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Elisabeth Allaria

Nice, son Comté, sa région jouit d’un extraordinaire patrimoine artistique. Grecs et Romains y ont laissé leurs empreintes. Quelques unes sont encore bien présentes comme les thermes et les arènes de Cimiez ou le Trophée de la Turbie. Plus en avant, 4 000 à 5 000 ans avant notre ère, 40.000 gravures rupestres présentent au fin fond de la vallée de la Roya, des têtes de taureaux, des attelages, des armes et des champs. Deux d’entre elles préfigurent des cadrans solaires.

Le sorcier, art Pariétal, Mont Bégo
DR

L’art religieux

A partir du XVéme jusqu’au XVIIIème, Nice se dote d’un ensemble d’églises dans la plus grande et belle tradition baroque. Parmi les plus magnifiques, les églises du Gésu, Sainte Rita, Saint Augustin, Sainte Réparate (la cathédrale) et surtout les Chapelles des Pénitents noirs (Chapelle de la Miséricorde) et des Pénitents blancs. Ces édifices sont l’occasion de mettre sous nos yeux la première Ecole de peinture de Nice. Ils se nomment Jacques Durandi, Antoine et François Bréa et bien entendu Louis Bréa. Sa première œuvre conservée, la Pietà, est toujours visible au monastère franciscain de Cimiez. Par son influence, il fait entrer la peinture niçoise dans ce qu’on nomme aujourd’hui l’art de la Renaissance au même titre que la peinture flamande.

Louis BREA, La Pietà
DR

L’autre période florissante fut le XVIIème, suite à la contre-réforme avec les oeuvres majeures de Melchior Siaudo et des Baudoin, père et fils. Le père a travaillé également pour le Palais communal, Place Saint François, actuellement en restauration. Deux de ses toiles les plus abouties sont malheureusement trop peu connues : La Crucifixion visible dans l’église de Belvédère et la Descente de la croix, dans celle de Saint Martin-Vésubie. Pour ce groupe de peintres, on peut encore citer Guillaume Planeta dont le tableau princept l’Adoration des Bergers appartient à l’ancienne église de la Tour sur Tinée et Jean-Baptiste Passadesco. Son Apparition de la Vierge peut être admiré dans la Cathédrale Sainte Réparate de Nice. Tous n’ont pas encore le renom qu’ils devraient avoir, ils constituent pourtant une deuxième « Ecole de Nice », plus élaborée que celle de Gênes, à laquelle on les rattache par facilité ou méconnaissance.

Jean-Baptiste Passadesco. Apparition de la Vierge
DR

L’art religieux a continué à se manifester à Nice jusqu’au XXème siècle. L’Eglise orthodoxe est l’un des édifices religieux russes les plus importants hors de Russie. Sa construction débuta en 1903, dans la plus grande tradition orthodoxe selon les plans de Préobrajenski, un professeur d’architecture à l’Académie impériale des beaux-arts de Saint-Pétersbourg. Elle fut consacrée en 1912. L’autre joyau, l’Église Sainte Jeanne d’Arc qui date de 1933, est d’une facture étonnante. Conçue par l’architecte Jacques Droz, elle est constituée d’une structure en béton armé avec ses trois grandes coupoles ovoïdales soutenues par 8 autres coupoles plus petites, dominées par une tour effilée de 65 mètres.

L’art laïc

Sur un plan laïc cette fois, tout commença avec la demande des premiers « touristes » anglais, puis russes. Nombre parmi eux ont laissé une trace durable, comme Bensa François, Besset Cyrille, Carlone Augustin, Comba père et fils, Costa Emmanuel, Defer Jules, Fossat Vincent, Fricero Joseph, Gamba Alexandre Scipion, Garin Urbain, Guiaud Jacques, Alexis Mossa, Raynaud Mion, Roassal Clément, Sabatier Victor ou encore la famille Trachel Antoine, Dominique et Hercule [1] .
Tout s’exalte à la Belle Epoque ; c’est le temps où la ville est le premier Salon artistique de l’Europe, drainant dans ses palaces et ses splendides villas tout ce qui compte dans l’air du temps.

Trachel Ercole (Hercule), Le village de Levens depuis Saint-Antoine de Siga
DR

La guerre de 1914-18 sonna le glas de cette période faste ; elle ne tarit pas l’art à Nice. Nombre de peintres ont continué à choisir cette ville comme source d’inspiration. Parmi les plus connus, Matisse, Picasso, Chagall, Cocteau, Renoir, Miro ? et bien d’autres.

