Marie-Elisabeth Collet ou la structure intérieure de l’organique (2/3)
« Entre deux », « dialogie », l’œuvre de Marie-Elisabeth Collet est toute faite de contrastes, d’oppositions ; oppositions entre les matières où interagissent la terre avec ses productions (roches, feuilles et écorces) et l’eau, et dans leur sein de façon presque fractale, la terre et le sol, l’eau et la mer, l’air et le ciel… Oppositions entre rigueur (triangle, trapèze, tour) et fragilité, entre rugosité et fluidité, entre fragilité et délicatesse (fleur, nid,..) ; oppositions entre structure, architecture et… organique.
En 1990, Jacques Lepage écrivait lors d’une exposition à la Galerie Lola Gassin : « de telluriques à cosmologiques aujourd’hui les travaux de Marie-Elisabeth Collet reposent sur une relation existentielle entre les éléments primordiaux. Terre/Sol, Mer/ Eau, Ciel/Air, manifestent une constante qui depuis son exposition à la Galerie Archétypes en 1986, se modifie et se développe, s’enrichit ou s’allège vers la sobriété et la rigueur. »
Certes son langage artistique est multiple, les techniques variées (peintures, bois-morts, céramiques, voilage, actuellement pastel) et les influences diverses (Nouveaux réalismes, Supports-Surfaces, Land-Art, Art povera,..), mais les soubassements restent identiques et constants. Les mêmes préoccupations existentielles sont décortiquées, fouillées, déclinées tout au long de ses travaux : Ecorces, Murailles, Terre-Mer-Laisse, Mesure des Terres, Pastels.
« L’ARCHITECTE ET LA TERRE
Marie Elisabeth Collet est un architecte du gigantesque, un bâtisseur de pyramides. Les tableaux qu’elle nous présente ne représentent pas des pyramides, pourtant tout y est.
Le carré de Marie Elisabeth Collet est une forme et une surface de stabilité qui est à la base de la pyramide.
Quand elle parle de cette pyramide, Marie Elisabeth l’appelle le triangle, le triangle tronqué. Ce triangle, cette pyramide a une matière, c’est de la pierre, du sable, de la terre, du crépi. Sa peinture est une construction. Une construction qui pourrait faire penser à une ziggourat, que la Bible considéra comme un défi à Jehovah, sous le nom de Tour de Babel, et qui ne fut jamais achevée, car pour éviter que les hommes n’arrivent jusqu’à lui, Jehovah remplaça leur langage unique par une multitude de dialectes différents.
Où est la pointe du triangle que Marie Elisabeth ne nous montre pas ? Laisse-t-elle sa pyramide tronquée pour ne pas défier Jehovah ? Ce sommet existe-t-il quelque part dans son esprit ou dans celui de quelques autres.
Peut-on y accéder par l’intérieur de la tour à travers la porte que nous y voyons ? Pour Marie Elisabeth Collet, porte signifie ici ouverture et non pas clôture. Elle accède, ouvre, construit, c’est une démarche positive qu’elle suit avec sérieux et rigueur.
Elle aime les matières et les objets fragiles et éphémères, tels des écorces, des brindilles, du bois mort, des cristaux de givre et autres merveilles dont on ignore l’existence et que l’on écrase en marchant.
Elle aime l’eau et le mouvement de l’eau, qui saute de pierre en pierre dans un torrent ou qui passe simplement sous les ponts.
Elle a le désir ou le rêve de préserver, sans figer toutes ces beautés mouvantes et éphémères dans la mémoire de l’art.
