Manuel Ruiz Vida et son objet de peinture (2/3)
« Manuel Ruiz Vida a été marqué lors de son séjour à Dunkerque, par les odeurs âcres et les bruits sourds, par les épaisses fumées blanches aspirées par le ciel. Ce paysage aux couleurs sombres est l’opposé de la vision idyllique et conventionnelle d’une nature foisonnante et verdoyante.
Les activités de ces industries lourdes dont on redoute les effets sur l’environnement sont à l’antipode du paradis terrestre. Là où poussaient les oyats s’érigent aujourd’hui de puissants bâtiments de fer ou de béton. Le caractère repoussant de paysage ne cesse pourtant d’attirer Manuel Ruiz Vida. Il en retient les détails : un hangar, des containers, un réservoir.
Couche après couche, il cherche à apaiser ces pulsions contradictoires dans la matière, à révéler la force et la fragilité de ces architectures, à saisir les effets du temps sur la transformation des matériaux… »
Sandrine Vézilier, 2006
Manuel Ruiz Vida ne fait pas dans la dentelle, son style se veut énergique à l’image du personnage, sans que l’on puisse le considérer comme un néo-expressionniste.
L’artiste prépare ses projets par la photographie, sa peinture part souvent de son regard de photographe. Ensuite sont déposées les couches de peinture, tout à la fois matière et couleur, comme des strates qui finissent par se pénétrer intimement.
Ses gestes paraissent précis et délicats, même quand ses tableaux font deux mètres sur trois (1). Son atelier organisé tout autour de lui permet au plasticien de tirer le meilleur profit des lieux et de son éclairage. Sa production dés lors est toujours somptueuse, voire même monumentale, y compris quand il s’attaque à des séries.
Extrait d’une série inédite de photos réalisées par Manuel Ruiz Vida, durant ses séjours à New-York et à Pékin
Ces quotidiens successifs lui donnent l’occasion de « disserter » implicitement dans deux directions. La première est anthropologique, elle interroge l’histoire de son objet de représentation. L’artiste est obsédé par le temps qui passe et les traces que ce dernier laisse sur les bâtiments ou les « choses », comme s’il fallait en garder la mémoire.
" …Manuel Ruiz Vida est obsédé par le temps qui passe et les traces qu’il laisse sur les choses. II aime la rouille…, la moisissure, les taches, les façades décrépies, les auréoles d’humidité ocrant les murs, les lambeaux de papier peint, tout ce qui témoigne d’une desquamation ou d’une détérioration produites, indirectement ou directement, par l’activité humaine. Cela finit par constituer un monde où son regard se réfugie, un lieu tendre et simplement poétique, accueillant, fraternel et humain. (..) L’objet comme support et la lumière comme révélateur du temps, une lumière née des couches colorées superposées, grattées, où se mêlent les reflets subtils et les contrastes violents. Ainsi éclairés, l’ustensile ou le paysage industriel réfutent toute nostalgie : il n’y a là aucun regret de ce qui a été, mais au contraire une admiration pour ce qui est - ou pour ce qui devient, car ces objets et ces paysages, comme nous, n’en finissent pas de vieillir. Comme nous, ils sont constitués d’une succession de traces, souvent invisibles, que seule la lumière dévoile. Mais encore faut-il accepter que la lumière soit. La recherche, ici, est celle du temps présent."
Olivier Cena. Extraits Le temps à l’œuvre , Télérama n°2868, janvier 2005
Son deuxième combat est la peinture.... Pour lui, seul cet art -et ses ouvertures- se veulent propre par vocation à repenser sans cesse la réalité. Sa démarche picturale pourrait alors se décomposer en 3 temps : saisir cette réalité dans sa vérité, la représenter dans ses traits dominants en la métamorphosant, en la sublimant, pour faire émerger chez le regardeur -troisième temps- une vision du monde.
" Les membres d’Art Action poursuivent leur démarche en conviant le public à découvrir les peintures de Manuel Ruiz Vida à l’usine Bayart : Georges Perros, dans un texte remarquable sur la peinture, les yeux de la tête, écrit que ce qui frappe dans un tableau. C’est son absence : il est au-delà de la soufflerie pulmonaire et humaine. Manuel Ruiz Vida, à sa manière, fait de la résistance, il peint pour peindre, peindre un tableau, ne cherche pas à penser pour voir, et traque l’affectation. Par un simple empilement de couches de peinture et de matière, il tente de saisir le moment de l’entrée en présence, d’une forme ou d’un visage. Mais les êtres qui affleurent alors ne sont là pour personne, ne sont là que pour eux-mêmes. Il s’agit d’ouvrir les yeux, d’y aller voir, de ne rien se demander, et d’épouser la justesse d’une sensibilité de pinceau. "
Sortir Lille n°489, juin 2000 VRAC N°3, exposition à l’usine Bayart, Roubaix
A travers sa toile, ses pinceaux et ses alliances de couleurs, l’apparente banalité quotidienne d’un objet ou d’un bâtiment se doit de devenir une œuvre d’art.
S’insinue ainsi chez l’artiste une interrogation permanente : « s’interroger ce qu’elle (sa peinture) tente de représenter en tant qu’image et ce qu’elle représente en tant que matière. » Et à travers cette approche, la recherche d’un absolu indicible, voire la compensation d’un manque… qui se décline dans une réalisation fastueuse et aboutie.
"L’art n’est rien d’autre que l’instant du passage, la belle et fragile apparence qui à la fois exprime et anéantit l’idée. Il faut accepter pour l’oeuvre d’art aussi cette appellation de petite mort" (Jankélévitch)
Je ne sais pas ce que je cherche dans la peinture, peut-être l’inaccessible pour citer cette phrase de Maurice Blanchot. "Ce qui hante est l’inaccessible, dont on ne peut se défaire, ce qu’on ne trouve pas, et qui à cause de cela, ne se laisse pas éviter. L’insaisissable, est ce à quoi l’on échappe pas" »
Manuel Ruiz Vida, 2013
(1) rite également de petits formats…
La suite dans la newsletter du 27 novembre prochain...
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