Le Pavillon russe avec Grisha Brusnik nous présente un monde (ancien ?) où le symbolique (l’aigle, le Chef, le puissant) écrase tout, spécialement les foules abêties. C’est tout blanc, des centaines de figurines poings ou mains levés dans la même soumission, prêtes à se battre contre un symbole désigné ou pour une cause absurde.
Les photographies de Dirk Braeckman au pavillon belge sont émouvantes et superbes. Travaillées à la chambre noire, ce sont des images très sombres où des nuances infinies de gris dominent. On y distingue quelque chose, un détail, avant que le sujet ne se révèle entièrement : paysages, jambes féminines, tapis, etc.
Dans le Pavillon israélien, des étoffes, des tapis, des moquettes arrachées aux murs et aux sols ont laissé leurs empreintes : taches de couleur pâlies, dessins géométriques, rayures, zébrures à peine visibles, zones indécises, etc.
Traces d’un temps passé, d’un abandon, de choix anciens, d’esthétiques dépassées... À l’étage, un lancement de missile comme gelé par une matière ouatée.
Arsenale
Chaque année le gigantesque arsenal des galères de la Venise reine de la Méditerranée est plus pimpant, plus adapté à recevoir des œuvres d’art venues de de tous les continents. C’est toujours un enchantement de déambuler dans cette immense bâtisse de briques où on découvre toutes sortes d’amas d’objets, d’installations, de vidéos, etc., et même des tableaux.
On peut y voir toutes sortes de propositions plastiques : des accumulations de ballots de laine de couleurs différentes sur des dizaines de mètres carrés, une grande tente ajourée où l’on peut se reposer, s’allonger un peu à l’écart des autres visiteurs.
L’écriture-couture est un thème récurrent de cette Biennale : le fil, la bobine, la broderie, le tissu, la voile, la toile renvoient à quelque chose dans l’air du temps, un besoin de recoudre, de retisser des liens...
Ces regards singuliers sur le monde, montrent parfois des chemins de traverse loin des autoroutes de la pensée commune.
On passe aisément de la déception à l’absurde, comme dans cette petite vidéo d’un homme aiguisant le couvercle de son Mac pour couper son pain, ou cette maison où il pleut dedans alors qu’autour il fait sec.
Autres lieux
« Intuition » au Palazzo Fortuny
Une exposition où l’intuition doit remplacer la déduction, la réflexion, ou la chronologie de l’histoire de l’art. Sur les trois niveaux de l’immense palazzo, des œuvres fortes, soigneusement choisies.
Des statues menhirs (pierres gravées de plus de trois mille ans) au cercle de Kapoor, tous les registres anciens et post-modernes sont présents : gestes simples, taches sur toile (très réussies), tenture dorée composée de bouchons de métal pliés, table monumentale couverte de boules d’argile (une œuvre à laquelle chacun peut contribuer en ajoutant la sienne), etc. À la fin du parcours, on circule dans un labyrinthe du silence (habité d’objets chamaniques).
Humoristique et chargée de sens, la vidéo de Marcel Brouthaers s’achanant à écrire une lettre à la plume sous une pluie battante. Une belle métaphore de l’artiste.
Dans cette mise en regard d’œuvres insolites, tout paraît étrange, à chacun le soin de trouver ses propres explications.
Hirst au Palazzo Grassi et à la Dogana
Damien Hirst dans ses œuvres monumentales... Il semble avoir découvert l’archéologie sous-marine (dans les films « Pirates des Caraïbes » ?), et il en fait des tonnes, c’est le cas de le dire. Un titan de bronze de 35 m de haut couvert en partie de concrétions, une tête géante et des centaines d’objets plus ou moins altérés, corrodés et recouverts d’agglomérats d’organismes marins (coquillages, corail, flore, etc.), sont présentés dans le très plastique Palazzo Grassi.
L’idée est de montrer le travail de l’eau de mer et du temps sur les œuvres d’art.
La démonstration devient intéressante quand il n’essaie plus d’imiter la nature, mais qu’il l’outrepasse en montrant, par exemple, des concrétions excessives ou des objets peu altérés. Très intéressants aussi ses dessins vieillis, semblant dater de plusieurs centaines d’années, représentant les objets résultant des fouilles.