Est-ce pour ça que Marie-Elisabeth construit des monuments dont les prototypes défient le temps. »
Serge III, M.E. Collet, Catalogue exposition Galerie Lola Gassin,
Z’Artiste, Z’Editions, 1990
A cela une autre constance, l’expression de l’artiste reste toujours personnelle, presque perfectionniste, d’où sa particularité. S’il est possible de sentir les influences artistiques, celles-ci viennent plutôt de ses origines. Elle a grandi dans une longue tradition d’artistes avec deux arrière-grands-pères créateurs, l’un fresquiste, l’autre décorateur, un grand-père photographe, un père amoureux de l’art et peintre à ses heures, une mère passionnée de musées et une maison emplie d’art et de livres d’art Cette longue tradition familiale lui a permis un certain recul qui situe son travail et ses productions en dehors des modes et des diverses mouvances des avant-gardes reconnus des temps qu’elle a parcouru. Un travail quasi solitaire qu’elle protège en permanence, loin des coteries et qu’elle aime faire connaître uniquement aux personnes « qui ont un œil ».
L’installation Rondos (2005) de la Galerie des Ponchettes est une autre déclinaison de la démarche de l’artiste. Elle traduit « un voyage dans le Temps », le temps d’une vie. Or de l’architecture et du sol antérieurs, ce peut être cette fois navigation en haute mer où la « toile devient voile, peintures suspendues dans l’espace », toutes en légèreté, grands cônes tournant au gré de l’air, de la lumière, du pas de l’Homme.
Le cercle cette fois, ce que les anciens mathématiciens appelaient « une révolution » s’impose au long de l’exposition. Il était repris dans une vidéo-projection où il s’agit de récapituler dans une durée, en un déroulement lent et circulaire, les avancées dans le temps. Sur un plan concret, la toile faite d’un intissé de laine de verre est empreinte de peinture et se lit indifféremment à l’endroit et à l’envers.
« Pour l’essentiel, Elisabeth Collet peint un intissé, selon des formes préalablement établies, en le posant sur un tissu ; les deux supports peuvent ensuite être présentés ensemble ou séparément, et selon des modes d’accrochage divers.
La peinture déposée sur l’intissé le traverse et vient marquer la toile ; la forme est ainsi reportée par pénétration, et la texture de l’intissé par empreinte.
Le choix de l’intissé a plusieurs mérites ; il permet tout d’abord de distinguer physiquement, technologiquement et historiquement la toile et le voile. Il offre ensuite des modalités particulières de pénétration et de diffusion de la peinture. Ce sont les propriétés de la laine de verre qui produisent la netteté des formes sur l’intissé et de leur restitution sur la toile.
Dans l’œuvre d’Elisabeth Collet le dialogue entre toiles et voiles engendre le rêve ; la rigueur et le nombre s’y assouplissent, les couleurs et les formes s’y démultiplient, se montrent, se cachent, se perdent, se cherchent, et découvrent, à portée de nos regards, des zones en nous intimes et insoupçonnées, des appels de grands-larges, des trouées et des seuils donnant sur les en-dehors et les ailleurs. »
Raphael Monticelli, Catalogue Rondos, Galerie des Ponchettes, 2005
La présentation de quelques unes de ses plus belles céramiques a ponctué également cette exposition.
D’autres Rondos ont été réalisés à la même période sur papier à l’encre.
Actuellement une nouvelle ère s’ouvre avec une technique de pastel sec. Marie-Elisabeth Collet continue cependant sur sa trajectoire ; elle ne se laisse nullement distraire ou pervertir par les nouvelles tendances de l’art actuel, encore moins par les modes marchand. L’artiste reste attachée à ses problématiques premières qui ont parcouru toute son œuvre : l’énigme posée par la quintessence de la matière ou de la couleur, le passage de la substance à l’élément et surtout… la place de l’humain dans le vaste univers, et pour commencer dans la Nature.
« Je songe à Matisse quand il écrivait "Après m’être identifié à lui, il me faut créer un objet qui ressemble à l’arbre, le signe de l’arbre". Il ne s’agit pas d’imitation, ni même d’observation lorsque je peins mais "être arbre", "être mer", "être terre", "être fleur", "être pierre"... dans le surgissement de l’oeuvre.
Ce que l’arbre m’a donné,
l’ écorce
Ce que la muraille m’a donné,
la pierre
Ce que la mer m’a donné,
la vague
Ce que le feu m’a donné,
la cendre »
Marie-Elisabeth Collet, interview le 11 mai 2013
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