Anny Courtade est une femme d’affaires active, à l’emploi du temps surchargé. Active, elle l’est aussi dans le domaine de l’art, au service duquel elle met son expérience de gestionnaire, en s’impliquant dans différentes structures artistiques. L’art, on le retrouve jusque chez elle, où les murs sont remplis des œuvres qui l’ont émue au fil de ses rencontres.
Dans sa maison du Cannet, qui fut celle de l’auteur Victorien Sardou, Anny Courtade dit avoir accumulé 35 ans de coups de cœur. Là un Matisse, ici un César, là-bas un dessin de Bonnard… L’art est présent partout. Elle parle de sa passion comme un enfant qui apprend la vie, sans jamais vraiment assouvir sa soif du travail des artistes qu’elle admire tant. « Le 18 septembre, nous avons inauguré une chapelle du 12e siècle à Flayosc, entièrement refaite par mon ami l’architecte Jean-Michel Wilmotte. C’est dans la plus ancienne commanderie des Templiers de Provence. Au-dessus se trouve une maison ultra contemporaine… ». Elle est intarissable. « En octobre, je vais offrir au nouvel hôpital de Cannes une sculpture de Bernar Venet de 11 mères de haut, poursuit-elle. S’élevant vers le ciel, elle symbolise l’espoir. C’est un beau cadeau offert aux malades, toujours en situation de faiblesse quand ils sont à l’hôpital, que cette vision esthétique quand on entre dans l’établissement ».
Directrice du supermarché Leclerc du Cannet, présidente de la centrale d’achats du Sud-Est Lecasud, et présidente du Racing Club de Cannes, entre autres mandats, Anny Courtade a propulsé l’équipe de volley-ball féminin au rang de champion de France et d’Europe. Présidente de l’Orchestre régional Cannes Provence Côte d’Azur, administratrice du Château de Villeneuve à Vence et administratrice de la SEAA Fondation Maeght, elle s’implique aussi dans des activités très éloignées de ses préoccupations quotidiennes de femme chef d’entreprise.
Supplément d’âme
« Rien ne me destinait à avoir des affinités avec l’art », confie-t-elle. Fille de mineurs toscans très pauvres venus en France pour « casser des cailloux », Anny Courtade est orpheline de mère à 2 ans et perd son père, qu’elle a peu connu, à l’âge de 16 ans. Dans l’intervalle, elle est éduquée par sa grand-mère. Repérée par son institutrice qui la pousse à poursuivre ses études, celle qui était destinée à faire la bonne à tout faire devint professeur de lettres, avant de découvrir l’univers de la grande distribution lors d’un stage dans un supermarché géré par une amie. « Dans la vie, il faut savoir s’élever. Et cela passe aussi par les rencontres. J’ai eu par exemple la chance de faire la connaissance d’Adrien Maeght, qui est un ami intime depuis maintenant 20 ans, Jean-Michel Wilmotte, Philippe Bender… Beaucoup d’artistes sont devenus mes amis. C’est à leur contact que je nourris ma passion pour l’art ».
Présidente de l’ l’Orchestre régional Cannes Provence Côte d’Azur, elle tient un rôle des plus difficiles : celui de la gestion. « C’est un orchestre magnifique, avec une cinquantaine de musiciens qui mettent en valeur une forme d’expression de l’âme qui reflète l’intime de chacun. Mon rôle consiste à faire en sorte que cela puisse exister. C’est un grand bonheur que de pouvoir donner aux autres un choc émotionnel que l’on partage en écoutant de la musique ou en regardant une peinture. On passe notre vie à livrer des batailles pour tenter de tout gérer. Ces moments sont un vrai supplément d’âme ».
