En ce moment de nouveaux chefs-d’œuvre sont probablement produits, connus ou inconnus, ce qui veut dire déjà repérés ou au contraire pas encore, dans une sorte d’au-delà du temps, et des galeristes auront à cœur, comme tout au long de l’Histoire, de les dévoiler, ou déjà d’y insister, c’est leur rôle. Mais l’exploration d’un « en-deçà » de l’Histoire a aussi ses exigences, qui sont de fixer les recoupements de ce qui a déjà eu lieu, ne fait plus que se « réaliser », afin que soit tissé le panorama d’un monde, et c’est plutôt à cela que je m’emploie en ces pages : il serait tellement dommage de laisser dormir, ou de ne pas relier entre eux - de manière signifiante – les éléments d’un magma de ressources qui attend, pour sa compréhension, en divers lieux, l’amateur d’art.
Dans cette histoire des Alpes-Maritimes, appréciée sous d’autres cieux, des artistes aujourd’hui prennent leur place sous nos yeux. Des artistes que l’on croise depuis longtemps, et puis, un jour, on se dit : tiens, ils ont tenu bon, ils exposent de plus en plus, on écrit sur eux chaque jour davantage, et des gens avertis pointent dans leur œuvre une qualité, du sensé, de l’invention, de l’esthétique…
C’est l’insistance qui fait l’œuvre, même pour les œuvres-éclair comme celles de Rimbaud, Radiguet, Arthur Cravan, Jacques Vaché, et quelques autres… Long ou bref, le parcours est une ellipse dont le dessin livre son dessein. Aller d’un point à un autre, sans savoir clairement ce que sont ces points, mais il faut leur obéir – point d’origine, point d’accomplissement - n’est-ce pas cela le désir inconscient de l’artiste ? Plus il produit, plus son intention secrète – secrète à lui-même avant tout – ne se dévoile-t-elle pas ? Qui ne dit ni ne cache mais donne à entendre est l’intitulé de l’oracle de Delphes, que l’on entend résonner au passage dans le très beau texte, cité plus bas, de Tita Reut sur les Baous de Salvatore Parisi.
Céramique et poésie
Ici le recoupement se fait entre un céramiste/sculpteur - Salvatore Parisi, formé par des maîtres-céramistes, puis inventeur d’une langue intime puissante - et puis des écrivains, critiques d’art, conservateurs de musées, parce que le potier premier sut dépasser la tradition, la technique, l’artisanat, pour accomplir une œuvre flamboyante dont le langage nous touche très profondément dans la mesure où il joue avec les éléments fondamentaux dont sont constitués la Nature et l’Humain. Que justement cette œuvre relie d’une manière infiniment alchimique. Et c’est – le recoupement qui se fait - lorsque, pour ses « Tours-Poèmes Baous et Rious », Salvatore Parisi demanda des textes à Tita Reut, Raphaël Monticelli, Michel Bohbot, moi-même, ainsi que des dessins à Armand Scholtès.
Les « Tours-Poèmes » faisant référence à une œuvre chinoise de la dynastie « Han » (approximativement de 206 avant JC à 200 après JC), qui était une boîte à onguent sur trois pieds avec un couvercle portant symbole de montagne, par opposition à l’idée de cascade. Il s’agissait donc du débat temporel/intemporel, cher aux philosophies orientales… et à Salvatore Parisi. Ce que Jean Forneris (Conservateur au Musée des Beaux-Arts Jules Chéret, Nice) exprime particulièrement bien en pointant chez celui-ci des « pérégrinations physiques ou mentales, mobiles ou immobiles ».
Salvatore Parisi par Jean Forneris
Et dans son texte « Nos mémoires arpentées » dont un extrait illustre la plaquette éditée par les Editions stArt à l’occasion de l’exposition du céramiste à la Fondation Sicard Iperti (Vallauris, mai 2011). Le texte lui-même commence avec une phrase d’Empédocle, le philosophe, ingénieur et médecin grec du Ve siècle AC qui se jeta (dit-on) dans l’Etna :
« Double, ce que je vais vous dire : tantôt l’Un croît pour seul être, De plusieurs qu’il était, tantôt il se sépare et devient pluriel, d’un qu’il fut ». (Empédocle)
Et voici le texte entier de Jean Forneris : « Le parcours créatif de Salvatore Parisi – à la fois diversifié et d’une singulière cohérence – illustre de manière exemplaire l’antique lien entre le métier et la « forme », la « fabrication » et l’art, là où a résidé à l’orée des Temps Modernes, la mutation de l’artisan en artiste, du « manuel » en « démiurge ». Parisi a singulièrement brouillé les frontières entre l’artisanat et l’art, débat fondamental.
