Tiberiade
Le soir, visite du centre de Tiberias et sa promenade en bord de lac. il y a plein de monde : restaus, bars branchés, musique, enfants qui courent, poneys, crêpes, micros appelant à des balades dansantes sur les bateaux, l’atmosphère habituelle des villes balnéaires en plein été.
On découvre la vie nocturne, les constructions en briques, petites mosquées, églises, on se décidé pour un restau indiqué par le routard : Rosa. Grande baie vitrée sur la promenade, grands écrans projetant des clips et bonnes pâtes sautées accompagnées d’un blanc très chargé de la région.
Le lendemain, pour commencer et faire un plan d’attaque des jours à venir, on se pose quelques heures à la belle piscine qui surplombe le lac. Le maître nageur qui s’occupe aussi du bar doit aimer Julio Inglesias car on a eu doit à son répertoire en boucle. Comme je lui ai demandé de l’eau, il a compris qu’on était français et quelques instants plus tard, il a mis un medley de chansons françaises qui m’ont renvoyé à mes quinze ans : "Elle était si jolie" d’Alain Barrière, "et j’ai crié, crié Aline pour qu’elle revienne", "Tombe la neige", "Laisse-moi t’aimer toute une nuit" de je ne sais plus qui et d’autres trucs des années 60, et des années 70 et 80 comme "J’ai oublié de vivre" de Johnny.
On a ensuite entamé notre première journée biblique : tour du lac de Tibériade que les hébreux appellent joliment kinneret (lyre) en raison de sa forme. Premier arrêt à Cafarnaüm. Il y a la synagogue où Jésus priait - il était encore juif à cette époque -, la maison de son ami Pierre devenu son apôtre, une deuxième synagogue, en bien meilleur état, qui ressemble à un temple grec avec colonnades et beaux linteaux gravés, sol en pierres taillées et surtout une vue magnifique sur le lac.
Une délirante soucoupe volante de béton recouvre la maison de Pierre. De l’intérieur, genre église circulaire, à travers une grille de fer et des vitres, on peut voir le sol qu’à foulé Jésus.
L’endroit est propice à la méditation avec ses beaux eucalyptus, ses cactus, ses hibiscus et ses cyprès de toute beauté qui bordent le lac.
On a ensuite grimpé (en voiture) sur le Mont des Béatitudes (on en a bien besoin par les temps qui courent) où Jésus a dit : "Bienheureux les simples d’esprit, le royaume de Dieu leur appartient" et d’autres paroles restées célèbres (reportez vous aux écritures sacrées). Le Mont domine bien sûr le lac appelé aussi "Mer de Galilée".
Il est devenu un sanctuaire chrétien avec beaux jardins, lieux de prières, accueil de pèlerins et jolie petite église byzantine avec au plafond un dôme bleu klein et or.
Étape ensuite à khoragine où les ruines sont déjà fermées. Dommage, j’aurais aimé voir la chaise en pierre de Moïse dont parle le Talmud.
Les points de vues sur le lac sont de plus en plus beaux, plus verts que du côté de Tibériade. Ce lac est étonnant, il situé à 200 mètres sous le niveau de la mer. C’est la plus grande réserve d’eau douce d’Israël, raison pourquoi il est disputé aux Syriens (le problème est loin d’être réglé, d’autant que les Syriens ont bien d’autres préoccupations pour l’instant).
Il y a plusieurs kibboutz qui bordent le lac dont certains cultivent de façon intensive des bananiers. On en a vu de toutes les tailles et beaucoup sont recouverts d’un genre de tissu synthétique gris qui leur donne l’allure d’installations d’art contemporain. J’ai lu que c’était pour les protéger des oiseaux dont les migrations passent par là.
On s’arrête au kibboutz d’Ein Guez, avec port sur le lac et infrastructures sympathiques : ponts en bois, jolies maisons et un restaurant géant où on mange un "mixed fish" de poissons péchés dans le lac, précédé de plein de tapas régionaux, le tout arrosé d’un blanc israélien qui saoule pas mal.