Dans le cadre somptueux de la Dogana, l’accrochage est plus beau, plus net, les volumes, les fenêtres, les poutres et les briques magnifiant les œuvres (un des plus beaux lieux d’exposition au monde). Mieux qu’à Grassi, sa légende de bateau retrouvé fait ici plus d’effet.
Tout est soigneusement réalisé. La salle consacrée aux objets en or est impressionnante. C’est sûrement l’exposition d’art contemporain qui a coûté le plus cher au monde. Des moyens délirants. C’est kitch, megalo, trans-techniques. Hirst a dû faire travailler beaucoup de monde : sculpteurs, fondeurs, coloristes, maquettistes, cinéastes, sous-mariniers, etc.
Comme d’habitude, Hirst s’est emparé des codes, de l’esthétique d’un domaine : physiologie pour ses animaux coupés en deux, pharmacie pour ses armoires et ses codes visuels médicamenteux, et cette année, l’archéologie sous-marine, mais autant le geste de montrer l’intérieur d’un corps était puissant, donnant à voir de la chair et des organes, nous renvoyant à notre animalité et à notre nature charnelle peu ragoûtante, autant ces effets de concrétions (très bien réalisés) laissent froids, n’appellent en rien une émotion si ce n’est sur les techniques utilisées. Il reste que ce nouveau travail de Hirst est impressionnant.
Evan Penny à la Chiesa san Samuele
Un travail très sensible sur le corps humain : copie en trois dimensions de têtes très agrandies d’une précision extrême, peinture d’un corps allongé, étiré, écrasé, dessins superbes de visages. Imiter la nature le plus précisément. Une affaire de technique mais pas seulement.
Jan Fabre à l’Abbazia de San Gregorio
Les os et le verre. Pourquoi pas ? On dit bien des os qu’ils sont fragiles comme du verre. Jan Fabre décline son association sous toutes sortes de formes ou d’installations.
Os en verre, bien sûr, mais aussi os découpés en tranches, crânes translucides, grande barque avec des rames en forme de mains, etc. C’est kitch et ça se veut transgressif.
« Glasstree » à l’Institut des arts
À chaque Biennale, une exposition d’artistes contemporains œuvrant sur le verre. Toujours des choses intéressantes à voir pour le travail singulier réalisé avec cette matière : téléphone, béquilles, produit de vaisselle, ballons, etc., mais aussi des compositions plus originales en d’épaisses de couches de verre fin ou un miroir déjà occupé par une image.
À la Fondation Prada, "Le bateau est en fuite. Le Capitaine a menti"
Une exposition transmedia résultant d’échanges entre l’écrivain et cinéaste Alexander Kluge, l’artiste Thomas Demand, la créatrice de scène et costumière Anna Viebrock et le conservateur Udo Kittelman qui ont été choisis pour investir le lieu.
L’exposition se déploie sur les trois étages du palais, présentant des œuvres photographiques et cinématographiques, des aménagements spatiaux et des installations. Certaines pièces construites en bois à l’intérieur des salles évoquent des ambiances, des atmosphères : un bureau, une salle de classe, un théâtre, où, en montant quelques escaliers, on se retrouve sur une scène très éclairée dont on serait les acteurs.
Plusieurs vidéos intéressantes : interviews de Cherkaoui, de Hanneke et de personnes inconnues se prêtant au jeu de l’éclairage cinématographique, etc.
Fondazione Cini
Pistoletto, vedette de l’Arte Povera, s’amuse avec les miroirs : en cercle, en boite fermées, la face mirante à l’intérieur, miroirs brisés, des morceaux manquants, etc. C’est jubilatoire, compulsif et gai.
Un jeu sur le petit et le grand (la même œuvre en plus grand) d’Alighiero Boetti.
Sont présentés ses cartes géographiques du monde où les pays sont cousus aux couleurs de leurs drapeaux, mais aussi des séries de lettres timbrées ou des accumulations d’avions dans le ciel.
D’immenses salles accueillent de grands et beaux Rauschenberg sur aluminum (faits de collages d’images et d’interventions picturales).
David Lachapelle au Palazzo de Tree Occhi (sur la Giudecca)
Il présente ses grandes photos très colorées, chargées de symboles et décalées. Une vidéo montre la réalisation quasi cinématographique des photos (avec une équipe de tournage).