoncer aux surprises du monde, au prix de leur santé, physique et mentale, au prix de leur vie. Pendant des siècles le mot symptôme évoqua la maladie. Et puis vint la Révolution.

L’exposition « Beau comme un symptôme » est le fruit d’une double révolution : celle de Freud, qui, par l’observation des rêves, du délire, les siens, ceux de ses patients, (à partir de ceux d’une femme, Anna O, Bertha Pappenheim), établit que le symptôme était une parole, c’est-à-dire la vérité du sujet. Cette révolution-là, c’est que le symptôme a un sens, alors qu’au moyen-âge il était considéré comme conséquence d’une malformation de l’humain, de l’être. Un défaut. Freud a fait une révolution à lui tout seul en sortant la folie du ghetto où l’enfermait la terreur, terreur de ce qui sort de la norme – phobie sociale- et Terreur appliquée à celui qui fait peur. Freud a fait dériver l’Histoire vers le respect de ce qu’ex-prime l’individu, de ce qui exprime l’individu, même si ça fait peur. Le « ça ». La parole intime peut effrayer, tant qu’elle n’est pas entendue elle est violente, elle violente. Tant qu’elle n’est pas entendue, elle reste une révolte, un appel à l’aide. D’où la reconnaissance que l’hystérie était la mère de la psychanalyse, qu’on lui doit de la reconnaissance. L’hystérie est l’initiatrice de la parole. Elle apparaît dans le Papyrus Kahoun, 1900 avant JC, et, lorsqu’on envisage l’hystérie de l’hystérie dans son long, on est frappé de constater que chaque auteur qui se sera risqué à son étude paraît hériter du passé l’entier mystère, comme encore inentaméDe tout lieu l’hystérie fait un théâtre, et spectacle de tout, sans feu ni loi.

Théâtre : c’est là, et dans le plus ancien, Sophocle, que Freud alla chercher celui était lui-même le meurtrier qu’il recherchait, Œdipe : à cause de l’inconscient, on ne sait pas ce qu’on fait, mais quels beaux développements, quels drames, quels beaux discours, déchirants, sur la vie, la mort, l’amour… Freud alla beaucoup chercher aussi dans la littérature, la peinture, la sculpture, des preuves de ce qu’il avançait, il était modeste, disait que les artistes savaient tout cela avant lui, et le disaient mieux, bien sûr, comme ces artistes anonymes, à Pompéi, qui avaient peint le Sphinx, ou des Centaures et Pan, la tête de Gorgone, ou léonard de Vinci, la Vierge, l’enfant Jésus, Sainte-Anne, ou Gustave Doré, Don Quichotte, Le Titien, le denier de César, la Madone de Holbein, la Vierge de Raphaël, Luca Signorelli, le Moïse de Michel-Ange et celui de Nicolas de Verdun, et Rembrandt, et Jacques Callot, les malheurs de la guerre, et Böcklin, et le tableau d’André Brouillet représentant une leçon de Charcot à la Salpêtrière, et la Gradiva, et la tentation de St Antoine, de Félicien Rops, où une femme voluptueuse prend la place du Christ sur la Croix, où Freud voit une illustration du retour du refoulé aussi forte que dans la Gradiva, sentiments érotiques écartés par culpabilité, et qui reviennent exploser au grand jour : le moine ascète réfugié près du crucifié, une femme triomphante le fait chuter…

Sculpture de Kô Hérédia-Schlienger porteuse de vidéo
DR

Et Dali : « Il faut que je vous remercie du mot d’introduction qui m’a amené les visiteurs d’hier. Car jusqu’à présent, semble-t-il, j’étais tenté de tenir les surréalistes, qui apparemment m’ont choisi comme saint patron, pour des fous intégraux (disons à quatre-vingt quinze pour cent, comme l’alcool absolu). Mais le jeune Espagnol, avec ses candides yeux de fanatique et son indéniable maîtrise technique, m’a incité à reconsidérer mon opinion (…) Il serait très intéressant d’étudier analytiquement les tableaux de ce genre. Du point de vue critique, on pourrait cependant toujours dire que la notion d’art se refuse à toute extension lorsque le rapport quantitatif, entre le matériel inconscient et l’élaboration préconsciente, ne se maintient pas dans les limites déterminées. Il s’agit là, en tout cas, de sérieux problèmes psychologiques . » (Lettre à Stefan Zweig, 1938). Freud ne fit pas un certain pas dans le vide, comme dirait Aurélie Nemours, et pourtant, lorsque les Etudes sur l’hystérie » furent mal accueillies, un écrivain, Alfred von Berger, en dira : « La théorie n’est en fait rien d’autre que cette sorte de psychologie dont font usage les poètes ». (…) Décider de suivre le parcours labyrinthique des « Variations d’Interprétations », c’est accepter de se laisser pénétrer par des images et des voix, des concepts, des effluves, des grincements, qui réveilleront peut-être, ou éveilleront, d’étranges Chimères...

Vues de l’exposition, photos de Gilbert Baud
DR

L’envers de l’Image, ses Hiéroglyphes, n’est-ce pas encore et toujours la vocation du Musée de les exhiber, comme pour effeuiller, en hommage à Freud, « tout ce papier qui se répandit autour de lui comme du sable autour du sphinx »... et, au-delà de toute littérature, se livrer à une promenade somnambule/éveillée dans les couloirs du rêve ».

Fin.

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