« Non, la Côte d’Azur ne se résume pas à ses yachts et à son ambiance bling-bling. Elle gagne à être redécouverte sur le chemin des artistes. Depuis toujours, la Riviera a fasciné peintres et écrivains. Entre Nice et Antibes, il est possible de partir sur les traces de Matisse, Chagall, Picasso et bien d’autres encore grâce à des musées et des sites exceptionnels. Petite sélection de coups de cœur pour un week-end d’artiste sous le soleil azuréen. »
Le Guide du Routard, site

« Le Sud de la France est reconnu pour être une terre de créativité artistique et d’inspiration. Il faut dire que la Côte d’azur a vraiment tous les atouts pour être peinte sous tous les angles : une lumière unique, la mer, la montagne, les fleurs et forêts, les architectures pittoresques... Tant de couleurs à capturer... Deluxe Drivers vous conduira sur les pas des principaux artistes peintres de la région : Matisse, Chagall, Renoir, Picasso... L’art est une des autres magies de la "French riviera. »
Deluxe Drivers, site

Les années quatre-vingt

Avec la naissance de la Villa Arson, en 1970, à la fois école nationale supérieure d’art, centre national d’art contemporain, médiathèque d’art contemporain et résidences d’artistes, de nouvelles générations ont émergé.
Parallèlement depuis les années quatre vingt, de jeunes artistes poursuivent un travail engagé dans des galeries associatives : Gal/Athée, La Caisse, Calibre 33 is it Art ?, Lieu 5, L’Atelier, Diagonal.

Plus récemment, d’autres initiatives ont pris place : La Station, Le Hangar St Roch, Le collectif des Diables-Bleus ou Spada. Toutes ont favorisé la jeune création en regroupant les ateliers, des espaces de présentation et surtout des lieux de discussion et de rencontres.

Cédric Tesseire, co-fondateur de la Station dans leurs nouveaux locaux au 109
DR

La dernière tentative est en « chantier », celle du chantier 109, un processus de reconversion des anciens abattoirs de Nice. Confié à Sophie Duez, actrice niçoise et internationale, son but est de :
« réfléchir à un nouveau mode de rencontre entre le public et les artistes ».
Sophie Duez, 24 juin 2011, abattoirs, chantier 109, Nice-Matin

Sophie Duez, Christian Estrosi, Frédéric Mitterand, Dr Frère au 109
DR

Cette chronique sera l’occasion de visiter tous ces lieux, et leurs artistes, pour les mettre en perspective [2] .

Elisabeth Allaria

Elisabeth Allaria
DR

« Élisabeth Allaria est née, habite et peint à Monaco, elle a également installé un atelier à Vence, près de Saint Paul. Après des études de droit, elle suit les cours d’enseignement du dessin de la Villa Arson à Nice, où elle obtient un diplôme d’art plastique. Elle expose en Italie, à Monaco, Paris, Nice. »
Elisabeth Allaria (photo et texte site)

La trame

La trame constitue l’élément de base du langage plastique d’Elisabeth Allaria : montrée, suggérée, présente et prégnante, elle investit l’espace pour mieux révéler ses diverses composantes et les subtilités de sa réalisation. C’est à travers son parcours que se dévoile un certain nombre d’éléments iconiques ou abstraits : ils se répartissent de manière aléatoire sur la toile, à travers une cohabitation chaotique et imprévisible.

Quels rapports établir entre la figure récurrente d’un cheval, des fragments de paysages ou de natures mortes, et de grandes coulures gestuelles qui semblent nier ou recouvrir tout ce qui parait identifiable ? L’unité est issue de cette trame multiforme qui garde une constante homogénéité grâce à ses délicates variations et nous fait accepter l’incohérence des rencontres. Les modulations de valeurs, de couleurs ou de graphismes ne font qu’accroitre l’impression d’un support à la fois stable et mouvant, à l’instar des ondulations que provoquent certains effets optiques. Les images se dérobent, resurgissent à travers la trame et font une réapparition insolente pour mieux se donner à voir.