En effet, son apprentissage se fait en relation étroite avec l’élément terre, avec les arts du feu dont il décrypte peu à peu les moindres secrets, cuissons, glaçures, couleurs. C’est ainsi qu’il débute, dès 1973, à Vaison la Romaine dans l’atelier de Benoît Blanc. Il ne s’agit pas d’abord de se complaire dans une certaine délectation esthétique, si fascinante soit-elle. Mais au contraire, à pleines mains – au sens propre comme au sens figuré – Parisi affronte l’argile, sa malléabilité, ses infinies possibilités et ses pièges aussi. Ne s’est-il pas alors approprié, à sa manière, les quatre éléments de la « physique » grecque, les arts du feu – saluons ici le penseur Empédocle pour lequel toute chose est composée de ces quatre éléments – unissant en un même souffle Eau – Terre - Air – Feu ?
Parisi n’a-t-il pas des origines siciliennes, à l’instar d’Empédocle d’Agrigente, aux prises avec les forces chtoniennes, et dont la biographie mythique nous dit qu’il se précipita dans le feu divin de l’Etna, abandonnant au bord du cratère ses propres sandales ? Toujours à l’orée du mythe, la formation de Parisi n’est pas très éloignée de l’idéal des anciens « compagnons » ; le compagnonnage, société initiatique de solidarité et d’apprentissage, à condition d’être « pensée » comme référence « imaginaire », rend bien compte de l’idéal de formation selon Parisi, une formation au plus près de la matière, au plus près d’une compréhension quasi-bachelardienne de celle-ci.
Fort de l’attribution d’une bourse en 1977 Parisi perfectionne son art dans l’atelier de Paul Badié à Vence, l’année suivante il met en place une animation murale en céramique de 30 m2 à Gardanne avec Henry Baviéra. Sa création s’affranchit des formes traditionnelles, des références « utilitaires », ainsi espace et couleurs s’affrontent en un dialogue qui transcende largement tout à la fois peinture et sculpture. Homme de dialogue et d’échange, Salvatore Parisi aime ouvrir son atelier à d’autres artistes. Ensemble, des créations sont nées à la suite de collaborations fructueuses avec Arman, J.C Blais, H. Baviéra, César, Courtright, J. Diffring, A.Di Racca, J.P Gault, B. Pagès, M. Piano, Seund Jha Rhee, R. Soardi, M. Waite. C’est ainsi que notamment il a œuvré sur des compressions – céramiques « Pour César » ( 1990 ) exposées à la galerie Beaubourg à Vence, Marianne et Pierre Nahon, d’autres pièces ont rejoint les collections du musée national de céramique de Sêvres et du musée Magnelli de Vallauris.
Les formes vont s’engendrer – véritable genèse – au gré d’une évolution libre et cohérente à la fois. Les réalisations initiales, vases, puis bouteilles s’affranchissent des stéréotypes. Aussi à la fin des années 70 naissent boules, sphères, œufs cosmiques, créations débarrassées de toute référence utilitaire. De multiples et complexes manipulations génèrent de véritables métamorphoses, insufflant la vie à une matière prétendument inorganique : d’où depuis 1980 prolifération des pains, graines, gangues, éclosions, éruptions, autant de références plus ou moins explicites à Empédocle d’Agrigente. Les éclosions constituent une sorte de clôture entre la sphère et les stèles à venir. De 1982 à 1989 les stèles vont jouer un rôle majeur tant par leur qualité plastique que par leurs potentialités tendues vers une future activité picturale. La stèle ne se présente-t-elle pas sous la forme d’une feuille en train de se déployer ?
