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Cédric Teisseire, du geste minimum (2/4)

Morphologie

La morphologie d’ensemble confère aux deux parties de l’œuvre une homogénéité flagrante ; leur différence de taille met en évidence le poids des segments verticaux qui semble écraser le relief inférieur. La disproportion des deux parties se justifie aussi par l’apparente simplicité des droites opposée à la complexité des sinuosités.
La silhouette extérieure, tout comme la composition interne passe donc de l’orthogonalité pure et dure à l’accident irrégulier de lignes semées d’embuches et de crevasses, de stries, de reliefs, et de formes impétueuses. En fait, quoi de plus naturel que cette opposition de droites et de courbes, de rigueur et de nonchalance qui ont fait la magie de l’œuvre d’art ? Les peintures de Kandinsky ou de l’expressionnisme abstrait américain peuvent en témoigner ; les architectes de l’Art Déco ou du post-modernisme en ont fait un tout autre usage, mais toujours avec la même volonté d’opposer ces deux concepts en les confrontant systématiquement. Ici l‘opposition laisse la place au passage subtil par les prolongements de lignes et leur cassure brutale ; on pense à la ligne « coup de fouet » que prônait Hector Guimard dans l’architecture Art Nouveau, avec l’interruption brutale de la ligne droite transformée progressivement en volutes plus adoucies.
Les avatars de la ligne se réfèrent aussi aux avatars de la création artistique, de la poïétique de l’œuvre qui ne revêt pas une forme définitive mais subit les aléas de son évolution.

Chromatisme et matérialité

La répartition des couleurs ne semble pas devoir obéir à une quelconque harmonie ou logique préalable. L’ensemble donne l’impression d’un échantillonnage paradigmatique et impose alors une vision neutre et objective pour éviter toute imprégnation psychologique des rapports colorés.
Cette absence d’implication de la couleur s’inscrit dans la démarche des artistes de Supports / Surfaces, pour qui les rapports chromatiques ne constituent qu’un élément matériel parmi tant d’autres dans l’ensemble des constituants plastiques, tout comme le point, la ligne ou l’espace. Mais ce n’est pas toujours le cas dans cette œuvre, car les subtils dosages de nuances chaudes ou froides ne sont pas répartis avec le plus grand des hasards et jouent sur des alternances de rythmes clairs /foncés qui se retrouvent aussi dans la partie inférieure en relief.
Les différences d’épaisseur des lignes accentuent les oppositions colorées, et les zones sombres semblent s’inscrire dans des cavités convexes qui modifient légèrement la planéité de la surface. Les valeurs très rapprochées, claires ou sombres semblent elles aussi participer aux légères modifications optiques qui structurent l’ensemble. Nous sommes loin de l’Op Art – qui n’est surtout pas inscrit dans la démarche de l’artiste - mais des effets similaires peuvent se superposer au discours initial en faisant référence aux peintures de Bridget Riley.

C’est alors que la matérialité peut jouer tout son rôle : la toile cirée, ce matériau populaire est confronté à la peinture à l’huile, référence incontournable de l’histoire de l’art, pour remettre en question les problématiques picturales et transformer les fonctions élémentaires. La peinture comme enduit se métamorphose en support de sculpture en perdant son statut initial.

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