Le tour du lac est bouclé. Je ne suis pas très clair. Je passe devant l’hôtel sans le voir, heureusement, Danielle, toujours vigilante me fait faire demi tour.
Le soir, on regarde la télé israélienne en hébreu. On ne pige rien, mais on comprend que ça ne s’arrange pas.
Pourtant, j’avais lu sur internet vers midi les trois mots que j’attendais depuis longtemps : "cessez le feu". L’Egypte a proposé un cessez le feu qu’Israël a accepté, mais pas le Hamas. J’ai pensé que c’était quand même le début du commencement de la désescalade, qu’ils finiront bien par se mettre d’accord pour arrêter les combats, mais ce que je lis ce soir n’est pas rassurant. Ça continue à péter de partout : des roquettes sur Tel Aviv, sur Haïfa, etc. Le feu est loin de cesser, on dirait.
J’apprends aussi qu’il y a eu des manifs à Paris et dans d’autre villes en France, que des synagogues ont été agressées, comme si cela avait quelque chose à voir. En quoi les religieux juifs de Paris, ou les juifs tout court sont-ils reliés à cette guerre ?
La simplification est toujours la pire des choses. Tous les racismes naissent d’un manque de réflexion, d’idées approximatives, de caricatures : le juif est ça, l’arabe est comme ci, le rom est forcément comme ça.
Comment enseigner la complexité, la singularité ? Comment faire pénétrer dans les consciences que les différences n’ont cessé - et même continuent d’enrichir le monde ?
Et que ce n’est pas en tapant sur un juif ou un arabe qu’on fera cesser la guerre au Moyen Orient. Le monde est désolant de bêtise. Combien de siècles encore les humains vont-ils gâcher ce bienfait, cette aventure unique que constitue la vie, ce court passage hors du néant, du rien ? Mais l’histoire nous apprend que l’homme est guerrier, qu’il a le goût du sang et de la domination plus fort que celui de la sagesse. Son agressivité domine sa volonté de bienveillance envers l’autre. Alors que faire ? Subir son sort et espérer qu’il ne soit pas trop contraire. Être éthique, juste. "Un Juste sauve l’humanité". Il y a actuellement sur terre assez de richesses produites pour que tous les humains mangent à leur faim et vivent leur vie sans se battre et sans détruire leur propre vaisseau spatial, notre Terre, qui est si belle... Ça y est, voilà que je prêche, l’effet Tibériade, sans doute.
En tous cas, à part à la télé, ici pas de sirènes, pas de "shelter" à tous les coins de rue, le seul truc un peu zarbi à l’hôtel, c’est le garde de nuit avec un revolver à la ceinture.
Le. Lendemain, on démarre notre deuxième journée biblique, Nazareth d’abord où Marie a reçu l’annonce de l’ange Gabriel qu’elle allait recevoir un enfant spécial.
On visite la basilique de l’Annonciation, édifice pas génial des années 60, recouvrant la grotte où l’ange l’a visitée. Dans la même enceinte, la synagogue-église antique et des bâtiments pour recevoir les pèlerins. On a ensuite cherché la synagogue que Jésus a fréquenté, mais on ne l’a pas trouvé. Nazareth, à part la vieille ville et son marché, est une ville bruyante, encombrée. La circulation est difficile, il fait chaud... On retrouve la voiture et sa clim avec plaisir après avoir acheté une grande bouteille d’eau (on fonctionne ces jours-ci à trois bouteilles d’un litre et demi par jour).
Retour vers Tibérias pour nous rendre à Safed sur les hauteurs du lac. C’est la ville la plus haute d’Israël (près de 1000 m), la troisième ville sainte du judaïsme après Jerusalem et Tibériade, le berceau de la Kabbale. Son origine est cananéenne, elle a toujours été peuplée de rabbins qui ont élaboré les grands écrits du Judaïsme. Les nombreux juifs savants chassés d’Espagne par l’inquisition qui y ont trouvé refuge ont fait ensuite de Safed la capitale des kabbalistes. En 1553, la première imprimerie voit le jour et la vie intellectuelle est intense.