Incisée – porteuse de signe, voire signe elle-même – elle devient faille. Cette cassure, au début des années 90, véritable déchirure, évite toutefois la rupture. L’œuvre sur la faille génère portes et passages. Quand la stèle est coupée de profil ou latéralement, elle devient alors « fragment de mémoire » ; elle est ainsi porteuse de toute une histoire, tant celle des pérégrinations physiques ou mentales, mobiles ou immobiles de Parisi, que celle de la Terre elle-même, avec ses tumultes, ses morcellements, ses catastrophes, une histoire immémoriale qui l’a façonné. Au-delà de ses bien réels voyages en particulier en Asie – n’est-il pas le voyageur immobile, adepte du « mouvement de l’homme immobile » décrit par Bachelard dans sa « Poétique de l’espace » ?
Ce travail sur la terre – en dialogue avec la Terre – est répétons-le essentiel. Œuvrer sur la terre, c’est contempler tout un vaste paysage, là où le microcosme synthétise énigmatiquement le macrocosme. Le fragment est secrètement porteur de la totalité. C’est ainsi que les stèles et leurs multiples variations constituent une ouverture sur l’univers et sur l’homme lui-même, sur l ’infiniment petit et l’ infiniment grand, en un mouvement quasi-pascalien. Stèles et plaques, à
leur façon, racontent l’histoire d’un homme né de la matière et dont le destin est d’y retourner. Salvatore Parisi est un vrai « terrien », il est celui qui a pleinement conscience d’appartenir à la Terre, au Cosmos, grain de poussière ; en cela il est bel et bien « terre à terre », nonobstant de la signification péjorative de cette expression ; ou plutôt il donne ses lettres de noblesse à cette osmose terrienne qui loin d’être seulement au ras du réel, de la Terre, n’exclut pas tant s’en faut le regard élevé, arpenteur, ce qui est « vu du ciel » et qui donnera forme à ses cartographies où s’affrontent cartes bien réelles et topologies imaginaires.
Le voyage – thème éminemment récurent de l’artiste – est conçu comme un parcours initiatique ; il est une rencontre entre notre expérience quotidienne, son espace banalisé, et l’incommensurabilité d’un espace intérieur, d’un espace spirituel. Cette double face de l’arpentage, tant physique que psychique, parcourt toute son œuvre, depuis ses premières réalisations autonomes, issues de l’art du feu, jusqu’aux récentes cartographies-collages.
A partir de 1996, après une année sabbatique en Inde, ses recherches picturales vont donner forme à un travail particulièrement foisonnant – utilisation de technique mixte, papier, bois, sable – des créations justement appelées Palimpsestes tels quelques grimoires, ou quelques fragments d’une archéologie fantastique, fragments arrachés à la terre, telles quelques cartes imaginaires, promesses de voyages non moins imaginaires.
S’appropriant certaines techniques surréalistes, Parisi devenu peintre, réalise dès 2000 de grands frottages, à partir des accidents d’une rue pavée ou d’un sol d’atelier, le hasard engendrant des formes sur lesquelles l’imagination peut se projeter et lire objets et figures. Parallèlement, ses cartographies, déjà évoquées, agrègent cartes bien réelles, d’abord bien identifiables et frottages au riche chromatisme.
Ce travail sur la couleur n’est d’ailleurs pas sans évoquer les expériences d’irisations propres aux émaux de ses terres cuites. « Déréalisées », devenues fantastiques, ces cartographies paraissent issues de quelque laboratoire, de quelque observatoire astronomique, et nous invitent à parcourir de fabuleux et fascinants espaces. Volontairement anti-figuratif depuis ses débuts, afin d’éviter le narcissisme, dépasser les apparences et traverser le « Voile d’Isis », Parisi renoue récemment avec la représentation du corps, trop souvent galvaudée par le pouvoir politique et religieux. Actuellement, ce travail sur le corps se concrétise particulièrement en des frottages-papiers – empreintes anatomiques - et en céramique, par des personnages hiératiques, « sismographies digitales » monolithiques, pourtant précaires, indéniablement apparentées aux stèles – le « totem » n’est-il pas l’image projetée de soi-même ?
C’est ainsi que la figuration, annoncée par Salvatore Parisi dès ses débuts vers 1980 d’une manière inconsciente, prouve en lui que toute discipline, toute ascèse, est un mouvement d’éternel basculement – entre activité figurative et sa propre négation – véritable ressac artistique d’une marée fructueuse, véhiculant connaissance de l’art et de sa propre pratique, et re-connaissance de son propre-moi ». (Jean Forneris, Nice – Juin 2002).
