Ahmet Güne ?tekin ne peint pas, il dé-peint.
Une première couche noire uniforme va être retirée en grande partie, retravaillée comme une broderie, presque point à point. Le fil de peinture noire qu’il garde est modulé, travaillé comme un orfèvre, redessiné par sa main. Il crée une texture unique où le moindre filet est ouvragé, façonné.
Sa peinture est volontairement lente, attentive, imperturbable, il fait penser à Roman Opalka écrivant inlassablement ses chiffres les uns après les autres, en les récitant.
Il y a quelque chose aussi du domaine de l’écrit dans ce travail, ses calligraphies pourraient être considérées comme des textes sans suspensions où le sens se délie progressivement, à la vitesse de l’écriture, beaucoup plus lente que celle de la pensée. Ce qui donne à celle-ci le temps de s’élaborer, de se complexifier et pourquoi pas, de s’échapper parfois. Elle est néanmoins appelée nécessairement à revenir sur la toile, à se concentrer au bout des doigts qui n’ont pas un instant quitté le contact avec l’outil et la toile.
Des courbures, des angles aigus ou des verticales, des surfaces calmes, d’autres vibrantes, les formes de Güne ?tekin s’élaborent dans un enroulement, dans un enchevêtrement où la couleur s’insère après coup en trouvant naturellement sa nuance, ses ruptures de tonalité, ses accentuations.
Sa palette est resserrée : des rouges, des bleus, des jaunes, des orangés.
Les couleurs viennent souligner, désigner ou parfois cacher des formes qui ne se révèlent pas d’emblée. L’artiste nous oblige à nous éloigner, à effectuer un pas de danse avant arrière devant ses toiles.
Fascinés par son travail de précision, presque de couture, nous nous approchons pour en apprécier la finesse, mais il faut faire plusieurs pas en arrière pour embrasser l’œuvre complète et apercevoir ce que l’artiste a dissimulé. Maîtrisant l’art de tromper, de manipuler notre regard, il joue et se joue de lui.
Un ou plusieurs soleils sont présents dans ses toiles, comme pour les éclairer. Des soleils aux couleurs plutôt froides qui n’irradient pas à l’extérieur, mais plutôt à l’intérieur d’eux-mêmes.
La vision de cosmos, de mondes qui se rencontrent, d’univers qui se déploient, s’impose, mais le propos de l’artiste n’est pas là. Ses thématiques sont ancestrales : mythes antiques grecs, panthéons romains, égyptiens... Il a passé aussi beaucoup de temps à visiter les villages les plus reculés de son pays pour recueillir des légendes yezidis, kurdes ou turques.
Certaines de ses œuvres font penser aussi aux tissages des kilims, ancêtres des tapis dont chaque dessin, chaque forme ou couleur a un sens, communiquant quelque chose de l’ordre de la culture, de la beauté du monde.
Ahmet Güne ?tekin est un raconteur d’histoires. Chacune de ses œuvres nous parle du "conflit entre l’obscurité et la clarté" où son imagination "dérivée des ténèbres, cherche la lumière".