Au Château de Villeneuve, à Vence, elle fait partie du bureau. Mais si elle donne parfois son avis sur le programme artistique, elle sait que les rôles de chacun sont bien définis. « Chacun son métier ! Le mien, c’est la gestion ». Y compris dans la chose artistique. Et si « le hasard profite aux esprits préparés », comme elle aime à le répéter en citant Louis Pasteur, elle clame que dans la vie, il faut avoir de l’audace, que la chance est un alibi car il faut aussi avoir la volonté de faire. « La vie est une succession de portillons. Il faut savoir se remettre en question et être capable de s’ouvrir au changement ».
A la Fondation Maeght, celle qui « aime les aventures » tient aussi un rôle de gestion. Un endroit « miraculeux » où, dans une architecture qu’elle juge intemporelle, voire éternelle, elle peut écouter des heures durant Adrien Maeght lui raconter des anecdotes vécues avec Matisse, Chagall ou Giacometti, qu’il a bien connus. Matisse et Chagall, que l’on retrouve sur les murs de la maison du Cannet. « Un jour, lors d’une réunion du bureau du Château de Villeneuve, Sœur Jacques Marie, qui avait été modèle de Matisse, avait un air triste, se souvient Anny Courtade. Il lui manquait des financements pour terminer les travaux de la nouvelle aile de la Chapelle Matisse, à Vence, où sont aujourd’hui exposées les chasubles et les maquettes des autres projets. Elle voulait vendre 7 œuvres de Matisse mais à quelqu’un qui ne ferait pas de spéculation. Je lui ai dit que j’avais trouvé quelqu’un, qui s’engageait de surcroît à laisser les œuvres en exposition pendant 3 ans au Château. C’était moi ».
Elle ne se vit pas pour autant comme un mécène. « Je m’occupe simplement des choses pour qu’elles puissent perdurer ». Un exemple de rencontres qui ont jalonné la vie d’Anny Courtade. Rencontres avec les œuvres, aussi. « Mon premier tableau, c’est ce Picabia que j’ai acheté il y a 35 ans, à crédit, alors que j’étais fauchée comme les blés. Mais je ne pouvais pas vivre sans ce tableau ». Arman, César et Viallat achetés à la vente de l’Ecole de Nice, une collection de Le Basque, un buste de Mayol, des chevaux datant de 1 000 ans avant J.C., Hambourg, Picasso, des Gasirowski et un lustre du 18e siècle dans la cuisine… « Ici sont rassemblés mes secrets, mes souvenirs de voyages ».
Partager le gâteau
Anny Courtade est aussi une collectionneuse de livres. Elle en possède des rarissimes. Fan de Saint-Exupéry, elle a acheté aux enchères une empreinte originale de la main gauche de l’auteur. Elle la regarde comme un trésor. « Je la garde pour mes enfants. L’art, c’est le partage de l’émotion. Cela n’a aucun intérêt d’être devant un gâteau et de le manger tout seul ». Dessins de Miro et textes de Prévert, exemplaires originaux du Petit Prince, la Bible illustrée par Chagall, une correspondance de Pierre Bonnard et Giacometti… « Ces moments d’émotion à la vue de ces chefs-d’œuvre valent toutes les expositions du monde. » Ici, une tapisserie d’Aubusson achetée à crédit, qu’elle avait roulé dans son deux-pièces en attendant d’avoir la grande maison qui lui permettrait de l’exposer. « Il fallait pouvoir vivre des rêves… ». Là une collection de dessins de Derain, Marie Laurencin, Bonnard, Cocteau… « Les dessins, c’est mon grave défaut, il y en a partout ! ».
Très éclectique dans ses goûts, Anny Courtade a décidé de regrouper ses œuvres dans un appartement sur La Croisette, au design très zen et contemporain imaginé par Jean-Michel Wilmotte. « Tout l’inverse d’ici ! Mais la vie n’est-elle pas faite de contrastes ? » Anny Courtade ne revend jamais rien. Elle achète parce qu’elle a été émue. Et son nouveau terrain de jeu, c’est la photographie noir et blanc, « un mode d’expression très beau ». Elle en possède de Chanel, de Saint-Exupéry… « De toute façon, je n’ai plus de place sur les murs pour accrocher des tableaux ! ».