Parcours d’un inspiré
Ce texte de Jean Forneris explicite pas mal les diverses étapes du parcours de Salvatore, qui débute en Lorraine, où il est né en 1953, puis en 1973 dans l’atelier de Benoît Blanc à Vaison-la-Romaine. En 1977, boursier d’état il se perfectionne avec Paul Badié, Tourrettes. En 1978 il assiste Henri Baviéra pour une animation murale en céramique de l’une de ses pièces à Gardanne, et aussi le céramiste Hans Spinner pour un mural de 70 m2 en lave émaillée sur une œuvre de Valerio Adami dans les ateliers de la Fondation Maeght. En 1979, exposition personnelle : « De l’organique au spirituel » à la FIAP Paris. En 1980, il remplace Paul Badié dans l’atelier de Tourrettes sur Loup, et en 1981, exposition personnelle : « Terre Vivante » chez Roger Collet à Vallauris. En 1984, exposition personnelle : « Cassure », au Château de Tourrettes-sur-Loup. En 1985, exposition : « De Terre, d’Eau et de Feu » à la La Malmaison, Cannes. En 1990 il est lauréat du prix Suzanne et Georges Ramié à la XIIe biennale de Céramique d’art à Vallauris, et entre dans la collection permanente du Musée municipal Magnelli de Vallauris. En 1990, exposition personnelle : « Fragments d’une Mémoire » à la Galerie AO, Antibes. En 1990 : « Foire internationale d’art contemporain » Art Jonction Nice / Galerie AO Antibes. En 1990-1992 acquisitions de Trophées, sculptures, par les Produits Roche, Paris. En 1995 : « SAGA » au Grand Palais, Paris avec les Editions Laurié Dubé. 1995 : Collaboration avec Alain Di Racca pour un mural de lave émaillée de 6m2 au Cimetière de la Sine, Vence. En 1998, exposition personnelle : « Palimpsestes » à la Chapelle des Pénitents Blancs,Vence. En 1998 : « Expression Terre », 10 artistes céramistes au Château de Tourrettes-sur-Loup. A la même époque, exposition au Musée d’art moderne Pusan, Corée du Sud. En 2000, exposition : « Objet de l’art – Art de l’objet » à la Galerie Beaubourg de Marianne et Pierre Nahon, Vence. En 2002 : XVIIIe Biennale Internationale de Céramique de Vallauris. En 2005 : « 50 ans de céramiques contemporaines françaises » au Musée National de la Céramique de Sèvres. En 2006 exposition à la Galleria Gagliardi de San Giminiano-Taormina, Italie, et exposition personnelle « Parisi in Paris » à la Galerie XXI de Michel Blachère, Bd Raspail, Paris.
En 2009 exposition personnelle « Baous et Rious » à la Galerie Le Hang’art de Jacques Fromanger à Draguignan. En 2000, achat par l’Etat de deux sculptures pour le Musée National de la Céramique de Sèvres. En 2003, acquisition de sculptures par Pierre Staudenmeyer / Mouvements Modernes – Néotu / Paris. En 2011, exposition personnelle : « Chemins de Terres » à la Fondation Sicard Iperti, Vallauris. A collaboré avec des artistes comme Arman, Baviéra, Blais, césar, Courtwrigt, J. Driffing, Di Racca, Gault, Bernard Pagès, Seund Ja Rhee, Piano, R. Soardi, Waite.
En mai 1990, dans son atelier de Tourrettes, j’avais eu le plaisir de faire une interview filmée de Salvatore, et de ce film d’une demi-heure j’ai extrait le clip de 7mn qui accompagne ce chapitre. Et sous le pseudonyme d’Avida Ripolin, j’avai tiré de cette interview un texte que voici, sous le titre « Le temps cherché (et retrouvé) » :
Salvatore Parisi par Avida Ripolin
« Qui suis je ? Si l’on établissait le catalogue des œuvres nées de cette enquête, il couvrirait probablement la totalité des productions humaines. Mais toute définition défie les lois de la série, il en faut pour preuve celle que Salvatore Parisi donne de lui meme : « Je me sens minéral, affirme t il. Par ailleurs la matière originelle de l’écorce terrestre lui apparaît comme organique. L’organicité du minéral, la minéralité de l’organique, c’est ce qu’il semble vouloir unifier dans son travail....
