Quelques souvenirs
Depuis sa disparition en 2005, Arman a laissé un vide dans le milieu artistique international. J’ai eu le privilège de faire sa connaissance, lors du « Premier Festival du Nouveau Réalisme » à Nice qui se déroula du 23 juillet au 13 septembre 1961 à la galerie Muratore, et d’une façon festive à l’Abbaye de Roseland, propriété de Jean Larcade, organisateur avec Pierre Restany de ce festival. J’en conserve un souvenir inoubliable, car c’était mon premier vernissage, j’avais vingt ans…J’ai eu vent de cette manifestation exceptionnelle par mes amis, Jacques Lepage et Ben.
Ce fut pour moi une grande interrogation en découvrant pour la première fois des œuvres de Yves Klein, Arman, Martial Raysse, César, Mimmo Rotella, Niki de Saint Phalle, Raymond Hains, Jacques Villeglé, Daniel Spoerri, Jean Tinguely…et une amitié durable avec la plupart des exposants sans omettre Pierre Restany le théoricien du « Nouveau Réalisme » .
L’événement passa totalement inaperçu dans cette bonne ville de Nice. Le public était stupéfait de voir des « œuvres » aussi peu académique et sans cadre en bois doré…La presse locale fit l’impasse… ?
Sauf dans une revue d’un très haut niveau à l’époque « Aujourd’hui Art et Architecture » d’octobre 1961, parue un mois après la fin de l’exposition sous la signature de l’incontournable peintre et poète : André Verdet, qui rendit compte de l’esprit rétrograde du public niçois au début des années soixante : « À Nice, beau scandale à la galerie Muratore avec l’exposition du Nouveau Réalisme présentée par Pierre Restany. Le gros public niçois un des plus rétrogrades de France du point de vue littéraire et plastique, qui en est resté, je ne blague point, à Claude Farrère et à Chéret, n’est pas encore remis du coup de poing qui lui a été décoché par ceux qu’il appelle déjà les blousons noirs de la peinture moderne, et qui ont nom, Arman, Klein, Spoerri, Raysse, César, Tinguely, Rotella, Dufrène, Hains, Niki de Saint Phalle, Villeglé. Cette manifestation ne peut laisser indifférent, elle s’inscrit en réaction contre une certaine déliquescence informelle du tableau de chevalet.
Elle ressaisit le réel banal pour l’actualiser. Ce Nouveau Réalisme s’inscrit dans la formule d’un nouveau dadaïsme. Il chemine parallèlement à une voie triomphale mais très secrète, ouverte par Picasso au cours de laquelle les matériaux les plus usuels, les plus hétéroclites furent « accumulés » dans un but de reconstruction plastique à la lumière du quotidien le plus humble ».
La revue niçoise : Sud Communications n° 113 bis, de novembre 1961, sous la plume de Sacha Sosnovsky, donna le point de vue de Martial Raysse , sur l’état d’esprit en 1961 :
« Sosno : Si l’on excepte le groupe restreint de l’École de Nice, existe-il sur la Côte d’Azur, un milieu pictural ?
– Martial Raysse : Mis à part trois ou quatre peintres d’avant-garde dont l’activité est tournée vers l’extérieur, Nice est une ville qui dérive à 50 ans au large de l’actualité. Évidemment on y discerne l’inévitable cloaque de peintres d’anges, qui malheureusement trouvent encore le moyen de démarquer les plus mauvais « figuratifs » parisiens…vous savez toutes les lignes qui se rejoignent…le puzzle…à l’époque de la physique nucléaire, il faut bien se rattraper à quelque chose…J’ai d’ailleurs pour ces cosmonautes beaucoup d’attendrissement, car avec un bel optimisme ils rejettent toutes les perspectives de l’actualité de l’actualité internationale et retournent directement au folklore, ce qui est très attachant car je voudrais que Nice demeure une de ces villes privilégiées où « La peinture à papa », mijotée et appréciée, se fixera en tradition comme celle des pipes du Jura ou de la dentelle du Puy.
– Sosno : Mais quand même, il existe une critique d’art ?
– Martial Raysse : Oui, oui…il y a deux ou trois humoristes qui ont raté Corot mais, croyez moi, ne laisseront jamais échapper Renoir ».
Dans sa librairie ouverte en 1946, Jacques Matarasso, fut un pionnier en mettant en évidence la création contemporaine. Ainsi en 1957, Jacques accrocha une exposition « Les Minuscules » et parmi d’autres artistes « Les Cachets » d’Arman. Sa librairie, était aussi le rendez-vous des artistes. On pouvait y découvrir des livres Surréalistes et des ouvrages de bibliophilies. Une source d’information non négligeable pour les futurs écoliers de l’École de Nice, de Klein à Martial Raysse, Arman, en passant par Claude Gilli, Bernar Venet et Jean-Claude Farhi.
