Moebius Transe Forme
Gir
À 14 ans, Jean Giraud découvre la science-fiction, il s’éprend des grands auteurs comme Philippe-José Farmer, Asimov, Philippe K. Dick, qui vont accompagner son adolescence.
La bande dessinée américaine : Flash Gordon, Prince Vaillant, etc., va influencer son trait et les Impressions d’Afrique de Raymond Roussel développer son imaginaire et son rapport aux mots qu’il ne craint pas de tordre ou d’inventer. Après deux années aux Arts Appliqués, Jean Giraud rejoint sa mère au Mexique où il découvre les grands paysages désertiques et les histoires chamaniques qui vont profondément l’influencer.
À son retour à Paris, sa rencontre avec J.-M. Charlier est déterminante. Avec les aventures du lieutenant Blueberry (près de 30 albums en trente années), il nous offre tout l’univers du western classique : les grandes plaines, les saloons, les chevauchées, les bagarres. Des dessins très documentés aux perspectives fouillées, des planches classiques très denses où le moindre cactus est dessiné avec précision, le tout au service d’une mise en scène cohérente et très structurée.
Moebius
En revanche, Moebius (le nom vient bien sûr du ruban éponyme) est rêveur, mystique, explorant des univers aléatoires. Contrairement à Blueberry où le scénario est très précis, il laisse son imagination - son inconscient - le guider : « Moebius, c’est un solo de jazz, l’improvisation totale, la liberté de dessiner une case sans savoir ce qui va suivre ». Son dessin, radicalement différent, transgresse les codes. Il mélange tous types de graphismes, de la ligne claire aux ombres hachurées proches de la gravure et s’affranchit des codes de la bande dessinée classique. Il fait œuvre de précurseur à l’instar de ses amis Druillet, Mandryka, Gotlib avec lesquels il fonde des journaux de BD s’adressant à des adultes : Hara-Kiri, L’Écho des Savanes, Métal Hurlant, etc.
Aux planches sursaturées de Blueberrry succèdent de grandes pages très blanches aux lignes épurées. Les personnages (Arzach, Major Fatal, John Difool) sont dessinés avec une grande économie de moyens. Seule compte la ligne qui semble se déployer à la manière d’un morphing. Le Major Grubert, archétype de l’explorateur, s’impose. Son identité changeante, au fil des planches souvent réalisées très vite, va se préciser. Le héros prend son épaisseur. Il a pour tâche de surveiller des univers instables, chaotiques qu’il tente de maîtriser. Une métaphore de l’auteur en prise avec son imagination extravagante qui le conduit à dessiner des mondes poétiques improbables. Giraud rêve de super héros, il semble à la recherche de réalités supérieures qu’une initiation chamanique, mystique, voire extra-terrestre, permettraient d’atteindre. Fantasme d’un savoir sauveur, d’un au-delà de la conscience ou de connaissances supérieures… Mystique peu assuré de ses croyances, il se pose des questions, se forçant à chercher des réponses dans la science et en dehors d’elle.
L’exposition
L’exposition à la Fondation Cartier laisse quand même un goût d’inachevé. La scénographie du premier étage est décevante : vitrines difficiles à lire, sons inaudibles provenant de hauts parleurs diffusant des fragments d’interviews de l’auteur qui viennent perturber la lecture, manque d’informations, etc. Au sous-sol, nous sommes plongés un peu plus dans son univers d’images, mais la mise en scène est peu convaincante et en tout cas, loin de rendre compte de cet imaginaire prodigieux. Un film en 3 D réalisé pour l’exposition narre l’aventure d’un couple se rendant sur une planète déserte à la recherche d’un temple abandonné. Ils y trouvent une clé qui va provoquer la renaissance de la vie biologique. Mais ils quittent vite cette planète, un peu inquiets d’avoir déclenché une vie aussi luxuriante. Comme Moebius devant son œuvre ?