Ses ancêtres appartiennent à la Sicile, terre de fusion solidifiée les montagnes ne sont que des vagues solides… - terres de granites, de roches ignées, plutoniques, microlithes, cristaux, terre plus visiblement porteuse d’empreintes qu’aucune autre. Sa quête des origines le pousse à inciser, couper, reconstituer ce sol matriciel, cette poussière d’étoiles, à s’en nourrir certaines peuplades ont mangé de la terre… Ses conglomérats de matière reconstituée, Salvatore les tient contre son oreille tels des coquillages, pour les entendre respirer, craquer, pour en percevoir les mouvements intérieurs, les pulsions, l’usure, la vitesse, l’énergie, la chaleur, la fraîcheur ... Il les assemble sans préméditation, les doigts simplement attentifs, pour qu’ils lui révèlent l’histoire universelle, sa Genêse, l’épopée du Temps. Alors le bois réchauffe l’argile, le dit raccole le non dit, le liquide érode le solide, l’aquatique se fige en stalactite, le blanc évapore le bleu ... Voyage au centre de la Terre. Le carré se consume dans le rond, tout indique les transmutations, la trace, l’impulsion : cubes ou parallélépipèdes ne sont qu’ébauches de menhirs, virtualités d’érections, l’homme cherche à s’élever, comme la montagne. Parisi se sent minéral, non pas porcelaine lisse et civilisée, mais trace métamorphique, la roche- mère modifiée par un feu allumé de son propre gré, macrolithe éruptif, la lave n’est pas seule à surgir, aussi ce projet crépitant d’aller jusqu’au bout de moi même. Pour Salvatore Parisi, c’est s’engouffrer dans l’infiniment petit. La mémoire du marbre, ou de l’yeuse, est sa propre mémoire, approchée en aveugle, les doigts en éveil. D’ailleurs, aux doigts virtuoses des mal voyants, il lui arrive de tendre des gangues, des météorites manufacturés....Sur ces sédimentations mimétiques, Parisi inscrit maintenant des lettres ëgarées pour dialoguer, comme le laboureur célèbre avec son fer les épousailles de l’inné et de l’acquis. Le parallèle entre nature et esprit se synthétise dans des objets à histoires, minés, usés,ou cendreux, ou à éclipses, des objets qui cherchent à rythmer impulsivement compulsivement l’Histoire Naturelle d’un univers. C’est l’homme, joyau lui même qui doit extraire de la gangue, s’échapper par la coupure, l’incision faite au matériau commun ... Aller jusqu’au centre de son propre magma, cest ce que veut Salvatore Parisi, archéologue de lui¬-même, et de son ïle, silice et feu, immobilité éclatée… »
Salvatore Parisi par Tita Reut
Et maintenant les Tours-Poèmes dans lesquelles, rappelons-le, des textes et un dessin ont été glissés par quelques écrivains et un plasticien, à chaque fois en quatre exemplaires « faits à la main » sur papier fibre-coco de Pondichéry. A commencer par Tita Reut en 2002. Voici son texte :
Ouvrage à l’oxyde
La veine
la bride
suspendue
mais née d’une main¬
qui phraserait
La fausse bouche
deux ou plusieurs doigts
ainsi la langue
posant les marques
d’autres mots
Cet ourlet presque défait
léger trouble¬
une craquelure
venue de cette intempérie :
la mise à mort du blanc
La terre montée comme une balustrade
donnée vieille par l’acte astringent
la chaleur
Le feu qui éprouve la forme
et obsède les vrais silences du pigment
Durcir pour tenir et contenir
Ce qui vient gésir à la surface
peut être le regard
L’assiette qui tend l’image
cette autre gourmandise
Le vase
vêtement éprouvé
pour le fragile
protégeant dans son ventre
ce qu’à l’étuve il cède
Avoir perdu pour enceindre
Cet objet la caverne
où rien n’est résolument
où rien n’est englouti
Le creux
le sombre
où se fabrique la voyance
Parure la. solitude
pour la tête qui va piocher son semblable
Le clou de l’ennui
pour se quitter enfin soi même
Petite indigence
une humilité du recoin
Il ment
pour autant qu’il cache
et nous ajoutons le geste
l’ouverture
chaque fois l’audace
quand nous y allons
Lecture
intromission
dans le chacun
¬par l’apparence
du verbe
Quelques encres
tirées du noir
¬pour plus de noir encore
Et saillir