À la même période, Ben avait ouvert son « Laboratoire 32 » au 32, rue Tonduti de l’Escarène, véritable caverne d’Ali Baba : disques d’occasion, brocante, etc, mais surtout lieu d’information et de rencontres artistiques. Ben restera aussi dans l’histoire de l’École de Nice comme la clé de voûte et un stimulant pour la connaissance et la diffusion de l’avant-garde tant nationale qu’internationale. Il disait : « J’avais pour principe très simple d’exposer tout ce qui me choquait, tout ce qui me paraissait contenir de la nouveauté. » Provocateur, informateur, et animateur Ben a dynamisé la plupart des artistes niçois ; Nice doit beaucoup à Ben….Je lui dois aussi ma rencontre avec Arman et Jacques Lepage…ce n’est pas rien !
Arman collectionneur d’art africain
Arman, m’invita à découvrir son atelier, situé à l’époque au 9, Parc de la Californie ( carrefour Magnan) à Nice. J’étais très fébrile en franchissant la porte de son univers… des œuvres en cours d’exécution, des empreintes réalisées avec des archets trempés dans la peinture… ?
Et parmi des monticules d’objets hétéroclites, des sculptures et masques de différentes ethnies du continent africain…j’étais fasciné et intrigué. Arman m’expliqua les fondements de sa collection : « En 1956, j’allais souvent au marché aux puces, sur le bord du Paillon, qui n’était pas encore couvert. Il y avait de nombreuses boutiques et précisément celle de Bertrand Bottet, lui-même collectionneur. Il était, surtout l’acheteur, pour le sud de la France, de Charles Ratton. Il lui indiquait ce qui se passait partout. Un jour, en me promenant aux puces, j’ai vu un masque Dan ( Côte d‘Ivoire), qui me paraissait très beau. Je l’ai acheté.
À l’époque c’était des sommes ridicules. Des petites sommes ». Arman me confia « qu’il avait reçu le choc des « Arts Primitifs » en 1955, avec deux expositions qui devaient le marquer : l’une organisée par Ratton, « Analogies », qui se tenait à la galerie Arnaud à Paris. L’autre, le 6 juillet 1957, à la « Première exposition internationale des arts d’Afrique et d’Océanie » organisée par Hélène et Henri Kamer au Palais Miramar à Cannes, visite qui confirma son intérêt pour l’art africain. « Aujourd’hui, sa collection figure parmi les plus belles du monde. Elle n’est pas encyclopédique, encore moins exotique. Elle est imprégnée d’une identité forte. Elle a une histoire parce qu’elle a été faite avec amour, passion et générosité » a écrit, le grand collectionneur et ami d’Arman, Jacques Kerchache.(1942-2001). Arman, poursuit : « Quand j’ai commencé à m’intéresser à l’art africain, j’étais attiré par les objets recouverts de matériaux et investis d’un pouvoir magique. Ces fétiches qui témoignaient d’un sens de l’accumulation, me semblaient proches de certaines de mes œuvres par la multiplication des éléments sur toute leur surface et par le pouvoir de suggestion que cela leur donnait. Ma longue relation avec la sculpture africaine en tant que collectionneur m’a permis de mieux comprendre ce que devait être le « bon art ».
Arman précise : « Mon dialogue avec l’art africain est en relation avec la conviction que la création artistique relève d’un fonds commun à l’humanité et que dans la découverte de solutions esthétiques l’élaboration de chef-d’œuvres dépasse les régions, les cultures et fait partie des trésors comparables en tous lieux, à toute époque à ce que l’homme a créé ». Nous en concluons avec certitude que l’art africain a fortement influencé l’œuvre d’Arman, car il a souvent intégré des pièces africaines dans son œuvre en « Accumulant « …voir le catalogue de l’exposition : « Quelques Impressions d’Afrique » à la galerie Beaubourg, Château Notre Dame des Fleurs, à Vence, de juillet à octobre 1996.
Lors d’un voyage en 1977 à New York en compagnie de Jacques et Madeleine Matarasso, nous avons été accueillis dans le building - atelier d’Arman. Lors de ce séjour, il baptisa : Nivèse « Barbarella », en effet avec son casque blond elle ressemblait à l’héroïne de la B.D de Jean-Claude Forest.
Notre dernière visite à Arman remonte à l’été 2001. C’est aussi en compagnie de mon fidèle appareil photographique que nous allons franchir la porte du bel atelier d’Arman « Bidonville ». La maison la plus insolite de la région réalisée par l‘architecte de l’École de Nice, Guy Rottier. Des centaines de tambours de machines à laver sont accrochés sur les murs. Des milliers de téléphones mis au rebut suspendus dans une grotte en béton ? « Barbarella », sera notre guide….Arman, expliquant avec une patience d’anges, les différentes ethnies de sa collection « d’Art Premier » à « Barbarella », Nivèse.
Arman, repose désormais pour l’éternité au cimetière du Père Lachaise…sur la pierre tombale est inscrit « Enfin seul »… Cher Arman, ton œuvre multiple témoignera encore longtemps de ta vie terrestre…La preuve la très belle rétrospective : Arman, jusqu’au 10 janvier 2011 au Centre Pompidou. Un catalogue de 365 pages mémorise cet événement, sous la houlette de Jean-Michel Bouhours, Commissaire de l’exposition.
Reportage réalisé par Frédéric Altmann - Toutes photos F.Altmann pour Art Côte d’Azur