Jean-Charles Blais ou la peinture en figuration… (2/3)
Jean-Charles Blais a débuté sa carrière en peignant sur des matériaux de récupération, notamment des bidons, des draps de lit, des cartons d’emballage et des journaux. Ensuite, il porte son choix sur les affiches arrachées des panneaux publicitaires qu’il travaille au dos dans l’épaisseur des couches de papier superposées. Pour lui, cette surface irrégulière et épaisse lui sert de « guide » incontournable pour déterminer ses compositions et notamment pour inscrire ses personnages.
Ses premiers « héros » sont de gros bonshommes ; ils semblent « s’échapper à grandes enjambées de l’espace pictural ». Leurs visages sont toujours dissimulés, ce qui les transforme en silhouettes massives qui, par la suite, s’affinent mais dont l’identité reste toujours évanescente.
Pour cet artiste, ses figures ne sont plus des personnes mais des objets picturaux, leurs corps se transforment en « morceaux de peinture ». L’origine de ces formes anonymes est sans doute à trouver dans ses études d’art, et notamment dans ce que représente pour lui la figure du Baigneur, peinte par Kazimir Severinovitch Malévitch, un des premiers peintres qui imposa l’abstraction en 1910.
« Parfois gigantesques, ces agglome ?rats de papier e ?taient en fait des « objets trouve ?s » auxquels l’artiste attribuait, comme en proie a ? une obsession, un caracte ?re « anthropomorphe », rendant « e ?loquents » ces « vestiges ».
Michael Semf, A ? propos de Jean Charles Blais, 2013
Cette figure de bonhomme à la face toujours détournée, et ainsi non identifiable, sera déclinée plusieurs années durant, parmi ce qu’on pourrait considérer comme des accessoires - maisons, chapeaux, arbres, chiens –. En fait, ces éléments constituent au fil des oeuvres l’iconographie princept de l’artiste.
Dès 1985, changement de décor, Jean Charles Blais privilégie de nouveaux supports. Apparaissent des palissades en bois qu’ils animent avec des couleurs plus chaudes. Ses oeuvres deviennent plus lumineuses et les contours des figures plus nets et découpés. Il ne persistera pas longtemps dans cette direction, il revient en 1988 à ses silhouettes massives que Jean-Charles Blais rend de plus en plus abstraites. Finalement, il ne reste plus que des fragments qu’il habille en ombres noires. Fragmentées, les parties du corps vont envahir la toile sous forme de détails monumentaux.
« Les titres, comme les figures, sont accidentels. Je suis un artiste qui n’a pas d’ide ?e, ni de sujet de tableau en tête, ni de projets. Ma peinture est sans intention... Ce n’est ni la re ?flexion the ?orique, ni la de ?finition d’un discours e ?nonce ? dans l’ordre de la pense ?e critique qui suscite l’e ?volution de ma peinture. Je travaille en ayant une grande confiance dans les processus de la peinture. »
Jean Charles Blais
Au début des années 90, Jean-Charles Blais se laisse convaincre par la troisième dimension. Il enchaîne une série de sculptures de bustes et de têtes qu’il installe en « apesanteur élastique ». Ses oeuvres surprennent par leur simplicité apparente, mais se profile une force de construction ; et la composition met en valeur « des personnages souvent déséquilibrés semblant vouloir échapper à la peinture »…
En opposition à ses travaux de départ, l’artiste revient à une abstraction proche de celle des abstraits américains des années 60. Pour lui, cette peinture « devient le substitut de la peau de ses personnages disparus » !
En 2007, Jean-Charles Blais diversifie à nouveau son travail ; il introduit des de ?coupages de minuscules gouaches noires, inte ?grant le plus souvent des collages. Par ailleurs il se lance dans de grands tableaux peints en larges couches noires. Le the ?me permanent de la figure y est repris et développé dans des directions multiples et dans la recherche du trait minimum.
L’artiste use non plus de l’envers des affiches arrache ?es, mais de leur endroit. Leurs couleurs, les écritures et les déchirures qu’il recouvre à nouveau de sa peinture noire entrent dans la composition de l’oeuvre. Cette démarche se « radicalise » dans la se ?rie d’affiches pour le Grand The ?atre de Gene ?ve (2007).
« Si les premiers travaux de Blais peuvent de prime abord sembler tre ?s diffe ?rents de ceux de ses phases de cre ?ation ulte ?rieures, son œuvre n’en est pas moins marque ?e, jusqu’a ? ce jour, par des constantes essentielles. Du point de vue du contenu, l’attachement a ? la repre ?sentation de la figure pre ?domine et, du point de vue esthe ?tique, la tendance a ? la fragmentation et au renversement permanent des proportions se manifeste, de ?s le de ?but, par la coexistence de formats tantôt gigantesques, tantôt, comparativement, minuscules. [...]
Au cours des anne ?es 1990, Blais trouva des solutions plastiques parfois inhabituelles, dont te ?moignent a ? la fois des œuvres autonomes et des se ?ries – sur lesquelles il s’attardait toutefois souvent peu. S’il se surprit probablement lui-même en ouvrant son œuvre a ? la troisie ?me dimension et a ? la repre ?sentation dans l’espace – prenant ainsi ses distances a ? l’e ?gard du concept classique du tableau –, il suscita l’e ?tonnement puisque, a ? ses de ?buts, il avait re ?siste ? opinia ?trement a ? toute tentation d’art tridimensionnel. [...]
Depuis 2008, Blais a re ?alise ? un grand nombre d’œuvres. Ce sont tantôt des de ?coupages de minuscules gouaches noires, inte ?grant pour la plupart des collages, tantôt de grands tableaux e ?galement peints en noir. Le the ?me de la figure y est repris, selon une forme esthe ?tique contraignante. »
Michael Semf, A ? propos de Jean Charles Blais, in Exposition Blais Musée Picasso, dossier de presse, 2013
Ses œuvres les plus re ?centes surprennent autrement par leurs figures a ? l’opacite ? myste ?rieuse. Jadis e ?clatante de couleurs, la palette de l’artiste s’est volontairement re ?duite : la priorite ? est aujourd’hui a ? la simplification et a ? la concentration de l’expression. Sa manifestation la plus radicale se traduit dans la texture quasi herme ?tique du monochrome noir (1), autre clin d’œil à un autre de ses maîtres, Malévitch. Jean Charles Blais semble l’appre ?cier pour sa densite ? minimale, mais aussi pour son lien avec l’ombre. Est-ce là l’Autre myste ?rieux ? Pourtant l’artiste se plait à dire : « Je suis un artiste qui n’a pas d’idées, ni de sujets de tableaux »…
(1) Il compense son absence de couleur dans ses dernières œuvres en se défoulant dans la décoration éclatante de sa station de métro, tout en se limitant aux couleurs primaires.
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