jaillir
tant de 1a boîte
qu’au sens
La direction vers l’œil
qu’il trempe
L’écrit
enfin sucé
comme il fut :
un état
de la liste intérieure
prélevée¬
dans le lexique
d’un moment
(Tita Reut, 28/10/02)
Salvatore Parisi par Raphaël Monticelli
Voici maintenant le texte de Raphaël Monticelli :
Un grondement de terre
depuis la cime roule par
flancs et gorges les rocs
graviers et sables
emporte à travers
combes cluses et rideaux
les feuilles et les herbes
ronge les écorces le long
des langues de terre par
creux grottes et gouffres
se perd et resurgit
sang sève qui court s’instille
diffuse s’étale par veines
viscères artères dans les
chairs et les os
Je suis homme et terre
mêlés viscères et glaise
homme et terre mêlés
arbre et terre de mes
mains homme terre et
femme mêlés terre et
souffle les oiseaux
s’éparpillent des nids qui
tremblent un rapace
endolori tourne autour
des cimes de verre
émiette l’aigu du ciel
Je suis homme des
vallées, homme des eaux
des terres façonnables
malléables boues et
argiles mêlées sables
homme des éléments
mêlés quand terre et eau
porteuses d’air se
donnent à la langue
danseuse du feu homme
des eaux courantes
quand elles parviennent
du dehors et du dedans
apaisées au sein des
vallées elles portent avec
elles l’histoire des
hauteurs d’où elles
dévalent homme des
eaux fertiles dans des
bruits mêlés de bois
rompu de rocs brisés de
sables en fusion et de
cœur battu
Je suis homme de terre
homme et femme mêlés
sous mes doigts homme
et femme mêlés
entrelacés la glaise
endormie homme et
femme mêlés entrelacés
brisée s’éveille à mon
souffle homme et femme
mêlés entrelacés brisés
aspirés le retient et
l’apaise homme et femme
la peur la peur enfin
apprivoisée dans une
étreinte de terre
Salvatore Parisi par Michel Bohbot
Voici enfin le texte de Texte de Michel Bohbot, intitulé « Baous et Rious »
I / Au commencement étaient la matière et le feu ; puis vint le chaos et les premiers soubresauts ..
II / Univers des ébullitions et des incandescences, des pressions et grandes déflagrations. Magma flagellé et malmené.
Rude traitement des formes.
III / La matière courroucée se révolte et explose. Reliefs agressifs et rebelles. Algèbre. Vertige ou grand désordre ?
IV / La vase gluante et étanche forme des plis plus agés que la vie elle-même. Le feu et l’eau dans un même combat inégal.
V / Patience lente de la nature. Respiration tantôt paresseuse, tantôt sauvage et brusque. Volumes puissamment bombés, larmes et parures de pierres.
VI / La lourde masse gonfle comme une ancienne cicatrice, comme une miche de pain qui a trop cuit, fière de montrer son ventre malgré les nuages bas…
VII / Terre incandescente, comme martelée sur une enclume elle-même chauffée à blanc..
VIII / L’éventail entier des gris et des bruns s’y étale.
Palette géante couverte de lichens et de mousse rase.
Invitation muette à mettre un nom sur ce décor puissant d’avant l’histoire et la mythologie
Salvatore Parisi vu par Armand Scholtès
Quant au dessin d’Armand Scholtès intitulé « Fragment 2011 », qui est l’un des quatre logés dans les « Tours-Poèmes », il a été exécuté avec crayons et pastels à même le papier fibre-coco de Pondichéry fourni par Salvatore.
Mais il faut finir avec un étrange « Baou », que Salvatore commente en ces termes :
« Dans cette œuvre, j’ai traduit en volume un Baou se rapprochant de l’œuvre de Courbet L’Origine du monde. J’ai mis en évidence le premier plan plissé comme dans la fameuse œuvre peinte tant décriée à son époque. J’ai gardé la même construction avec le premier plan, le bassin du modèle femme coupé en trois parties et un raccourci en plongée sur la poitrine en arrière-plan. Ne dit-on pas que le corps nu de la femme est un paysage, d’où le sujet de ce baou ». Si par ailleurs il déclare : « Créer, c’est saisir l’insaisissable entre le temps et l’espace », nous pourrons particulièrement appliquer la phrase à ce Baou-là, et mentionner que ses œuvres et lui-même sont photographiés par sa compagne Jane Ricciarini.