Peinture Trame Rouge 1, huile sur bois
@Elisabeth Allaria
Peinture Trame Rouge 2, huile sur bois
@Elisabeth Allaria

Mais la trame est aussi métaphorique, à l’instar d’une intrigue et structure les rêves de l’artiste. Elle assume la jonction des images, leur cohérence et leur rapport formel, en légitimant la disparité des éléments référentiels. Quoi de plus surprenant qu’une silhouette issue d’un magma coloré et dégoulinant ? Les images sont oniriques, sans relation évidente, et la trame restitue le lien qui leur fait défaut. Pas de narration ni de chronologie cependant : loin des problématiques surréalistes, les éléments iconiques assument leur différences d’échelle ou de profondeur de champ sans se référer à un univers notionnel univoque.

Le regard de l’artiste se porte sur ce qui l’entoure- les objets, le décor, les souvenirs d’enfance, les images de famille ou les personnages fortement connotés comme Mère Térésa – et c’est ensuite au travail pictural d’opérer la magie. L’osmose devient évidente, et les signes prennent sens.
Signes iconiques et éléments plastiques ne sont pas simplement issus des hasards du rêve ou des rencontres fortuites comme on pourrait l’imaginer. Les références à l’histoire de l’art et les citations à peine voilées font resurgir sur la toile la solide formation artistique qu’Elisabeth Allaria a entreprise à la Villa Arson.

Les objets quotidiens

Les objets quotidiens, souvent regroupés, se présentent comme de nombreux renvois aux thèmes de la « nature morte » à travers un certain nombre de clins d’œil aux primitifs flamands ou aux réalistes du XIXème siècle. D’autres formes identifiables assument aussi leurs ascendances, issues des multiples codes de représentation échelonnés au cours des siècles. L’apparente antinomie des styles et techniques ne peut aussi se résumer à un éparpillement diffus de pratiques contradictoires sur la surface de la toile ; les rappels, les échos plastiques ou les rythmes des signes et factures picturales se réfèrent à l’évidence aux grands mouvements marquants de l’histoire de la peinture. Aplats, dégradés, ou coulures sont autant de caractéristiques qui ont ponctué les avant-gardes. La minutie aussi, omniprésente, pourrait trouver ses sources dans le travail de la broderie ancienne et des napperons qu’élaboraient nos grand-mères.

Peinture Fantome, huile sur bois
@Elisabeth Allaria

L’aspect troublant du rendu hyperréaliste ne vient pas de référents photographiques, mais d’équivalences plastiques qui entrainent le regard vers l’illusion de peaux serpentines, d’écailles multicolores ou de plaques de marbre… Et à travers ces techniques multiples, il s’agit bien ici d’une pratique de peintre, avec tout ce que cela implique au niveau de la poiesis…

Peinture Paysage du ciel, huile sur bois.
@Elisabeth Allaria

La peinture ne se donne pas a voir uniquement pour elle-même : support évident d’un certain nombre de réflexions, elle met en scène nos interrogations sur des notions essentielles ; le questionne ment du vide et du plein, de la relation présence /absence est révélé par le bois brut intégré sur les toiles, ou par des zones non peintes. Il réapparait épisodiquement et semble poser la question du non fini, du néant par rapport au remplissage ad infinitum prépondérant.
Les compositions All Over n’assument pas totalement leur fonction, et même si les références à l’Art Brut se manifestent quelquefois par l’abondance des signes, elles sont rapidement niées par l’insertion d’éléments dérisoires, insolites ou poétiques, qui établissent une rupture avec l’ensemble du corpus. Le processus de création se donne à voir par cette révélation d’étapes successives, d’ébauches confrontées aux aboutissements, et de subtiles intentions d’inachèvement qui sembleraient provoquer le spectateur. Par la multiplicité des pratiques, les discours semblent se superposer en créant de nouveaux concepts. L’écriture, souvent convoquée, ne fait que perturber volontairement l’équilibre fragile des différents niveaux de lecture et apporte un sens supplémentaire à la toile.

Les séries

L’apparente disparité des pièces s’assume par les propos sous-jacents et renvoie à l’aspect hétéroclite de chacune des toiles, avec, comme dénominateur commun, une « trame » identique qui en assure le continuum. Le travail s’effectue essentiellement par séries, et chacune d’entre elles renvoie à la suivante ; le tissu conjonctif s’élabore à partir d’éléments substantiels que l’on retrouve d’une pièce à l’autre pour maintenir l’unité stylistique et l’homogénéité de la création. Une création authentiquement picturale, qui se revendique comme telle et s’impose avec force par sa singularité et sa sincérité.

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