On a d’ailleurs visité l’émouvante synagogue de Yosef Caro, originaire d’Espagne qui a apporté avec lui un rouleau de la Torah de plus de 500 ans. Sous la synagogue, une espèce de grotte, en fait la chambre où il a vécu et écrit un des plus grands textes de la mystique juive.
La vieille ville de Safed accrochée à un flanc de montagne est traversée de petites rues, de passages et de dizaines d’escaliers assez raides. Des placettes adorables, des rues offrant des vues plongeantes sur la campagne et très loin, tout en bas, le lac de Tibériade.
Les rues couvertes abritent des galeries et artisans d’art et de très vieilles synagogues. Celle d’Abouhav est la plus kabbalistique de toutes. Peinte en bleue, la couleur du ciel, son architecture est élaborée à partir des douze chiffres sacrés : le Un, c’est Dieu, le deux symbolise les deux rouleaux de la Torah, le trois, trois armoires pour évoquer les patriarches Abraham, Isaac et Jacob, le quatre (il y a quatre colonnes de soutien) symbolise les quatre mères juives Sarah, Mea, Rébécca et Rachel, etc.
Chaque élément, le moindre dessin, est porteur de sens.
Cette synagogue est couverte de tableaux, de livres, de symboles. Il faudrait y passer pas mal de temps pour tout déchiffrer.
On sent la spiritualité, il y a des yeshivas, des écoles talmudiques partout et la plupart des hommes ont des kipas ou des grands chapeaux noirs. Les enfants se baladent avec leurs papillotes qui leur couvrent les oreilles et les fils des châles de prière qui débordent de leurs ceintures. Les femmes ont la tête couverte, elles ont généralement suivies d’enfants de tous âges. Du restau (très bien) où on a mangé, on voyait une école où des gens n’arrêtaient pas de rentrer ou de sortir. Dans les petites rues, les cars déversaient les touristes américains.
La visite de cette très ancienne cité est assez émouvante si on n’a pas peur de monter et descendre des centaines d’escaliers.
Aujourd’hui, visite de la tombe (ou cénotaphe ?) de Maimonide, le deuxième Moïse, né à Cordoue en 1137, passé par Fès où il s’instruit des sciences juives, mais aussi d’Aristote, d’Hippocrate et d’Averroes. Médecin célèbre, son traité pharmaceutique a servi jusqu’au siècle dernier, il est aussi un des grands philosophes juifs qui a associé science et religion, auteur du "Guide des Égarés", et grand commentateur de la Mishna, la loi juive. Bref, un des plus grands penseurs dont les écrits continuent à susciter la réflexion.
Sa tombe, très simple est surmontée d’une grande structure en fer (il en mériterait une bien plus belle).
"Galilée Expérience" est un film d’une demie-heure qui nous raconte l’histoire étonnante de ce petit bout de terre assez aride entre Méditerranée et lac de Tibériade qui a vu l’histoire s’enflammer et dont les natifs ont révolutionné les modes de pensée jusqu’à nos jours (il faudra bien un jour en faire le vrai bilan).
Pour continuer la visite de Tiberias, on se rend à la maison-musée-hôtel de Donia Gracia dont on avait lu l’aventure extraordinaire. Banquière, marranne, fuyant l’inquisition au XVe siècle, elle a traversé l’Europe d’Anvers à Venise, Amsterdam, Ferrare. Amie de Soliman le magnifique à qui elle a prêté de l’argent, elle finit en Palestine avec la volonté de créer une Cité-Etat juive... Une vie incroyable retracée ici par des vitrines de petits personnages mis en scène. Au sous-sol, un très beau restau vénitien où on a voulu déjeuner, mais c’était trop tard.
Retour à l’hôtel où, je me fais une revue de presse sur Internet pour me tenir au courant. On envisage de partir demain au bord de la Mer Morte et donc passer pas très loin de Gaza, aussi on voudrait savoir où en sont les événements.
A priori, toujours pas de cessez le feu complet, mais on annonce des trêves. On va y aller...